SERVICES PUBLICS: De l’électricité dans le gaz

Lundi dernier, le conseil communal de la capitale a approuvé l’option d’intégrer les réseaux d’énergie dans la société Creos/Enovos. Le personnel communal est quant à lui prêt à lutter pour empêcher cette libéralisation.

La grève du personnel des réseaux qui a eu lieu l’automne dernier n’aura pour l’instant pas suffi à faire fléchir les pouvoirs publics. Mais les syndicats se disent prêts à de nouvelles actions.

Le temps était chaud et orageux. Comme une métaphore de ce qui se prépare au Knuedler depuis plusieurs mois. Lundi dernier, le conseil communal de la capitale s’est réuni avec un point unique à l’ordre du jour : un vote « de principe » sur les trois options envisageables concernant l’avenir des réseaux d’électricité et de gaz ainsi que du personnel en question. Et tandis que les membres du conseil se réunissaient à l’intérieur de l’Hôtel de Ville, une bonne centaine de fonctionnaires s’étaient rassemblés devant l’enceinte, armés de leurs drapeaux syndicaux et de leurs cornes de brume. Ils ne les utiliseront toutefois plus une fois installés dans la tribune des spectateurs de la salle plénière. Ce qui leur permettra par contre de marquer avec force applaudissements leur soutien à l’un ou l’autre conseiller.

La bataille relative à la libéralisation des réseaux d’énergie bat son plein depuis plusieurs mois. Le dernier temps fort fut la collecte des signatures nécessaires au déclenchement d’un référendum. Alors que les syndicats avaient réussi à convaincre plus du cinquième des citoyens de la ville – quota nécessaire – les services de cette dernière en ont invalidé plusieurs milliers sous prétexte que toutes les données de certain-e-s signataires n’avaient pas été remplies de main propres. En effet, certain-e-s citoyen-ne-s avaient rempli des cases à l’aide de l’ordinateur avant d’y apposer leur signature sur le document imprimé. Etrange comportement pour une administration communale qui se veut à la pointe de la technologie.

Le bourgmestre Paul Helminger (DP) a tenté par la suite de faire avaler la pilule de l’intégration des réseaux et du personnel dans la société privée Creos/Enovos, lors de réunions avec le personnel. Or, confronté à l’argumentation des syndicalistes et des délégations du personnel, tenants du maintien de la gestion des réseaux par les services communaux, le bourgmestre abattait la carte du dialogue : il serait prêt à discuter des trois options possibles et d’en laisser décider le conseil communal. La première option étant celle prônée par les syndicats, la seconde étant la création par la ville d’une société de droit privé et la troisième, favorisée par la coalition bleue-verte, est l’intégration des réseaux dans Creos/Enovos.

Mais lorsqu’en politique, un pouvoir annonce jouer la carte du dialogue, l’on peut être sûr qu’il se terminera en dialogue de sourd. Et c’est l’impression qui prévalait lors de cette réunion. En affirmant par exemple que le personnel souhaitait une « décision rapide », la majorité a plutôt fait preuve d’un « wishful thinking » : un sondage mené le 6 juillet par les syndicats auprès des fonctionnaires a établi exactement le contraire. Des 162 membres du personnel (sur 183), 90,1 pour cent s’opposent à ce que le conseil prenne une décision hormis si elle est favorable à la première option. D’ailleurs, sur d’autres points sur lesquels les membres du personnel ont été interrogés, la réponse était encore plus claire et nette : 100 pour cent se sont exprimés en faveur de la première option, 90,7 pour cent se sont déclarés prêts à participer à des actions syndicales avant le 12 juillet et 94,4 pour cent refusent que les délégations et les syndicats acceptent la troisième option si celle-ci devait être adoptée par le conseil.

