Dans « Oslo, 31. august », le jeune réalisateur Joachim Trier réussit à raconter la vie intérieure d’un toxicomane, sans juger mais aussi sans concessions.
Anders est un garçon souriant. Ou du moins, il a dû l’être. Avant de tomber dans la déchéance de la polytoxicomanie – dont la plus grave était l’héroïne – c’était lui qui tombait les filles, les unes après les autres. C’était lui le jeune intellectuel qu’on promettait à une belle carrière et c’était lui le fils aimé de ses parents. Après son passage par l’enfer de la désintoxication, il ne reste plus grand-chose de ce gars brillant – il n’est que la carcasse vide de la personne que connaissaient ses amis. Le 31 août, c’est son premier jour de permission, où il peut essayer de se frotter à la réalité, où il doit faire le deuil de son passé et surtout où il doit résister à plus de tentations que Jésus dans le désert. Car la ville, pour un junkie, ex ou non, est tout le contraire d’un désert : c’est un océan de possibilités et le diable est posté à chaque coin de rue.
Joachim Trier accompagne son personnage dans sa pérégrination à travers son passé de façon discrète mais pas distante. Souvent, on a l’impression de comprendre ce qui se passe dans la tête d’Anders, sans que lui ni personne d’autre n’ait besoin de parler. Alors qu’en réalité, il n’en est rien, puisque Anders lui-même n’arrive pas à comprendre ce qui se passe dans sa tête. Avec ses amis, dont la palette d’émotions, en le revoyant, va du souci sincère et de la joie sur son retour, à l’embarras et à l’ignorance, voire même la moquerie, il a perdu tout contact. Même s’il les voit, il n’est plus le même homme, il n’est plus dans la même trajectoire qu’eux, parce qu’il a perdu goût à la vie. Et peut-être est-ce cela, le point fort du film : qu’il montre ce que la dépendance à l’héroïne peut vraiment faire à quelqu’un et cela au-delà des séquelles physiques et psychiques directes. Car Anders est tout de même quelqu’un que la société considère – à tort – comme guéri. Mais on ne guérit pas de l’accoutumance à l’héroïne, car ce qu’elle fait à l’âme humaine va bien au-delà de l’imagination du grand public. En d’autres mots, il n’y a rien de plus faux que la vieille prétention que les camés se shootent pour oublier leurs problèmes. Ceux-ci ne disparaissent pas, mais l’héroïne coupe la connexion entre vous et vos problèmes, en bloquant les synapses du cerveau qui reçoivent les informations de douleur physique et psychique. C’est pourquoi nombre de toxicomanes diront que lors des débuts de leur accoutumance, ils avaient l’impression de voir plus clair dans leur for intérieur, de pouvoir comprendre leurs problèmes. Mais malheureusement, après être passé par la dépendance et à condition d’y avoir survécu sans se transformer en légume, l’ex-toxicomane ne ressent plus rien de concret. Les émotions et les douleurs arrivent sans filtre dans un cerveau qui n’est plus habitué à les situer. Alors, il se tourne vers lui-même, ou mieux dit, ce qui en reste : une personnalité de junkie, donc, ipso facto, une des caractéristiques les plus désagréables, égotiques et pathétiques qui soit. Une personnalité qui, quoi qu’elle fasse, pourrira pour toujours son environnement. Ce qui est d’ailleurs brillamment montré dans le film, surtout à travers le jeu d’Anders Danielsen Lie, l’acteur principal. Son déchirement intérieur, sa confusion entre larmes de joie et de tristesse et sa pulsion de sexe et de mort qui se réveille sont crédibles.
En tout, « Oslo, 31. august », a amplement mérité sa nomination à Cannes et devrait faire l’objet de beaucoup plus d’attention.
A l’Utopia.