ÉLECTIONS COMMUNALES: Dernière ligne droite

Plusieurs défis s’imposent à l’ADR pour les élections d’octobre : faire oublier la débâcle de 2009, se dédouaner de son image nationaliste et retrouver une santé politique. Mais, c’est mal parti.

Ce n’est pas la dernière cène, mais ça en a l’air : l’ADR lors de la présentation de son programme pour les élections communales.

Pas un mot. Pas une seule phrase pour évoquer la pénible affaire des deux listes que l’ADR a dû présenter à Luxembourg-Ville à cause de l’étourdissement de Roy Reding, leur secrétaire général qui a déclaré trop tard être domicilié dans la capitale. Et qui ne se trouve donc pas en lice pour conquérir la mairie, après avoir été remplacé par le député Fernand Kartheiser. Tout baignait dans une atmosphère un peu surréaliste donc, lors de la conférence de presse où a eu lieu la présentation du programme pour les élections communales. Et il y avait de quoi se pincer devant les visages sereins affichés par les pontes du parti qui ne sait plus vraiment où se placer sur l’échiquier politique.

Les élections communales sont pourtant importantes pour l’ADR dans la mesure où il doit se reconstruire après les élections législatives de 2009 qui avaient rabaissé son nombre de députés à quatre, lui enlevant au passage le statut de fraction. Et puis, les deux années qui viennent de passer contenaient assez de discussions houleuses mettant en question le bien-fondé de son existence. Ne serait-ce que pour la mention du parti dans le « manifeste » du terroriste d’extrême droite, Anders Behring Breivik, qui a ensanglanté la Norvège cet été, ce qui a amené l’ADR à se distancer de lui sans pourtant réussir à enlever tout soupçon de peste brune dans ses rangs (voir woxx 1121).

Pour 2011, l’ADR présente 163 candidats – dont 100 hommes et 63 femmes – dans dix communes, leur âge moyen est de 47 ans et les listes comportent exactement huit étrangers. « Juste pour souligner encore une fois que l’ADR n’est pas un parti raciste », a martelé son président
Robert Mehlen lors de la conférence de presse. Pourtant, inscrire des étrangers sur ses listes pour se donner un alibi est une vieille tactique utilisée depuis des décennies par des formations d’extrême droite, comme le Front National en France. C’est donc plutôt mal parti pour la dédiabolisation de l’ADR, d’autant plus que la phrase « Nous ne sommes pas des racistes », est revenue plusieurs fois au cours de la conférence. Qui s’excuse, s’accuse. Autre handicap de l’ADR pour les élections communales : le budget. Vu que le parti s’est presque ruiné en 2009 en finançant une campagne électorale faramineuse qui n’a pas payé, l’ADR doit s’imposer la rigueur en 2011. Avec un budget de 50.000 euros, selon la deuxième tête de liste de la capitale Marceline Goergen, la formation politique a les mains liées. En comparaison, le DP dispose de 600.000 euros pour la campagne, donc plus de dix fois plus que l’ADR et les Verts s’apprêtent à dépenser 50.000 euros uniquement en affiches électorales.

Qui s’excuse, s’accuse?

Et les mauvais signes s’accumulent, surtout si on analyse la situation du parti dans la capitale et dans la deuxième ville du pays, Esch-sur-Alzette. A Luxembourg-Ville, on se rappellera dorénavant qu’en 2011, l’ADR n’a pas réussi à présenter son secrétaire général Roy Reding comme tête de liste. Ce qui a bien fait marrer les autres partis et sûrement provoqué quelques grincements de plus à l’intérieur du parti. Certes, avec Fernand Kartheiser ils disposent d’une tête de liste assez connue du grand public, mais sa qualité de député pourrait interférer avec une éventuelle responsabilité au niveau communal – l’ADR étant aussi opposé au cumul des mandats.

Tandis que dans la métropole du fer, l’ADR doit affronter ses vieux démons: Aly Jaerling et sa Biergerlëscht s’apprêtent à reprendre le défi de continuer à siéger au conseil communal. Ce serait la deuxième fois que Jaerling causerait des torts à son ex-parti après sa défection en tant que député. En tout cas, les deux fractions sont irréconciliables : « Je ne connais personne sur cette liste et je n’ai aucune idée de ce qu’ils veulent, vu que je n’ai pas encore lu leur programme. Et ce n’est pas sûr que je le lirai », a tonné Guy Bouchard, la tête de liste eschoise pour l’ADR. Et d’ajouter : « En tout cas, nous avons un programme clair, derrière lequel nous nous rassemblons et je doute que Monsieur Jaerling soit à la hauteur de ce que nous disons. Je ne vois aucune concurrence de la part de la Biergerlëscht ». Du côté d’Aly Jaerling, on entend le même son de cloche : « Je ne me présente pas contre l’ADR, d’ailleurs je m’en fous totalement », assure-t-il, « Les gens qu’ils présentent sont tous issus d’une frange de l’extrême droite, à laquelle je ne veux pas me mêler. Ce qu’ils font, c’est du Pierre Peters en version soft ». Quant à ses chances de garder sa place au conseil communal eschois, Jaerling pense qu’elles sont réelles s’il est jugé par rapport à son action politique. Et de révéler qu’il a signé un document avec les responsables de l’ADR que leurs querelles futures ne se baseraient que sur des arguments politiques et non sur la vie privée. « Mais depuis, ils utilisent `Lëtzebuerg Privat‘ pour m’enfoncer. Mais ça non plus ne me touche plus vraiment. De toute façon, lorsque j’ai quitté l’ADR, une grande partie de la section locale m’a suivie ». Ce qui explique aussi pourquoi il y a plusieurs candidats de la liste ADR de 2005 qui figurent maintenant sur celle de la Biergerlëscht. Donc, même si les deux partis se disent hors concurrence, le match ADR vs. Biergerlëscht s’annonce comme un des points les plus intéressants des élections communales à Esch. Ne serait-ce que pour voir s’il est vrai que les gens élisent plutôt une tête connue qu’un programme.

