Deux bilans en l’espace de trois jours. Le Conseil national pour étrangers et le Collectif réfugiés souffrent du même mal : un manque de prise en considération de la part des autorités.
Deux décors pour deux appréhensions des réalités. La très sage Maison de l’Europe au « Krautmaart » et un container dans l’arrière-cour du foyer Saint Antoine de la Caritas sur la route d’Arlon. Au premier endroit, c’est le Conseil national pour étrangers (CNE) qui a présenté son bilan, au second, le Collectif réfugiés (Lëtzebuerger Flüchtlingsrot – LFR) qui s’est prêté au même exercice en début de semaine. « Nous sommes institutionnels, nos avis n’ont pas grand-chose à voir avec ceux d’autres organisations comme l’Asti, car nous devons faire preuve d’esprit de synthèse », explique d’emblée le vice-président du CNE, Franco Avena, un fonctionnaire européen italien à la retraite, par ailleurs membre du LSAP. Et de remercier, pour sa « modération », la présidente du CNE, Christiane Martin, fonctionnaire luxembourgeoise qui dirige également l’Olai (Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration). Abstraction faite de la personne, qu’une fonctionnaire luxembourgeoise préside d’office le CNE est une anomalie qui va bientôt prendre fin.
En effet, un nouveau règlement grand-ducal, modifiant la composition du CNE, devrait être publié prochainement. Mais de toute évidence, l’administration traîne et ce de manière assez sévère : car le CNE a présenté vendredi dernier le bilan de ses activités depuis le début de son mandat, mais n’est officiellement plus en fonction depuis fin 2010. Elu en juillet 2007 pour une durée de trois ans, le mandat est venu à échéance. Mais comme l’avait fait remarquer avec malice Franco Avena dans un article du « Quotidien » : « La Belgique continue bien de fonctionner sans gouvernement, le CNE peut alors continuer de fonctionner sans règlement. » Dans la réponse à une question parlementaire du député vert Félix Braz, la ministre de tutelle, Marie-Josée Jacobs (CSV), avait assuré que le règlement grand-ducal « est en voie d’élaboration » et qu’il serait « finalisé dans les meilleurs délais ». La réponse date du 12 juillet 2010, donc d’il y a presqu’une année.
Il n’empêche : ce règlement très attendu devrait apporter un certain nombre d’éléments novateurs. La composition paritaire de l’organe (actuellement 15 étrangers et 15 Luxembourgeois) devrait prendre fin. Aussi, le ou la président-e du CNE sera élu par ses membres, alors qu’il est actuellement nommé d’office par le gouvernement. Si la parité doit être abolie, le CNE continuera néanmoins a être composé de manière « représentative »: outre les 22 membres effectifs de nationalité étrangère, il y aura également un représentant des réfugiés, un du Syvicol, quatre des organisations patronales, quatre pour les syndicats et deux représentants de la « société civile ». Cela contribuera-t-il à valoriser l’organe consultatif ?
Une réforme qui se fait attendre
« C’est un outil qui pourrait être intéressant, mais qui ne récolte que peu de reconnaissance de la part des autorités », résume Pablo Sánchez. L’actuel président de la « Maison des associations » et de la Fédération des organisations espagnoles, sait de quoi il parle. Il a été membre du CNE de 1974 à 2004 et dont il a un temps également occupé la charge de vice-président. La considération du CNE est un sujet récurrent. L’année passée déjà, Marie-Josée Jacobs avait dû répondre à des questions parlementaires à ce sujet encore une fois de Félix Braz, notamment sur un prétendu manque d’intérêt de la part du mouvement associatif étranger envers le CNE. En effet, seule une quarantaine d’associations s’étaient inscrites en juillet 2010 comme électrices du CNE, dont une seule d’envergure nationale.
