ISLAM LUXEMBOURGEOIS: « Et gëtt kee Gott ausser Allah… »

La Shoura, organe représentatif du culte musulman, sera élue ce dimanche. Elle aura la tâche de conclure avec l’Etat une convention, à l’instar des autres cultes.

Le croissant de lune ira-t-il rejoindre le crucifix et l’étoile de David au firmament
des cultes conventionnés ? Ce sera la première tâche de l’assemblée des croyants qui sera élue ce dimanche.

Alors que le pays commence lentement à entrer en phase électorale avec les communales qui auront lieu le 9 octobre, une autre élection aura lieu ce dimanche. Car au lendemain de ce jour-là, les musulman-e-s du Luxembourg seront représenté-e-s par une nouvelle Shoura, l’assemblée représentative des croyants et qui fera office, à l’instar du Consistoire israélite pour les juifs, d’interlocuteur officiel envers l’Etat. Pour l’instant, environ 2.300 électeurs et électrices se sont inscrit-e-s, soit environ un cinquième de la communauté. Celle-ci n’est pas des moindres car elle représente, en théorie, entre 10.000 et 12.000 personnes. Faute de chiffres officiels, étant donné que les pouvoirs publics ne recensent pas les croyances religieuses, c’est le nombre évalué des citoyen-ne-s de confession musulmane au Luxembourg. L’histoire de l’islam luxembourgeois est assez récente : les premiers musulmans, principalement de nationalité turque, sont arrivés dans les années 70. C’est d’ailleurs une famille turque, la famille Özen, qui a mis à disposition, en 1978, un étage de sa maison pour permettre aux adeptes d’y pratiquer leur culte. Entre-temps, l’on s’accorde communément pour en faire, en termes quantitatifs, après le catholicisme, la seconde confession religieuse du pays.

Ce phénomène est principalement dû aux mouvements migratoires récents : contrairement à nos voisins français ou belges, la majorité des musulmans du Luxembourg ne sont pas issus du monde arabe en général et plus particulièrement du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), mais des Balkans. Selon une estimation de 2004, fournie par le Centre culturel islamique de Mamer, les musulmans des Balkans (anciennes républiques yougoslaves et Albanie) constituent plus de 65 pour cent de l’ensemble des croyant-e-s tandis qu’à peine neuf pour cent étaient à ce moment ressortissants du Maghreb. Aussi, les musulmans de nationalité luxembourgeoise les talonnent avec un peu plus de six pour cent.

Contacté par le woxx, Ahmo Avdic, secrétaire du Centre islamique de Luxembourg, ne pense pas que les Luxembourgeois-e-s se convertissent massivement à l’islam, mais juge néanmoins que ces derniers « ont bien compris l’Islam », contrairement à certains qui le sont par naissance. Un des candidats à la Shoura est d’ailleurs une personnalité de la vie littéraire luxembourgeoise : l’écrivain Jean-Michel Treinen (« Yahya » pour son prénom islamique, qui est l’équivalent arabe de « Jean »). La communauté peut en effet être fière de lui car il est l’auteur de la première traduction du Coran en luxembourgeois. Lui aussi estime qu’il est essentiel que la communauté musulmane soit, à l’instar d’autres cultes, officiellement reconnue. Car même si la présence de l’islam en Europe croît, le contexte mondial délétère depuis les attentats du 11 septembre 2001 a malheureusement écorné la réputation de cette religion, qui souffre d’une vague latente d’islamophobie, au point que nombre de musulmans se voient contraints de se distancier de tels actes alors même qu’ils n’ont aucune raison de le faire. Comme Treinen, qui souligne que « nous ne comptons pas dans nos rangs de prédicateurs de la haine, nous n’avons aucun problème avec les juifs et nous tenons sincèrement à respecter la constitution ».

