TOUT NUCLÉAIRE: Désintégration lente

Si la gauche arrive au pouvoir en France en 2012, elle amorcera la sortie du nucléaire. Peut-être. L’accord électoral entre les Verts et les socialistes a au moins permis d’ouvrir le débat.

Le «Stop» vaut pour Fessenheim, mais pas pour Flamanville.

« Les centrales françaises sont sûres, mais… », c’est ainsi que l’on pourrait résumer le rapport que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a publié mardi dernier. Un rapport globalement sans surprise, qui a suscité les réactions qu’on pouvait attendre : les pro-nucléaires mettent en avant que pour l’ASN, aucun réacteur ne doit être mis à l’arrêt, les anti interprètent les nombreuses améliorations exigées par l’institution comme autant d’aveux de lacunes dans la sécurité des centrales.

La réaction la plus attendue était celle de François Hollande, candidat socialiste aux élections de 2012 et lié par un accord électoral avec les Verts. D’après « Le Monde », Hollande maintiendrait certes sa décision de fermer la centrale de Fessenheim, mais pour le reste insisterait sur la nécessité de renforcer la sécurité et de réduire le rôle joué par des sous-traitants. Son conseiller en politique énergétique, François Brottes évoque le coût d’une amélioration de la sécurité : « Une évaluation des conséquences économiques doit être réalisée site par site. » La Bourse ne s’y est d’ailleurs pas trompée, l’action « Electricité de France » perdant plus de cinq pour cent de sa valeur le lendemain de la publication du rapport. Ce renchérissement des coûts structurels constitue un argument de plus pour la fermeture des centrales les moins sûres. Surtout, il réduit l’attractivité économique de la construction de nouvelles centrales.

Dix mois après Fukushima, l’accident nucléaire continue à avoir des répercussions politiques. Oh, pas au Luxembourg, où il y a unanimité sur un refus de principe de l’énergie atomique, complété par un large consensus sur la nécessité d’importer de l’électricité nucléaire française. Mais en France, où cette forme d’énergie faisait l’objet d’une sorte d’union sacrée, incluant Parti socialiste (PS) et Parti communiste (PCF), la catastrophe japonaise a finalement rendu possible un débat au sein de la gauche. Le mérite en revient en premier lieu aux ONG antinucléaires : à coups de communiqués de « Sortir du nucléaire », d’études de « Négawatt » et d’opérations commando de Greenpeace, l’opinion publique a été sensibilisée au fil des ans.

Première manifestation tangible du bouleversement politique à gauche : l’accord sus-mentionné de novembre dernier entre le PS et « Europe-Ecologie Les Verts » (EELV). Au départ, il s’agissait pour les deux partis de préparer les élections législatives de juin 2012, un mois après les présidentielles. Comme chaque circonscription élit un député en système majoritaire à deux tours, il importe de se mettre d’accord avec ses alliés « naturels » au plus tard avant le tour final. Evidemment, le caractère hautement personnalisé des affrontements rend difficiles les tractations entre deux tours, et mieux vaut avoir un accord de principe à l’avance, dès avant le premier tour. De surcroît, au second tour des élections présidentielles, le candidat socialiste aura besoin du meilleur report possible des voix de gauche. En échange, une fois les présidentielles et les législatives gagnées, des ministres verts entreraient au gouvernement.

Accord dissonant

Tout cela, complété par une ébauche de programme de gouvernement, a fait l’objet d’un accord finalisé le 15 novembre au soir. Les négociations avaient été difficiles, notamment par rapport à l’avenir du nucléaire, une partie du PS restant fortement favorable à cette filière énergétique. De son côté, EELV avait demandé la fermeture de centrales, mais aussi l’abandon de la construction du premier réacteur de troisième génération, dit « EPR », à Flamanville. Un compromis, adouci par une quantité substantielle de circonscriptions laissées aux Verts, a finalement été trouvé : Fermeture de 24 réacteurs d’ici 2025, fermeture immédiate de la seule centrale de Fessenheim, abandon du projet d’un deuxième EPR à Penly. Quant à Flamanville, l’accord retient que « nos formations prennent acte de leur désaccord sur l`avenir du chantier ».

