En limitant les aides sociales accordées aux demandeurs d’asile, le gouvernement franchit une étape supplémentaire dans sa politique restrictive. Au risque de s’emmêler les pinceaux.
Le chef lui-même s’en est ému. Lors de son briefing vendredi dernier, le Premier ministre Jean-Claude Juncker avait avoué ne pas bien pouvoir vivre avec le fait que dorénavant, l’aide sociale accordée aux demandeurs d’asile allait être diminuée de plus des trois-quarts, à savoir de 100 à 25 euros mensuels. C’est la méthode Juncker : lorsque des mesures prises par son gouvernement sont plutôt populaires ou « sociales », il se les approprie. Lorsqu’elles heurtent l’opinion publique, c’est tout juste si le chef de la majorité n’envisagerait pas de troquer son statut pour celui de chef de l’opposition. Peu en chaut à Jean Lichtfous, porte-parole de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti), connu pour ne pas mâcher ses mots, pour qui la question principale est de savoir « si les personnes concernées vont pouvoir vivre avec ».
Cette baisse brutale des aides, qui évoque une mesure « à la grecque », a choqué, et ce pour deux raisons : la première, c’est son caractère ouvertement mesquin. La seconde, c’est qu’il semble qu’elle soit prise dans un « cafouillage » gouvernemental complet, comme le qualifie Lichtfous. Quelques jours encore avant l’annonce officielle du projet de règlement grand-ducal, l’ancien président de l’Asti, Serge Kollwelter, avait profité de son mot de bienvenue lors de l’avant-première du film « Le Havre » à l’Utopia, pour l’annoncer au public, se demandant toutefois si ces 25 euros allaient être versés de manière mensuelle ou hebdomadaire. C’est dire le trouble. Et ce n’est pas tout : l’allocation spéciale par enfant de moins de deux ans, dont le montant est de 133,50 euros, sera supprimée pour être ajustée à celle des adultes. Ce que le Collectif réfugiés (LFR) salue, tout en regrettant que, dans la foulée, il sera forcément revu à la baisse, à savoir 12,5 euros, la moitié de ce que reçoivent les adultes. Et cet « argent de poche », comme l’a défini la ministre de la Famille Marie-Josée Jacobs (CSV) peut-être un peu hâtivement, n’a rien d’un geste magnanime, les demandes devant être déposées « par écrit » (sans qu’il ne soit stipulé à quelle adresse) et uniquement si le demandeur ne présente pas des « signes extérieurs apparents témoignant de sources de revenus non déclarés ». En d’autres termes, mieux vaut se présenter en haillons. De plus, ce droit est conditionné « à l’attitude bienveillante, coopérative et constructive du demandeur ».
Evidemment, les réactions ne se sont pas faites attendre. En date du 1er février, le LFR a publié son avis à propos de ce projet. En autosaisine s’entend bien, étant donné que le Ministère de la Famille n’a pas jugé utile de le consulter. Par ailleurs, le projet ne se cantonne pas à l’abaissement de l’aide sociale. Afin de « compenser » cette perte nette de revenus indispensables, le projet prévoit d’introduire la possibilité pour les demandeurs d’asile d’effectuer un « service communautaire » dans les structures d’hébergement, plafonné à dix heures hebdomadaires qui seraient rémunérées deux euros de l’heure. Ainsi, dans un cadre idéal, la personne qui effectuerait ses 40 heures mensuelles pourrait « récupérer » le manque à gagner.
Au travail !
Mais cette hypothèse est pour l’instant purement théorique. A sa manière, dans son langage raisonnable, la Commission consultative des Droits de l’Homme (CCDH) approuve certes cette « idée de responsabiliser les demandeurs de protection internationale », mais elle rappelle, pragmatique, qu‘ « il est à prévoir qu’en l’état actuel des choses et des structures disponibles, seule une petite proportion d’entre eux pourra prester un tel service ». Idem du côté du LFR qui remet en question la faisabilité d’une telle mesure. Et d’étoffer ses interrogations : « Qui sera en charge de créer autant de prestations communautaires ? Dans la situation actuelle, le personnel de l’Olai (Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration, ndlr) ne passe que de temps à autre dans un foyer, la tâche reviendrait-elle aux agents de sécurité, aux autorités communales ou autres ? Quid des personnes logées dans des structures d’hébergement privées et hôtels ? » Et de pousser la critique encore plus loin en demandant dans quelle mesure les personnes vulnérables (personnes âgées, malades, handicapées, femmes enceintes) pourraient participer à ces « services », leur non-participation leur grevant d’office leurs ressources.