Opacité et méthodes manageriales

Ce mandat syndical clair semble en tout cas avoir revigoré certains partis d’opposition, le LSAP en tête. Le groupe socialiste n’a en effet pas toujours été extrêmement soudé sur la question. Et pour cause : jusqu’à il y a peu, le président de la section de la capitale n’était personne d’autre que l’actuel ministre de l’économie, Jeannot Krecké, un des maîtres d’oeuvre de la libéralisation de l’énergie. Mais voilà, la mobilisation syndicale, à l’image de ce qui s’est passé lors des négociations tripartites, fait toujours son petit effet sur les socialistes. Et ce sont deux des quatre conseillers qui sont montés au créneau. Marc Angel d’abord, le président du groupe, s’est dit « choqué de la manière dont procède le conseil échevinal », et, en brandissant les quelques feuilles qui constituent le dossier que la majorité a transmis au conseil communal, s’est indigné du manque d’information à propos d’un sujet « essentiel ». Pour son collègue de groupe Armand Drews, la minceur du dossier aurait au moins le mérité d’être « écologique ». Mais il s’en prend surtout à l‘ « arrogance » de la société de communication qui a été chargée par la ville d’expliquer les « enjeux » des changements à venir et qui aurait tenté de procéder à un « lavage de cerveaux ».

Un point que les syndicats, dans leurs documents bien plus fournis, attaquent vertement. En effet, ils y dénoncent l’application de la méthode Lewin du « unfreeze ». Cette méthode de management serait très en vogue et porterait même un nom : le « change management ». Kurt Lewin est considéré comme le père de la psychologie de motivation, dont de nombreuses entreprises adoptent les méthodes en envoyant leurs cadres dans des stages aux activités grotesques. Sa méthode repose sur plusieurs étapes. La première consiste à « délier l’équilibre stable dans lequel se trouvent les collaborateurs », les « sensibiliser au changement et à l’adaptation ». Dans la phase suivante, ils doivent « assimiler le comportement souhaité », afin, dans une troisième phase appelée « refreezing », de les « congeler dans un nouvel équilibre », « d’éviter une rechute » et de les « récompenser de manière ciblée ». Malheureusement pour la majorité, les frais investis dans les cinq workshops auxquels ont dû participer les membres du personnel, n’ont pas apporté les fruits escomptés. La liberté de jugement ne se plie pas systématiquement aux lubies totalitaires des publicitaires.

Mais apparemment, l’argumentation employée par la majorité, le raisonnement « TINA » (« there is no alternative ») ne passe pas auprès du personnel. Unisono, les conseillers Carlo de Toffoli (déi Gréng) et Claude Radoux (DP) décrètent que l’option de l’autogestion par la commune des réseaux ne serait « pas vivable ». Sans plus de détails, évoquant uniquement la « complexité » du monde libéralisé. Radoux va plus loin, en admettant que si les expériences faites jusqu’ici avec des réseaux libéralisés, comme en Allemagne, ne se sont pas montrées satisfaisantes, il faudrait tout de même continuer dans cette voie. Comprenne qui voudra. L’argumentation est assez faible comparée au document établi par une fiduciaire pour le compte des syndicats et qui prouve le contraire.

Car un des points d’achoppement reste la question de la comptabilité. C’est un des arguments centraux employé par la majorité : les communes ne pourraient pas utiliser de comptabilité commerciale requise par la loi dans nouveau contexte. « Faux », rétorque le conseiller Angel, qui cite le ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf (CSV) dans une réponse parlementaire à ce sujet. L’article 69 de la loi communale n’interdit pas le recours à la comptabilité commerciale.

Quant à l’argument de la présence des représentants des pouvoirs publics au sein du conseil d’administration de la société Creos/Enovos (trois sur douze) et un actionnariat qui monterait de 39 % des parts à 44, il a fait la joie de l’opposition. Suscitant l’hilarité générale, le conseiller Jacques-Yves Henckes (ADR) en a profité pour citer le banquier Albert Frère : « Petit actionnaire minoritaire : petit couillon. Grand actionnaire minoritaire : grand couillon ». Plus prosaïques, les syndicats craignent pour le droit de contrôle de la commune. Quelle qu’en soit la composition, un conseil d’administration d’une société privée se doit de défendre prioritairement les intérêts de la société et ceux de ses actionnaires. « Que se passera-t-il », demandent les syndicats, « si la société a le choix entre plusieurs investissements possibles et qu’elle fasse le choix des plus lucratifs aux dépens des impératifs de l’intérêt public ? ». La gestion communale serait dans ce sens la plus transparente et la plus démocratique. Mais la démocratie ne semble pas être la priorité de la coalition échevinale à Luxembourg.


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