ELECTIONS COMMUNALES: L’autre moitié

Les élections communales en ligne de mire, les électeurs les plus en vue en ce moment semblent être les étrangers. Pourtant, le tableau est loin d’être noir ou blanc.

Fière de se faire ré-élire – aussi – par des étrangers: Lydia Mutsch avec les membres de la commission consultative pour l’intégration.

Elle sourit de toutes ses forces, comme si elle devait déjà s’entraîner pour les marathons de grimaces, d’inaugurations et de bisous que sera sa campagne de réélection en tant que bourgmestre d’Esch-sur-Alzette. Lydia Mutsch est contente donc, et il y a de quoi. Sa commune, se veut à l’avant-garde de ce que devrait être le pays entier. En tout cas en ce qui concerne la motivation des ressortissants étrangers à participer activement à la vie politique. C’est pourquoi Mme Mutsch, ainsi que des membres de la commission consultative pour l’intégration de la ville d’Esch, viennent de présenter cette semaine leur deuxième campagne d’incitation destinée aux étrangers qui souhaitent aller voter aux élections communales le 9 octobre.

La campagne « Ta ville t’écoute – Inscris-toi ! », qui se compose essentiellement de flyers expliquant les démarches à suivre pour accéder au vote et de stands d’information dans la zone piétonne et commerçante de la ville, a pour objectif d’attirer encore plus d’étrangers vers les bureaux de vote en automne.

Que ce geste n’est pas qu’une aumône ou un acte de façade se lit dans les chiffres qui détaillent la population eschoise : 53 pour cent des habitant-e-s sont effectivement non-luxembourgeois, ce qui donne plus ou moins 16.000 personnes en tout, dont 32 pour cent sont d’origine portugaise. Autant dire qu’en matière d’intégration, il y a du pain sur la planche. Car plus de la moitié de la population n’est pas inscrite d’office sur les listes et ne vote donc pas automatiquement, alors que dans une démocratie véritable, la moindre des choses serait d’intégrer toute la population dans ses processus décisionnels. Pourtant, même à Esch on est loin du compte. Aux dernières élections communales, seulement 1.205 personnes d’origine étrangère ont voté. Même si les choses se sont améliorées – début janvier quelques 1.800 étrangers étaient déjà inscrits au vote à Esch – il ne faut pas se voiler la face devant l’évidence que la majorité des étrangers ne vote toujours pas.

A Esch du moins, l’administration communale se donne beaucoup de peine pour améliorer l’état des choses et instaurer une démocratie pour tout le monde. Ainsi, toutes les commissions de la ville – consultatives ou non – fonctionnent de façon transversale afin de mieux coordonner les efforts d’intégration. Cela aussi pour préparer le terrain au fameux « pacte d’intégration » que la commune eschoise s’apprête à signer avec l’Asti dans les mois à venir. L’intégration, si elle existe, doit avoir lieu à tous les niveaux. Ainsi, la bourgmestre a promis entre autres de faire un effort sur la culture et de profiter de la réouverture du théâtre communal pour pratiquer aussi une ouverture culturelle envers la population de sa ville. L’accès à la culture sera renforcé et l’accent sera mis sur des spectacles dans lesquels les étrangers et les jeunes peuvent se reconnaître, promet-elle. « Intégrer des populations étrangères ne se limite pas à l’organisation de fêtes et de concerts. Dans ce cadre, le pacte d’intégration est un outil très important pour la politique aussi bien communale que nationale ». La ville prévoit aussi la création d’un « carnet d’intégration » pour les ressortissants étrangers, ainsi que la mise à disposition de personnes de référence en cas de problèmes. De belles perspectives, donc. Toutefois, il ne faut pas oublier l’échéance électorale qui fait éclore plus d’une belle fleur de promesses, aussi vite fanée après la prise de pouvoir.

