BELGIQUE: A qui profite le schisme ?

La crise communautaire ébranle le Royaume de Belgique. Mais la lente dissolution de l’Etat fédéral s’inscrit parfaitement dans l’agenda des néolibéraux.

A force d’en parler, le cauchemar se rapproche de la réalité. La victoire éclatante du N-VA, la formation flamingante très droitière et séparatiste de Bart de Wever, aux élections fédérales en Belgique dimanche passé, a sonné comme un glas historique : au mieux, l’Etat fédéral belge se dirigerait vers une confédération vidée de toute substance, « étape », selon de Wever, pour aboutir à un Etat flamand indépendant. Et si cela devait passer par la nomination d’un premier ministre francophone, ce qui n’a plus été le cas depuis une trentaine d’années, alors la N-VA n’hésiterait pas à y placer le socialiste Elio Di Rupo. Après tout, la Flandre vaut bien un Wallon.

En 2008, le journaliste belge Olivier Bailly qualifiait l’évolution du phénomène séparatiste de « prophétie autoréalisatrice ». En effet, la désunion belge est-elle une fatalité ? Correspond-elle à un profond sentiment partagé de part et d’autre de la frontière linguistique ? L’on rétorquera que les résultats des dernières élections ont fait la part belle, côté flamand, aux formations anti-belges : sur les 88 sièges « flamands » que comptent les 150 sièges à la Chambre fédérale, le N-VA en a récolté 27 et le Vlaams Belang 12. De plus, avec les 17 sièges des chrétiens-democrates (CD&V) et les 13 des libéraux (OpenVLD), l’on constate que le nord du pays s’est profondément ancré à droite. Les 13 sièges des socialistes (SP.A) et les 5 des Verts (Groen !) cantonnent la gauche flamande – au sens large – à un rôle subalterne. D’un autre côté, il serait hâtif d’y voir une majorité franchement séparatiste. Si l’ensemble des partis institutionnels flamands, en moindre mesure les Verts, vogue sur un régionalisme accentué, l’on ne peut y discerner une volonté clairement majoritaire de voir la Belgique éclater. Par contre, certains votes traduisent un ras-le-bol face à une classe politique népotique (un grand nombre de leaders politiques sont des « fils et filles de ») qui n’entreprend rien contre le délabrement social du pays.

La situation actuelle en Belgique aurait fait s’interroger Cicéron : Cui bono ? A qui le séparatisme profite-t-il ? Car si l’on parle beaucoup des diverses positions des partis et de leurs préoccupations communautaires, l’on a tendance à oublier d’autres acteurs majeurs de la vie sociale belge, et non des moindres : les syndicats. En effet, il est intéressant de constater que la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB, la principale centrale syndicale), contrairement aux partis traditionnels, maintient son unité au-delà du régionalisme. Ce n’est pas pour rien : les défenseurs du salariat savent à quoi s’en tenir. En avril, la FGTB remettait les pendules à l’heure : « la véritable urgence », écrivait-elle, « est de tenir compte du contexte de crise socio-économique grave que nous impose le libéralisme ». Et de formuler un catalogue de dix revendications à l’attention du prochain gouvernement. Il y est question de travail, de solidarité, de services publics, de systèmes sociaux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le séparatisme fleurit davantage au sein de formations de droite. Parallèlement, les formations à la gauche des socialistes et des écolos (notamment le Parti du travail de Belgique et le tout nouveau Front des gauches) refusent pour leur part le jeu communautariste.

Antisystème, le séparatisme flamand ? Certainement pas : les adeptes des mesures néolibérales y trouvent leur compte. La scission du système de sécurité sociale n’est-elle pas une revendication de longue date des flamingants, mettant ainsi fin à la solidarité nationale ? Ce schéma se retrouve un peu partout en Europe : la riche Lombardie contre le pauvre Mezzogiorno en Italie ou les prospères autonomies catalanes et basques en Espagne. Les « Chicago Boys » européens ne peuvent que se réjouir de ces particularismes d’un autre temps.


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