Pierre Peters Soft ?

Quant au programme présenté, il reflète bien la schizophrénie qui fait ravage à l’intérieur de ce parti de plus en plus invraisemblable. Il se divise en cinq points : la langue luxembourgeoise au niveau communal, les structures adaptées pour les personnes à mobilité réduite, la sécurité, les familles avec enfants et un meilleur transport public.

Le premier point a été présenté par la nouvelle star de l’ADR, Joé Thein, candidat à Pétange. Celles et ceux qui croient que ce petit jeune avec ses airs de Justin Bieber serait inoffensif se trompent : il représente bien la frange identitaire et droitière du parti, et il s’en revendique d’ailleurs (voir woxx 1123). Ce qu’il entend par la promotion du luxembourgeois dans les communes est simple : « Nous voulons que notre langue soit toujours à la première place dans les communes. Dans les conseils communaux, elle doit être obligatoire et prévaloir sur le français. Il faudra aussi que les présences internet des communes soient en luxembourgeois ainsi que les panneaux et les noms des rues ». C’est surtout cette dernière proposition qui devrait faire tiquer l’électeur attentif. Pour plusieurs raisons à la fois : d’abord, le fait que de telles mesures ne provoqueraient que des coûts énormes aux communes sans leur apporter grand chose en retour, excepté le chaos prévisible que cela engendrerait auprès de la poste qui devrait elle aussi changer tous ses registres. Mais avant tout, la tactique, clairement identitaire, de remplacer les panneaux francophones par une signalétique luxembourgeoise, rappelle étrangement le fonds de commerce du leader d’extrême droite autrichien, le défunt Jörg Haider, qui en sa qualité de chef de gouvernement du Land de Carinthie, qui a une frontière avec la Slovénie, avait fait plusieurs campagnes fructueuses en promettant d’enlever toute double mention en allemand et en slovène des villages situés près de la frontière. Ce n’est pas sûr qu’une telle tactique puisse fonctionner, la situation luxembourgeoise étant bien plus différente et complexe. Quant à l’argument selon lequel l’intégration passerait par la langue luxembourgeoise, ce n’est ni une innovation et encore moins une idée sur laquelle l’ADR aurait le monopole.

Plus social, le deuxième point du programme : l’adaptation des structures communales aux besoins des personnes souffrant d’un handicap. Si sur ce point, on ne trouvera pas de velléités droitières, on pourrait tout même mentionner qu’il s’agit de revendications formulées par tous les partis, la même chose vaut d’ailleurs pour les propositions ADR au profit des familles avec enfants : rien de nouveau sous le soleil.

C’est sur le chapitre de la sécurité que l’ADR essaie de faire encore une fois la différence, en abaissant toutefois le niveau de la discussion au zinc des comptoirs. Selon Guy Bouchard, qui a présenté ce point : « La situation est en train de devenir intenable, l’Etat a accumulé trop de compétences en ses mains et les communes ne peuvent plus vraiment prendre des initiatives sécuritaires sur leurs terrains. Nous voulons plus de policiers, plus de surveillance vidéo et une meilleure illumination nocturne », et d’enfoncer le clou, « A Esch, nous avons à faire avec des zones de non-droit et des bandes criminelles qui se font la guerre ouvertement. On ne peut plus sortir la nuit, les gens ont peur, c’est intenable. Et la police a abandonné la lutte contre les voyous ». Du sarkozysme dans sa forme la plus pure, c’est-à-dire celle où le nabot chasse sur les terres du FN. Mis au défi de donner des informations plus précises sur les guerres de bandes dans la métropole du Sud, Bouchard rétorque que ces informations lui seraient parvenues par la police. Un porte-parole de la police, joint par le woxx, a toutefois une vue quelque peu différente du shérif Bouchard : « Certes, nous avons plus de criminalité à Esch qu’ailleurs dans le pays. Mais de là à parler d’une guerre des bandes est exagéré, d’autant plus que les criminels que nous connaissons ne s’organisent pas en bandes ». Esch n’est donc pas Mexico-City et les arguments de Bouchard s’évaporent.

En somme, la campagne de l’ADR reflète un parti déchiré à l’intérieur sans ligne politique claire, tiraillé entre aspirations nationalistes et l’aspiration à la respectabilité.


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