MARIAGE: Les frontières de l’amour

La Commission consultative des droits de l’Homme a vertement critiqué le projet de loi sur les mariages de complaisance ou forcés. Un texte qui n’hésite pas à faire fi des droits les plus élémentaires.

Ils étaient trop beaux pour que l’on puisse croire à un mariage de complaisance. Mais un fonctionnaire un tantinet zélé
se serait questionné sur la liaison
entre cette jolie Cubaine et ce beau Luxembourgeois bien blond.

« Heureusement que ces organisations existent ! Elles font le travail à notre place ! » La députée socialiste Lydie Err était de bonne humeur cette semaine, lorsque nous l’avons contacté au sujet de l’avis rendu par la Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH) au sujet du projet de loi sur les mariages blancs et les mariages forcés. Il faut dire que le ciel bleu y était pour beaucoup. Mais elle nous prévient d’emblée : « J’ai lu l’avis mais je n’ai pas encore eu le temps de lire sérieusement le projet de loi ». Il faut dire que l’avis de la CCDH tombe à un moment où l’on ne s’y attendait pas vraiment. Le dépôt du texte date en effet de juillet 2008 (voir woxx 968), rédigé avant que Luc Frieden (CSV) ne transmette le portefeuille de la Justice à son camarade de parti François Biltgen lors de la législature suivante.

Depuis, c’est silence radio, le Conseil d’Etat n’ayant pas encore avisé le projet afin d’engager les travaux parlementaires au sein de la commission juridique. D’ailleurs, la présidente de ladite commission, Christine Doerner (CSV) – notaire de profession et spécialisée au sein de sa fraction dans les questions d’ordre matrimoniales ? s’est elle aussi désolée de n’avoir pas encore pu se pencher sur le texte, d’autant plus que le sujet l’« intéresse énormément ». En fait, seul la Conseil national pour étrangers avait émis un avis critique en avril 2009. Et c’est vendredi passé que la CCDH a ressorti ce dossier des oubliettes. L’on peut néanmoins d’ores et déjà parier que le texte original connaîtra de forts remaniements avant son vote à la Chambre. Car si Lydie Err – qui siège également au sein de la commission juridique – préfère ne pas encore s’exprimer sur les détails, faute de l’avoir étudié en profondeur, elle affirme toutefois partager les objections de la CCDH.

Et elles ne sont pas des moindres. Olivier Lang, avocat et membre de la CCDH, se montre d’emblée sceptique par rapport à l’affirmation, dans l’exposé des motifs du projet, selon laquelle les « mariages simulés » constitueraient un « phénomène régulier » et se rapporte à une question parlementaire que Claude Meisch (DP) avait posée à Luc Frieden en février 2009 et à laquelle ce dernier avait répondu que « par la nature des choses, il n’existe évidemment pas de statistiques sur lesdits mariages. Le ministre n’a pas connaissance d’une annulation judiciaire d’un tel mariage ». De plus, c’est le terme même employé de « mariage simulé » qui pose problème à la CCDH, étant donné qu’il ne permet pas de distinguer les « mariages de complaisance » et les « mariages forcés ». Si, à d’autres endroits du texte, cette distinction terminologique est établie, elle tend néanmoins à les citer dans un contexte similaire et à en estomper les contours. Pourtant, la différence est de taille, car si le mariage de complaisance repose sur le consentement mutuel des deux personnes, le mariage forcé contraint l’un ou les deux partenaires à convoler.

L’obsession migratoire

Ce qui gêne plus profondément la CCDH, c’est l’approche des auteurs, qu’elle accuse de « se focaliser uniquement sur le mariage contracté à des fins migratoires », ce qui mènerait à une discrimination de futurs époux ou épouses issu-e-s d’un pays tiers. A l’heure actuelle déjà (voir encadré), le parcours peut s’avérer particulièrement éreintant pour des couples mixtes. Si le texte devait être appliqué en l’état, la procédure de mariage pourrait, selon les termes de Lydie Err « prendre une tournure policière ». En effet, l’officier d’état civil se voit octroyer de nouvelles prérogatives « pour l’exercice desquelles il n’est en plus absolument pas formé ».