Mais ce projet de règlement n’a pas fait que soulever l’émoi des organismes « traditionnels ». La semaine dernière, c’est la paroisse d’Useldange qui est montée au créneau. Dans une longue lettre adressée au président de la Chambre des député-e-s, au Conseil d’Etat, au gouvernement ainsi qu’à la commission parlementaire responsable du dossier, une des responsables de la paroisse, Lou Anzia-Ney, épouse de l’ancien bourgmestre de la commune – le couple avait déjà fait preuve d’un engagement discret mais étonnant lors des premières arrivées en nombre de demandeurs d’asile venus des Balkans – craint que la « sélection » pour l’attribution des services ne risque d’envenimer davantage les relations parfois tendues entre les demandeurs. Et de rappeler dans son courrier (voir woxx de la semaine dernière) que le droit du travail luxembourgeois prévoit des mesures concernant le temps de travail, le salaire, voire le dumping social.
Tout ce flou artistique a donné lieu à des échanges assez vifs au sein de la commission parlementaire de la Famille la semaine dernière lorsque la députée verte Josée Lorsché n’a pas épargné la ministre de tutelle, Marie-Josée Jacobs (CSV) : « Je lui ai demandé si elle avait consulté en amont le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies et elle m’a retorqué que ces derniers avaient `d’autres soucis‘ ». La tension serait ensuite montée d’un cran lorsque la députée verte voulait connaître les objectifs de cette mesure : « S’agit-il de rendre le Luxembourg moins attractif ? S’agit-il d’encourager les demandeurs d’asile de quitter le pays ? » Et lorsqu’elle a employé le terme de « tourisme d’asile », employé par le ministre de l’Immigration, Nicolas Schmit (LSAP), Jacobs aurait été particulièrement vexée.
Des débats tendus
De toute évidence, il semble que le gouvernement entende par cette mesure poser des jalons supplémentaires pour fermer peu à peu la porte aux demandeurs, respectivement pour les y reconduire. Le plaidoyer de la ministre au sein de cette commission en faveur d’une « scolarisation à part des enfants dont les parents réclament l’asile alors que dans les faits, ils n’ont aucune chance de l’obtenir » en dit long. Une déclaration qui a de nouveau fait bondir le LFR qui se demande par ailleurs s’il appartient au ministère de la Famille de « s’arroger le droit » de décider qui pourra obtenir le statut de réfugié reconnu, alors qu’il s’agit d’une prérogative du ministère de l’Immigration ou des tribunaux. Et de pointer du doigt la contradiction entre ces dires et l’esprit du projet : « Scolariser les enfants à part – c’est encore plus les stigmatiser et les éloigner de leurs collègues du même âge – alors que le projet de règlement ne cesse de parler d’intégration ! » Et de proposer la « création de classes d’accueil à l’enseignement fondamental à l’instar de l’enseignement secondaire » tout en veillant à répartir les enfants des demandeurs dans des classes « normales » sur la seule base de leurs compétences. Mais sur ce point, il semble que le cafouillage ne soit pas si grand : selon nos renseignements, le ministère de l’Education nationale plancherait en effet sur cette fameuse scolarisation à part. La députée Lorsché, qui est également échevine en charge de l’école à Bettembourg, se montre très dubitative, car elle se plaint déjà des heures de contingent accordées par l’Etat.
Voici un autre point négatif récurrent dans la gestion des demandeurs d’asile : l’absence de politique coordonnée et prévisionnelle de l’Etat qui met souvent les communes devant le fait accompli. Lou Anzia-Ney en sait quelque chose : « Après dix années d’expérience, je constate que l’Etat ne fait qu’intervenir qu’une fois la situation devenue ingérable ». Si elle sait que les relations entre demandeurs d’asile fraîchement débarqués et la population ne sont pas toujours idylliques, elle constate toutefois un relâchement une fois que les personnes ont fait connaissance. « De toute façon », dit-elle, « il faut se départir de l’idée que nous n’accueillerons uniquement des réfugiés tels que nous concevons qu’ils doivent se comporter. Ce ne fut jamais le cas et cela ne le sera jamais ! »