Le cancer, un thème a priori morbide, est au centre de la dernière comédie de Bertrand Blier, « Le Bruit des glaçons » – pari risqué et gagné haut la main.
Peut-on rire du cancer ? Peut-on, comme le faisait le célèbre humoriste français Pierre Desproges dans une de ses dernières apparitions avant de succomber à une tumeur pulmonaire, proférer des énormités comme : « Plus cancéreux que moi, tu meurs » ? Oui, on peut – et même avec une bonne conscience.
Certes, le cancer est et reste un drame, une maladie souvent incurable qui tue des millions de personnes chaque année et semble être ce que la plupart de nous redoutent, ou acceptent déjà passivement à l’avance. Car le cancer est aussi un phénomène de notre société et ce n’est pas seulement depuis « Homo Faber » de Max Frisch qu’il est devenu une métaphore pour nos peurs intérieures qui nous dévorent et finissent par nous tuer. En fin de compte, pathologiquement, un corps qui couve un cancer est un corps qui s’autodétruit. Ce sont ses propres cellules qui commencent à muter et à attaquer ce qui le compose.
Ce pourrait être cette vue des choses qui a motivé Bertrand Blier à réaliser un film comme « Le Bruit des glaçons ». Ici, Charles, un écrivain connu mais sur la pente descendante – il a déjà eu son Goncourt, sa femme vient de le quitter – végète devant lui dans sa villa isolée quelque part au Sud de la France. Depuis qu’il est seul, il a arrêté d’écrire et a préféré se réfugier dans le blocage artistique et l’alcoolisme. En d’autres mots, il passe ses journées à siffler des bouteilles de blanc, qu’il transporte toujours dans un bac à glaçons qui l’accompagne partout – d’où le titre du film – et à sauter sa jeune maîtresse russe. La seule âme qui s’attache encore un peu à lui, c’est Luisa, sa servante.
Voilà qu’un jour, le vidéophone de sa porte d’entrée montre un curieux bonhomme devant les portes cochères de son domaine. Plus curieux encore, celui-ci prétend n’être rien d’autre que son cancer. Il lui explique qu’il était temps de faire connaissance, vu que ses jours étaient de toute façon comptés. Après quelques tractations, Charles et son cancer entrent en contact, sifflotent même du blanc près de la piscine et semblent s’entendre comme larrons en foire. Le laisser-aller désabusé de Charles faisant le reste. Mais pourtant, à partir d’un certain instant, il résiste – surtout après avoir découvert que Luisa souffre elle aussi d’une méchante petite vieille qui la poursuit, son cancer des seins.
« Le Bruit des glaçons » est un film sur le genre humain, sur nos peurs et sur nos espoirs de peut-être pouvoir s’en tirer, même après que notre entourage nous a lâché. Mais c’est aussi le portrait d’une société qui se cache devant elle-même, ses désirs et ses déboires. Comme Luisa la servante, amoureuse de son patron depuis des années et qui essaie d’étouffer cette flamme en se dévouant et en se dégradant davantage encore. Ou comme Charles justement, qui ne veut plus rien savoir de la vie qui pouvait l’attendre hors des enclos de son domaine – qui ne s’intéresse qu’à sa misère, son vin blanc, ses glaçons et en fin de compte sa propre mort. En fait, on pourrait dire que les deux ont appelé leurs cancers.
En fin de compte, « Le Bruit des glaçons » est un film qui ne peut laisser froid. C’est dû à Blier, mais aussi à son duo d’acteurs impeccables avec un Jean Dujardin vieilli et authentique dans le rôle de l’écrivain et un Albert Dupontel en parfait avocat du diable en tant que personnification de son cancer. Un film dont vous ne ressortirez pas comme vous y êtes entré.
A l’Utopolis.