DÉVELOPPEMENT DURABLE: Ma pension, ma caisse !

Au Luxembourg, les voix qui mettent en garde contre un retour au régime de croisière d’avant 2008 se multiplient. La sortie de crise serait-elle l’occasion de changer de modèle de croissance ?

Liberté et sécurité – sont-elles vraiment proportionnelles à la taille de la voiture et au niveau de la pension ?

Crise financière, crise pétrolière … le Luxembourg surnagera-t-il dans ce déluge qui affecte le « monde extérieur » ? Après la demi-crise gouvernementale d’avril, trouverons-nous une voie de sortie en étant « unis, responsables et solidaires », comme vient de le promettre notre premier ministre ? Saurons-nous préserver l’essentiel, à savoir nos pensions et nos voitures ? Certainement pas, répondent des acteurs tels que le Conseil supérieur pour un développement durable (woxx 1063), Déi Gréng et le Mouvement écologique. Leur diagnostic est accablant : il n’y aura pas de retour à la normale. Aussi bien le modèle luxembourgeois de financement de l’Etat providence que l’impact écologique de notre style de vie sont, selon eux, insoutenables à moyen terme. Quant aux alternatives au modèle de croissance révolu, le Mouvement écologique souhaite qu’on en discute enfin, alors que les Verts, dans la perspective d’une participation gouvernementale future, se doivent de formuler des propositions concrètes.

C’est en février que le parti Déi Gréng a entamé l’élaboration du document « Grénge Modell fir d’Zukunft », approuvé par le congrès du week-end dernier. On y retrouve l’infléchissement vers la gauche du discours vert, décelable depuis le début de la crise : sans le nommer, le capitalisme est dénoncé comme « un système économique détaché de toute responsabilité sociale ». Pas moins de trois pages et demie du document sont consacrées à la « sécurisation des pensions », au sujet de laquelle les Verts tirent la sonnette d’alarme depuis de nombreuses années.

Finies les pensions exponentielles !

Comme lors du débat à la Chambre, les Verts comparent la situation actuelle à un « système pyramidal à la Madoff », et annoncent la « Rentemauer » pour 2038. Néanmoins, ils retrouvent un ton rassurant en réclamant une « discussion indispensable sur le financement à long terme de notre système de pensions ». Les propositions avancées sont variées : abaissement du plafond des pensions et des cotisations, taxation des entreprises à faible intensité de main d’oeuvre, réduction des promesses de pension et augmentation de l’âge de la retraite. Cette position à mi-chemin entre les analyses du patronat et du salariat indique que les débats internes chez les Verts ont été vifs. Et ne sont toujours pas clos, comme le suggère le fait que le parti prétend être attaché au système par répartition. Cela est en contradiction avec sa proposition d’augmenter les incitations fiscales pour les assurances privées… donc de favoriser le système par capitalisation.

Si, en matière de pensions, les assertions vertes rappellent l’ambivalence des oracles, le Mouvement écologique joue plutôt les Cassandre. Leur document consacré aux « voies de sortie du piège de la croissance », présenté il y a deux semaines, se base sur une étude de l’expert allemand Dieter Ewringmann. Sans surprise, celui-ci raisonne selon les règles de l’orthodoxie économique : lorsqu’il évoque la « Nachhaltigkeitslücke » (lacune de durabilité) luxembourgeoise, il ne s’agit pas des déficiences en matière environnementale, mais des « déficits virtuels » des budgets publics dus aux dépenses futures pour les pensions. Ewringmann ne résiste évidemment pas au plaisir de citer les chiffres de la BCL, qui, sur base d’une croissance exponentielle, nous prédisent un million de navetteurs – quelle horreur ! Tout cela pour aboutir à une conclusion évidente : si à l’avenir le niveau de croissance est moins élevé, il convient de réformer le modèle luxembourgeois.

Mais qu’en est-il des scénarios catastrophes en matière de pensions, qui sèment le doute sur la pérennité du système par répartition ? Clairement, le rapport entre le nombre de personnes actives payant cotisations et impôts et celui de personnes à la retraite va se dégrader à l’avenir. Cela nous obligera à transférer une part plus importante des richesses produites à des personnes qui ne sont plus productives – qui ne sont autres que nos parents ou les parents de nos collègues de travail.

Ce qui est particulier au Luxembourg, c’est le fait que cette évolution a jusqu’ici été neutralisée par l’augmentation de la population active, notamment des frontalier-ère-s. En première approximation, si cette population active se stabilise, le Luxembourg doit simplement ajuster son système d’assurance vieillesse arrivé à maturité, comme sont en train de le faire les autres pays occidentaux. Ce processus est partout compliqué par le fait que durant la maturation d’un système par répartition, les niveaux de pension peuvent être plus généreux qu’à l’étape finale. En effet, lors de leur introduction, ces systèmes sont beaucoup de cotisant-e-s et peu d’ayants droit, le rapport s’infléchissant progressivement. Le Luxembourg a connu pendant trois décennies une sorte d’équilibre temporaire à un niveau intermédiaire, avec un rapport relativement favorable entre cotisant-e-s et ayants droit. Plutôt que de céder à la panique, il convient de débattre sereinement des exigences envers un système de pensions post-stabilisation, et de l’usage intelligent à faire des opulentes réserves des caisses luxembourgeoises.