La CCDH déplore en effet que d’un côté les comportements prohibés ne soient pas définis dans le corps de la loi, mais que de l’autre, l’officier d’état civil peut saisir le procureur sur base de soupçons quant au comportement des candidats au mariage lors d’une audition préalable dont le déroulement n’est pas défini. Le texte prévoit que les indices doivent être « sérieux » et en énumère toute une liste : projets de mariage successivement reportés ou annulés, incohérences sur les circonstances dans lesquelles les conjoints se sont rencontrés ou encore un changement notable du train de vie d’un futur conjoint. Certes, des voies de recours sont possibles. « Mais vu le débordement de la justice, est-ce bien raisonnable ? », demande Deidre Dubois, avocate et membre de la CCDH.

Le problème, c’est que les services de Frieden ont volontairement voulu s’en tenir à l’approche française, qui, si elle n’a pas défini le mariage de complaisance, comprend une jurisprudence qui a vu l’annulation de mariages conclus notamment dans le seul but de percevoir une dot, d’échapper à la conscription ou d’obtenir la délivrance d’un permis de séjour.

Pour corser le tout, la CCDH accuse le projet d’enfreindre les engagements internationaux, comme la Convention de La Haye, notamment en proposant de modifier l’article 47 du Code civil ce qui permettrait au Luxembourg de refuser la reconnaissance des actes des états civils étrangers. Idem pour l’obligation de délivrer à l’officier de l’état civil une justification du domicile ou de la résidence, ce qui interdira à tout futur conjoint en situation irrégulière de procéder à un mariage. Or, cela est en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’Homme qui interdit de subordonner la célébration du mariage à la régularité du séjour d’un futur époux. Dans un pays où les politiciens se pressent aux premiers rangs des lieux de culte pour célébrer les fêtes nationales, l’amour reste chose suspecte.

Le parcours du combattant de Linda et Juan
Si le législateur zélé s’empresse de faire la traque aux mariages de complaisance, la situation actuelle ne se montre déjà pas très tendre envers celles et ceux qui forment un couple sans arrière-pensée autre que celle de vivre ensemble. Linda et Juan se sont rencontrés lors de leurs études à Heidelberg et sont ensemble depuis 2003. Jeunes trentenaires, ils élèvent leur fille de sept ans à Esch-sur-Alzette où ils vivent depuis 2008. Or, si Linda est luxembourgeoise, Juan est lui colombien. Grave erreur, car l’administration luxembourgeoise semble ne pas avoir prévu le cas d’une union entre un national et une personne venant d’un autre continent. Tout a commencé en 2007, lors d’une demande d’un dossier de mariage auprès de l’état civil. Si la loi luxembourgeoise exige de la part des époux un certificat de capacité matrimoniale, un tel document n’existe pas en Colombie. Il n’empêche qu’il y a un équivalent : Juan se procure ainsi un document validé légalement par un notaire colombien et dans lequel il a certifié sous serment qu’il n’était pas déjà marié. Ce document qui a valeur légale en Colombie a néanmoins été refusé par les autorités luxembourgeoises pour des raisons obscures. Le problème a néanmoins été résolu par l’entremise d’une personne de bonne volonté. Comme Linda et Juan désirent se « pacser », l’état civil les envoie vers le Parquet général avec la promesse que tout serait en ordre au bout d’une semaine. Au bout de deux mois, le parquet les renvoie à l’état civil qui fera encore durer l’affaire, entre autres sous prétexte d’un problème informatique. En tout et pour tout, la procédure de conclusion de partenariat aura duré trois ans ! Mais voilà que pointe un autre problème : le visa Schengen accordé à Juan expire en juin de cette année et s’il n’obtient pas de permis de séjour (qui permettrait également à ce diplômé en histoire, sciences politiques et philosophie parlant parfaitement l’allemand de trouver un travail), il risque de devoir retourner en Colombie. A sa demande auprès du ministère de l’immigration, après deux mois d’attente il a reçu un courrier enjoignant ce père d’une petite Luxembourgeoise de préciser les raisons de sa démarche. Pendant ce temps, Linda accumule les emplois pour subvenir aux besoins de sa famille. Et Juan, qui ne perd pas le sens de l’humour, raconte en riant à quel point ses amis vivant en Colombie s’étonnent de la complexité de la bureaucratie d’un petit pays dont le nombre des habitants n’est pas supérieur à celui d’un « barrio » de Bogotá.
 


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