Rempart contre l’islamophobie

Jean-Luc Karleskind n’aime pas le terme de « converti ». Ce Français de 52 ans a adopté l’islam en 1988, alors qu’il vivait à Londres. « J’étais croyant, mais je n’arrivais pas à m’identifier avec la religion avant de rencontrer l’islam ». Plutôt que de conversion, il préfère parler de « retour aux origines », voyant dans l’islam l’achèvement de la religion d’Abraham et donc aussi du christianisme. Ce musulman de longue date ressent également un certain basculement de l’opinion publique envers l’islam : « Avant le 11 septembre, être musulman soulevait beaucoup moins de méfiance ». Très engagé dans la communauté – il est membre fondateur de l’association islamique « Le juste milieu » de Bonnevoie (LJM) – en lui mettant à profit ses compétences professionnelles, notamment en informatique, il fixe également comme priorité de la prochaine mandature de la Shoura, la négociation et la conclusion de la convention entre le culte musulman et l’Etat.

Cela fait un certain temps que le dossier traîne. Depuis qu’un projet de loi y afférent avait été approuvé par le Conseil de gouvernement en 2007, les négociations n’ont pas vraiment abouties. La raison évoquée par le gouvernement est l’absence d’interlocuteur. Si une Shoura existait bien à ce moment, elle n’était pas considérée comme interlocuteur valable. « Le gouvernement nous a dit qu’il avait un problème avec nos structures », explique Karleskind. De plus, le CSV ne voulait pas en faire un enjeu pour les élections de 2009. Il est vrai que la communauté connaissait alors quelques problèmes internes. Le centre islamique de Mamer, une des associations historiques et comptant environ 200 membres, s’était retiré de la Shoura qu’elle a à nouveau rejoint cette année.

Désormais, les conflits internes semblent être dépassés. A quelques exceptions près : le Centre culturel islamique du Nord sis à Wiltz (CCIN) a annoncé qu’il n’allait pas participer à l’élection de la nouvelle Shoura ce dimanche. L’élection de la Shoura passe par les six associations islamiques qui la constituent et qui font également office de bureau de vote. Or, le mode de scrutin vient ce mois-ci de subir une modification substantielle. Si auparavant, chaque association disposait de quatre délégué-e-s à la Shoura, « régionalisant » en quelque sorte le scrutin, la Shoura vient de le « nationaliser ». En clair, les associations n’ont plus qu’un seul siège qui leur est dévolu automatiquement (le candidat de chaque association récoltant le plus grand nombre de suffrages est élu). Les autres sièges vacants sont attribués aux candidats les mieux élus, indépendamment de leur appartenance à telle ou telle association.

Un Islam « nationalisé »

Une situation que ne tolère pas le CCIN, dont le président, actuellement en Serbie pour des raisons familiales, condamne, car il accuse la majorité d’avoir voulu imposer ce nouveau règlement que rejette son association. « La modification du règlement est une des raisons de notre non-participation à ces élections », explique-t-il avant d’annoncer qu’il prendra publiquement position dès son retour de son voyage inopiné. Sabahudin Selimovic, qui assure l’intérim de la présidence de la Shoura, invoque des raisons pratiques et pragmatiques : non seulement le Luxembourg est trop petit pour régionaliser un tel scrutin, mais il le rendait aussi trop compliqué.

Il faut dire que l’affiliation à une des six associations islamiques appartenant à la Shoura ne correspond pas forcément à la répartition régionale des musulmans du Luxembourg. Elle obéit aussi à l’origine nationale ou la pratique linguistique de chaque musulman, ainsi qu’à des nuances d’interprétation du rôle de l’Islam. Ainsi, la première langue de l’association de Bonnevoie LJM est l’arabe, suivi du français. Celle-ci accueille en toute logique des musulmans d’origine maghrébine et française, contrairement à d’autres où la langue bosniaque domine. Cette dernière, qui compte parmi les plus fréquentées avec 400 fidèles, accueille, proximité avec le centre-ville de la capitale oblige, des travailleurs frontaliers pouvant s’y adonner à leurs prières plus aisément – notamment la plus importante, celle du vendredi.

Mais l’affaire peut se corser davantage : une « filiale » de l’association de Mamer a par exemple été ouverte à Wiltz, et compte, selon Jean-Luc Karleskind, plus de membres que l’organisation de Wiltz. Le principal argument de la « nationalisation » du scrutin repose donc sur l’argument du déséquilibre en termes d’adhérents entre les différentes associations qui ne pourraient détenir le même nombre de représentants à la Shoura. Une Shoura qui se veut plus représentative et qui reprendra directement les négociations avec l’Etat en vue de la conclusion d’une convention. Incha`Allah.


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