Une question non résolue de manière satisfaisante concerne le mode électoral. Jusqu’à présent, et ce sera encore le cas avec le nouveau règlement grand-ducal, les associations élisent leurs représentants. La proposition, notamment portée en son temps par Pablo Sánchez, de faire élire ces représentants au suffrage universel direct par les non-luxembourgeois, un peu à l’image des chambres professionnelles, n’a jamais été retenue. A travers une telle procédure, la légitimité du CNE serait renforcé. Mais c’est justement peut-être là le problème aux yeux de l’administration.
« Pour la plupart des associations, les activités au sein du CNE sont secondaires, voire tertiaires », explique Sánchez. A son avis, il s’agit d’un problème récurrent du mouvement associatif, dans la mesure où la plupart des associations sont constituées uniquement de bénévoles dont le temps libre est limité. Il devient alors assez rapidement clair que l’engagement au sein d’un organe fédératif n’est pas considéré comme étant prioritaire. Et ce encore moins si cet engagement donne l’impression de n’avoir qu’un impact réduit sur le déroulement des choses. « Le processus décisionnel est long et laborieux, et une fois qu’un avis a été rédigé, il disparaît dans un tiroir », se désole Pablo Sánchez. Si cette affirmation plutôt tranchée doit être nuancée – les avis sont tout du moins pris en compte par les commissions parlementaires respectives lors du processus d’élaboration législatif – elle n’en est pas moins peu éloignée de la réalité. Car si le CNE a effectivement émis des avis critiques par rapport à certains projets de loi, notamment celui sur la libre circulation des personnes, il ne peut, de par sa composition, que difficilement entrer en opposition catégorique.
Une opposition qu’un organisme comme le Collectif réfugiés (LFR) peut afficher. Sous la pluie de ce lundi matin, le container qui accueillait la conférence de presse était (inconsciemment ?) symbolique. Alors que l’opposition au Centre de rétention se fait plus importante, et que même son directeur, Fari Khabirpour, émet des doutes sur le bien-fondé même de cette institution (voir woxx 1115), le LFR n’a pas épargné ses critiques envers la politique gouvernementale. « Seules de toutes petites mesures que nous avons proposé concernant le centre de rétention ont été retenues », s’agace Armelle Ono, représentante de l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture). Quant à Jean Lichtfous, porte-parole de l’Asti, il a lancé un pavé dans la mare : se référant à une décision de la Cour administrative, il a affirmé que des fonctionnaires gouvernementaux auraient collaboré avec certaines ambassades de pays où les droits humains ne figurent pas parmi les priorités des autorités (Angola, Gambie et Iran) au sujet de demandeurs de protection internationale de ces pays se trouvant sur le territoire luxembourgeois. Cette pratique étant illégale, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés aurait été alerté. Excès de zèle ?
Dans le container
Par contre, le zèle se fait plus rare à d’autres niveaux. A l’instar du Conseil d’Etat, le LFR exige du gouvernement qu’il dote les services de l’immigration de « moyens humains et matériels suffisants pour assurer un déroulement rapide des procédures ». Il s’agit du problème de la longueur de la durée en rétention. Si la majorité gouvernementale se targue d’avoir limité cette période à six mois (au lieu des 18 que la « directive `retour‘ permet), le LFR prend le contre-pied en estimant qu’« une privation de liberté de plus de deux mois imposée à une personne qui n’a commis aucun délit est contraire au principe de proportionnalité ». Au-delà, selon le LFR, les répercussions humaines et psychologiques seraient désastreuses. Et l’extension de cette période pourrait encore accentuer davantage « la lenteur et l’inertie observées dans le fonctionnement des services d’immigration ».
De toute évidence, les propos du LFR sont accompagnés d’un fort arrière-goût de déception, étant donné que, comme les avis du CNE, ses avis ne sont pas suivis d’effets concrets. La suite ? A la fin du mois, il compte se réunir une première fois avec la direction du centre de rétention. A l’ordre du jour, le flou qui demeure autour de questions comme les mesures disciplinaires, les possibilités de visites ou même l’aménagement de structures prévues pour les ONG agréées qui font encore actuellement défaut. En attendant de futures actions et dans l’espoir d’être pris au sérieux dans un contexte politique particulièrement vicié au niveau de la question migratoire.