Le sentiment côté EELV d’avoir fait trop de concessions programmatiques en échange des « cadeaux électoraux » est exaspéré par le fait que le lendemain, quand le PS présente l’accord aux médias, celui-ci a été « délesté » d’un des engagements relatifs au nucléaire. Il s’agit du passage d’importance mineure et de surcroît ambigu, relatif à « une reconversion à emploi constant de la filière du retraitement et de fabrication du MOX », mais qui gagne valeur de symbole. Le MOX est un carburant nucléaire issu du recyclage de combustible usé, qualifié par Greenpeace de « cher, dangereux et inutile ».

Pourtant, l’enjeu du passage supprimé est moins son contenu que les circonstances de sa suppression : c’est Areva, la société qui produit le carburant en question, qui est intervenue directement en ce sens auprès des dirigeants socialistes. Les déclarations publiques se succèdent alors, les Verts insistant qu’il n’était pas question de modifier l’accord, des socialistes déclarant que la sortie du nucléaire n’était de toute façon pas au programme… C’est cet imbroglio qui inspirera à Eva Joly, candidate EELV aux élections présidentielles, sa réplique « cet accord ne me fait pas rêver ». Entre-temps, le passage sur le MOX a pourtant été réintégré sans que les ambiguïtés fondamentales sur l’avenir du nucléaire français ne soient levées.

En effet, en renonçant à l’EPR de Penly mais en prenant une option sur celui de Flamanville, le PS ménage la chèvre et le chou. Il renonce au lancement d’un programme de construction de centrales dans l’immédiat, mais pas encore définitivement. C’est compréhensible, vu les incertitudes des constellations politiciennes à venir : une alliance avec la gauche « rouge » ou plus encore avec le centre impliquerait une remise en question de la sortie du nucléaire. Sa prudence tactique ne signifie pas forcément que le PS s’opposerait in fine à une sortie. Le problème est plutôt qu’à part Fessenheim aucune mesure concrète n’est prévue pour le quinquennat à venir. La « réduction d’un tiers de la puissance nucléaire installée » d’ici 2025 annoncée n’a que peu de valeur, comme le montre le précédent de la trop timide « sortie du nucléaire » du gouvernement rouge-vert allemand en 2000. Notons tout de même que si cette sortie a été trop timide pour être irréversible, elle a préparé le terrain pour la sortie accélérée décidée à la suite de Fukushima.

Néanmoins, ce compromis a été l’un des facteurs qui ont éloigné définitivement les Verts allemands de la société civile dont ils sont issus – à côté des reniements en matière de pacifisme et de justice sociale. Les Verts français quant à eux n’en sont pas encore à faire du centrisme écologiste. L’accord passé avec les socialistes, malgré ses insuffisances, devait donner plus de poids à leurs idées. Paradoxalement c’est à cause de ces insuffisances que leurs idées ont fait parler d’elles… et le profil de leur candidate continuera à leur donner une certaine visibilité, en bien ou en mal. Mais fondamentalement, il s’agit d’un accord qui consolide un partenariat stratégique, indispensable pour le PS et intéressant en termes de participation au pouvoir pour EELV. Le risque étant qu’en gouvernant, ils perdront progressivement ce qui fait leur attractivité en temps de crise : leur image de parti anti-système.

D’autres sont là pour reprendre le flambeau. Jean-Luc Mélenchon, candidat du « Front de gauche », constitué essentiellement autour de son « Parti de gauche » et du PCF, dénonce l’accord PS-EELV, qui signifierait que les Verts se seraient ralliés à la « politique d’austérité ». Mélenchon espère séduire les électeurs écolo déçus par l’accord, comme le relève « Le Monde », citation à l’appui : « Pour un écologiste, aujourd’hui, c’est plus facile de voter Front de gauche, parce qu’il y a un référendum à la clé, que de voter pour un accord où on continue à produire du combustible nucléaire. »

Or, le référendum évoqué n’est qu’une solution élégante d’éviter de prendre position, car sur le nucléaire, le « Front » est bien plus divisé que ses concurrents. En effet, le PCF reste fidèle au dogme pro-nucléaire, même si, place du Colonel Fabien, ce ne sont pas les dirigeants d’Areva qui appellent, mais les salariés, ou plutôt les délégués syndicaux de la CGT. La question des emplois risquant de disparaître dans l’industrie nucléaire ne peut évidemment pas laisser indifférente la gauche radicale. Pourtant, d’après la revue « Alternatives économiques », le chiffre d’un million d’emplois menacés serait « fantaisiste ». En refaisant le calcul, elle donne une estimation de 240.000 postes, à comparer aux emplois créés dans le secteur des énergies renouvelables et… celui du démantèlement des centrales nucléaires.


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