Le nouveau film des frères Dardenne est réputé moins lourd et négatif que leurs travaux précédents. Pourtant, « Le gamin au vélo » n’épargne rien de la noirceur de l’humanité.
C’est dans le désespoir et l’apathie de la banlieue liégeoise que les frères Dardenne pêchent leur inspiration pour « Le garçon au vélo ». Et encore une fois ils réussissent à élever une histoire toute banale au rang d’oeuvre artistique. Celles et ceux qui mettraient en doute le réalisme de leur histoire n’ont qu’à taper le nom de la cité où se déroule l’intrigue dans la barre Google de leur browser : les trois premières entrées qu’on obtient avec « Val Potet » sont des vidéos de bagarres entre jeunes, filmés avec des portables.
« Le gamin au vélo» est l’un d’eux. Pour le petit Cyril, à peine onze ans, son vélo est tout ce qui lui reste? ou restait, plutôt. Car après la disparition de sa mère, son père l’abandonne dans un centre pour se refaire une vie dans Liège. Mais pas sans avoir préalablement vendu le vélo de son fils, histoire de se faire un petit matelas avant de recommencer à zéro. Le film commence sur une série de crise de nerfs de son fils, qui se trouve en plein déni de réalité. Il croit toujours aux mensonges paternels : qu’il ne serait placé que pendant un mois au maximum et que le père prendrait garde à son vélo, entreposé dans leur appartement. Cyril va vite devoir apprendre à ses dépens que son père est un lâche et un menteur. Ainsi, il échappe à ses éducateurs pour aller voir de ses propres yeux ce qu’il en était des dires de son père. Confronté à l’appartement vide et à l’absence de son vélo, il refait une crise dans une maison médicale sise dans le même bloc de la cité – qui n’a rien à envier à la Seine-Saint-Denis près de Paris.
Mais cette fois, il tombe sur Samantha, une jeune femme qui tient un salon de coiffure dans les environs. Assez vite, elle va vouloir s’occuper de Cyril et développe un vrai amour maternel pour le petit. En parcourant les environs, elle va racheter son vélo et même l’accueillir chez elle pendant les week-ends. Pourtant, ce qui manque à Cyril ce n’est pas une mère aimante, invasive et protectrice, mais plutôt un père comme modèle. C’est pourquoi la relation entre les deux reste problématique, même après la confrontation avec le père, qui – forcé par Samantha – lui dit qu’il ne veut plus jamais le revoir. Au lieu de se confier à sa « nouvelle » mère, qui va même jusqu’à quitter son petit ami pour rester auprès de lui, il va vite tomber sous l’influence d’un malfrat connu dans toute la cité et qui a vite repéré le petit nouveau pour essayer d’en faire un de ses « hommes » de main.
L’histoire derrière « Le gamin au vélo » est la faillite du modèle paternel au coeur d’une société bâtie sur le paternalisme. Ainsi, les deux protagonistes luttent, chacun à sa façon, contre ce vide qui crée des tensions autour et entre eux. En fait, le nouveau film des frères Dardenne se rapproche beaucoup du désormais classique « La haine » de Mathieu Kassovitz, mais raconté avec infiniment plus de délicatesse et de nuances. Pas besoin de gros flingues et de coke en stock ici, les réalisateurs misent sur une caméra réaliste et une bande originale très spartiate pour pointer tous les détails psychologiques de l’histoire – qui d’ailleurs ne conclut pas, et on peut le dire ici, sur une quelconque considération morale. Ce qui réussit encore plus au film, qui a vraiment mérité qu’on s’y attarde.
A l’Utopia.