NIGEL COLE: Made in Disney

« Made in Dagenham » est bourré de toutes les bonnes intentions dont l’enfer est pavé. En bref : trop sucré pour être vrai.

Oyez ! La femme se libère et tout est parfait… Du moins à l’écran.

Il était une fois une usine Ford. Elle se trouvait à Dagenham, non loin de Londres, et depuis 1945 elle était une des plus grandes manufactures d’automobiles en Europe. En 1968 – l’époque où est sensé jouer le film – Ford emploie 400.000 ouvriers au Royaume-Uni. Alors que le personnel de Dagenham est essentiellement masculin, l’usine emploie aussi 187 femmes dont le job est de coudre les sièges et l’équipement intérieur des Ford Cortina, qui quittent la chaîne chaque jour. Mais tandis que les hommes profitent de bonnes conditions de travail et gagnent plus ou moins bien leur vie – il ne faut pas oublier qu’en 1968 les travaillistes sont au pouvoir et que personne ne prévoit encore les ravages du thatcherisme à venir une bonne décennie plus tard – les femmes croupissent dans un atelier surchauffé avec d’énormes trous dans le toit et gagnent moins de la moitié de ce que ramènent les hommes.

Une situation fondamentalement injuste, puisque le travail est le même et que leurs conditions sont encore plus pénibles. Heureusement les femmes aussi se sont organisées dans un syndicat. Et ainsi une lutte a priori anodine – les ouvrières ne reclamaient qu’un reclassement en tant que personnel qualifié, afin de pouvoir revendiquer plus de salaire – devient vite un enjeu sociétal qui va finalement aboutir à une loi imposant un salaire égal entre les sexes.

Voilà pour la théorie. En pratique, imposer l’égalité salariale a requis plus d’un coup de baguette magique. D’abord à cause des syndicats eux-mêmes. Si les femmes de Dagenham profitent d’un soutien sans faille d’Albert, leur délégué local, les chefs des syndicats sont « not amused » face à cette grève qui rend encore plus difficile leurs luttes déjà engagées. Au niveau de Ford ça coince aussi : Henry Ford II, en digne héritier de son pionnier capitaliste et sympathisant fasciste de père, ne veut pas entendre parler d’un salaire égal pour ses ouvrières et ne rechigne pas à mettre la pression sur les politiciens anglais, leur rappelant qu’il pourrait aussi très bien produire ses voitures ailleurs.

Mais il semble que le destin en ait voulu autrement, car il se trouve que le ministère de l’emploi est tenu par une femme. Et pas n’importe laquelle, car Barbara Castle était une des premières femmes députée et ministre du Royaume-Uni. Travailliste de surcroît, elle est très sensible à la lutte des coudeuses de Ford et finalement elle les soutient contre leur employeur. Tout est bien qui finit bien, donc.

Vraiment ? Non, car ce que «Made in Dagenham » asserte n’est pas la réalité du terrain. Toutes les études récentes démontrent que l’égalité salariale entre hommes et femmes est loin d’être atteinte. Certes, on a légiféré et certes la commissaire européenne Viviane Reding profère des menaces très claires à l’adresse de l’industrie, toujours est-il que les femmes sont moins bien traitées que les hommes par le patronat. Ce que le film suggère est donc faux et dangereux – il donne l’impression que le combat pour l’égalité entre hommes et femmes serait terminé, alors que ce n’est nullement le cas.

Faire un film sur des événements réels et historiques est toujours un pari délicat, surtout quand on touche à l’Histoire avec un grand « H ».
Les risques de la vulgarisation historique et d’une narration hollywoodienne – bien-sûr qu’il y a une histoire d’amour et des drames personnels dans le film – n’ont pas été évalués à leur juste titre par le réalisateur et son équipe. Ils étaient tellement occupés à raconter une belle histoire que la rigueur et le côté réel des choses sont passés à la trappe. Dommage.

A l’Utopia


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