Une autre irritation causée par les chantres du développement durable concerne l’amour proverbial des Luxembourgeois-es pour leurs voitures. « Pour connaître le véritable prix du pétrole, il faut observer le Luxembourg depuis le ciel », a lancé le député Camille Gira lors du congrès vert. « Cités d’habitations loin des centres urbains, supermarchés en pleine campagne, réseau dense de routes et d’autoroutes … » Gira a précisé qu’il venait de citer une description critique d’outre-Atlantique, pour conclure : « Au contraire de ce qui se passe là-bas avec Obama, nous sommes en train, avec Livange et Wickrange, de pousser l’`american way of life‘ jusqu’au bout. » La politique des carburants bon marché aurait d’une part généré un coût environnemental important, et de l’autre une forte dépendance à l’égard de l’automobile. Cette dernière, au vu de la hausse des prix pronostiquée, a été baptisée par les Verts « piège du pétrole ».

Auto-indexation ou éco-bonus?

Pour remédier à cette situation, Déi Gréng ne manque pas d’idées : développer les transports en commun, promouvoir les énergies renouvelables, programmer l’assainissement énergétique des habitations, augmenter la taxe d’immatriculation des voitures, abolir le bonus fiscal forfaitaire de déplacement… En matière d’indexation automatique des salaires, après des années de discussions internes, la ligne syndicale semble avoir été défaite : les Verts s’alignent sur la proposition de Jean-Claude Juncker de neutraliser les prix des carburants dans le calcul de l’indexation, ce qui entraînerait une baisse du pouvoir d’achat réel en cas de hausse de ces produits. Le soutien vert est cependant conditionné par des investissements pour réduire la dépendance à l’égard des énergies fossiles, une réforme fiscale écologique et le reversement d’un écobonus indépendant du revenu à chaque ménage. Ce dernier point est présenté comme correctif social, puisque les personnes à revenu peu élevé toucheraient ainsi un montant plus élevé que celui qui leur échappe à cause de la manipulation de l’indexation.

A moyen terme, l’argument des Verts qu’il s’agit là de « politique sociale préventive » convainc : mieux vaut taxer aujourd’hui l’énergie et provoquer ainsi des changements de comportements que de voir demain exposé-e-s les plus faibles aux conséquences d’une flambée des prix. Mais la crédibilité de Déi Gréng et des organisations environnementales en général a été ébranlée par le débat autour du prix de l’eau, où l’on s’est enthousiasmé pour des augmentations de prix pseudo-écologiques sans avoir de véritable réponse aux questions sociales y afférentes.

Mais la véritable faiblesse de la proposition verte est ailleurs. L’écobonus et les investissements prévus doivent en effet être financés par la recette supplémentaire issue de la taxation de l’énergie. Hélas, ce calcul ne tient pas la route. On se souvient qu’il y a quelques années, conseillé par l’incontournable Dieter Ewringmann, le gouvernement avait entrepris, d’« optimiser » les recettes fiscales du tourisme à la pompe. Si on augmente les prix des carburants, on s’éloigne de cet optimum, et les recettes baissent. Certes, les automobilistes luxembourgeois payeraient alors plus, mais cela ne suffirait pas à compenser la baisse du chiffre d’affaires due à la perte d’une partie de la clientèle étrangère.

Double dépendance

Pour se libérer de cette dépendance, le budget de l’Etat devra passer par un sevrage douloureux. Ce n’est qu’une fois que les niveaux de prix luxembourgeois seront proches de la normale européenne que des augmentations de taxes pourront à nouveau générer des rentrées supplémentaires, en prenant garde toutefois, vu la petite dimension du grand-duché, à ne pas dépasser les niveaux des pays voisins. En résumé, l’écofiscalité proposée par les Verts est judicieuse du point de vue écologique, mais coûteuse du point de vue budgétaire.

Pourrons-nous nous échapper indemnes du piège du pétrole et, plus généralement, du piège de la croissance ? Il ne convient pas d’en rester aux extrapolations brutes telles qu’on les trouve dans le papier du Mouvement. La culture du gaspillage des décennies passées, en matière de consommation d’énergie comme de terrain, laisse une marge pour des sauts qualitatifs – si on s’y met sérieusement. En exigeant que l’impasse dans laquelle nous a mis le modèle actuel soit mise à l’ordre du jour du « pacte climatique », le Mouvement fait d’ailleurs entendre qu’il ne se contentera pas de quelques « mesurettes ».

Cependant, le risque existe qu’à la recherche d’un contre-modèle, on s’engage dans une sorte de repli national-bourgeois : faisons porter aux frontalier-ère-s le coût de notre adaptation, et s’ils s’en vont, tant mieux, on sera plus tranquilles dans nos villas… Or, un Luxembourg prospère n’est viable qu’en tant que pôle urbain au centre d’une Grande-Région. Un repli sur les frontières nationales, un recul de la main d’oeuvre au lieu de sa stabilisation, seraient fatals. En matière de développement durable, par exemple en ce qui concerne la mobilité, l’alternative aux 300.000 conducteur-trice-s sur les routes n’est pas d’en retirer 100.000 frontalier-ère-s, mais de construire un réseau de train-tram pour 700.000 abonné-e-s.

www.greng.lu
www.oeko.lu


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