Voyage dans les paradoxes

Car l’enjeu du vote étranger est un des rares où le Luxembourg, de par son taux élevé d’étrangers, peut jouer un rôle d’avant-garde et servir d’exemple pour ses voisins. En réussissant à intégrer la population étrangère dans le processus démocratique, cela contribuerait à désamorcer beaucoup de préjugés à son encontre. Mais nous sommes toujours loin d’une réelle intégration, comme le démontrent les chiffres que vient de fournir l’Asti. En effet, même avec ses 1.800 inscrits, le pourcentage d’électeurs étrangers d’Esch ne dépasse pas les 14,4 pour cent. Donc un peu plus d’un dizième de la population étrangère qui a le droit de voter à condition de s’inscrire, comme le veut le traité de Maastricht. D’ailleurs, il est intéressant de noter que le Luxembourg a obtenu une dérogation aux règles générales fixées à Maastricht et pour une fois dans la bonne direction : ainsi, au grand-duché, ce sont aussi les étrangers de pays « tiers » – donc non membres de l’Union Européenne – qui peuvent s’inscrire sur les listes.

Mais attention : une fois inscrit, l’étranger tombe sous la loi électorale luxembourgeoise. Au lieu d’obtenir un droit de vote, il est, comme ses concitoyens nationaux, dans l’obligation de voter. Et ce n’est pas le seul paradoxe qui touche au vote des étrangers. Ainsi, on est en droit de se demander pourquoi les listes d’inscription ne sont pas prises d’assaut par la communauté étrangère. C’est tout de même un formidable outil pour un groupe de gens que l’opinion publique se plaît toujours à désigner comme le mal incarné.

Une des raisons pourrait être le long chemin parcouru vers l’inclusion des étrangers dans le processus électoral. En effet, 2011 est la première échéance où les électeurs peuvent s’inscrire encore trois mois avant de faire leur croix pour le parti où les candidats de leur choix. Avant, le délai était de plus de 12 mois avant les élections, ce qui explique que beaucoup de personnes n’avaient pas eu connaissance de leur droit, ou ne pouvaient plus s’inscrire au moment où ils en avaient pris conscience. C’est donc une amélioration que salue aussi l’Asti : « Nous sommes heureux qu’il y ait eu un appel à projets dans le contexte des élections », commente Jean Lichtfous, le porte-parole de l’association. Toutefois, la solution proposée par le gouvernement et les initiatives des communes ne correspondent pas aux revendications initiales de l’Asti : « En fait, on aurait pu faire l’économie de ces sommes dépensées dans des campagnes d’information pour les investir par exemple dans du matériel d’information sur les enjeux des élections, les partis et les possibilités de tout un chacun. Pour cela, il suffirait d’appliquer le traité de Maastricht à la lettre et d’inscrire d’office les étrangers résidant au Luxembourg ».

Il est vrai que parmi les étrangers vivant sur notre territoire, il en existe sûrement dont l’éducation démocratique et la prise de conscience de ce qu’est une démocratie n’est pas comparable aux autres résidants, surtout s’ils ont fui des pays dépourvus de traditions démocratiques – en fin de compte, la démocratie est quelque chose qui s’apprend lentement. « Le problème actuel, c’est que les campagnes pour l’inscription au vote ne sont pas coordonnées avec la campagne tout court. Les élections d’octobre ne sont pas encore un thème dominant dans les médias. C’est pourquoi nombre d’étrangers ne sont tout simplement pas encore au courant. Les partis feraient mieux d’informer les gens sur les enjeux des élections, au lieu de leur détailler les conditions et l’acte technique de l’accès au vote. Si les gens étaient informés, le vote étranger exploserait à coup sûr ».

Toutefois, il existe une lueur au bout du tunnel qui démontre que l’état des choses n’est pas immuable : « On a l’impression que la volonté politique d’inclure les citoyens étrangers dans le vote a progressé. Cela est certainement en rapport avec l’étude de l’Université sur les élections de 2009, qui vient de paraître (voir page 3). Quand les politiciens se sont aperçus que le vote des étrangers était assez similaire à celui des Luxembourgeois – avec plus de voix pour les conservateurs et les verts – certains ont peut-être cessé d’avoir peur de voir des étrangers aux urnes. »

www.elections.public.lu


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