REFORME SCOLAIRE: Les cent fleurs

Après les bras de fer, la négociation. Le ministère de l’Education nationale tente de réaliser une synthèse des revendications de toutes les parties concernées.

Foison de textes, foison d’avis, une ribambelle de problèmes à résoudre…

En fait, la réforme de l’enseignement secondaire (ES) et du secondaire technique (EST) promettait de partir méchamment en sucette. Le point d’orgue fut atteint lorsque la coalition des syndicats enseignants avait réussi à rassembler plusieurs milliers (6.000 selon ces derniers) des leurs lors de la grande manifestation du 22 mars de cette année. Trois jours plus tôt, la ministre de l’Education nationale (Men), Mady Delvaux (LSAP) avait promis d’instaurer un échéancier étalé sur douze mois pendant lequel elle rencontrerait régulièrement une délégation nationale des enseignants. Histoire non seulement de calmer le jeu, mais également de reprendre des discussions promises à l’impasse. Remise à plat, donc, avec fixation d’une démarche méthodologique, de l’identification des axes thématiques, des questions d’organisation pratique et, évidemment, du calendrier. En parallèle, le ministère récolte la foison d’avis – une centaine – et se propose d’en faire une synthèse (voir encadré). Vaste programme, comme aurait dit le Général, tant ils divergent… de la vision gouvernementale ! (Voir aussi notre article sur les avis des organisations de jeunesse et d’étudiants dans le woxx 1150.)

La question ne porte en effet pas uniquement sur le fond de la réforme, même si celui-ci reste fondamental : la lecture des procès-verbaux des assemblées plénières tenues dans les lycées du pays permet de constater que la réforme est rejetée – parfois à l’unanimité ! – avec plus ou moins de réserves sur les différents éléments qu’elle comporte. L’on remarquera toutefois l’écart qualititatif des différents avis. Tandis que certaines assemblées se sont donné la peine d’adopter des textes argumentés et ventilés en fonction des thématiques – parfois en publiant des avis minoritaires – d’autres s’en sont tenues à des déclarations lapidaires rejettant en bloc les réformes. L’on pourra évidemment objecter, comme cela se murmure ci et là, que les enseignants partisans des réformes seraient victimes de harcèlement de la part de leurs collègues. Mais force est de constater que ces derniers se font très taiseux et discrets. De toute évidence, le ministère a compris qu’une réforme est inapplicable sans l’adhésion massive des principaux intéressés. Il pourrait passer en force que sa mise en oeuvre sur le terrain n’en serait que plus catastrophique.

Tous les avis n’ont cependant pas voué les projets du ministère aux gémonies : la Chambre du commerce « approuve la plupart des mesures ». Problème : en fonction des contextes, le secours de certains alliés peut se révéler plus encombrant qu’autre chose. L’avis globalement positif de la CCL confirme en effet les soupçons syndicaux selon lesquels le ministère entendrait mettre sur pieds une réforme aux relents pro-patronaux tout en se lestant de la vocation humaniste et universaliste de l’école publique. Accusation dont la ministre de tutelle réfute certes la pertinence avec énergie – et certainement avec sincérité – mais que certaines formulations auraient tendance à réduire à néant. Ainsi, lorsque la CCL loue le Men pour avoir « engagé depuis quelques années une politique réformiste tout à fait indispensable dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle », sans oublier d’ajouter qu’elle « a participé à l’élaboration de cette dernière réforme et est actuellement impliquée dans sa mise en oeuvre ». Les enseignants – que la CCL souhaite voir inclus dans un « plan de mobilisation » -, qui se plaignent depuis ces mêmes années de ne pas voir été consultés à leur juste valeur, ont certainement dû apprécier. D’autant plus que la CCL n’hésite pas à remuer le couteau dans la plaie idéologique en se référant positivement aux réformes engagées dans les pays voisins et surtout en opposant le système wallon (« basé prioritairement sur l’acquisition de connaissances ») à celui en vigueur en Flandres, « qui s’est inspirée du modèle d’enseignement anglo-saxon (`learning outcomes‘) ». Par contre, là où la CCL et les syndicats se rejoignent, c’est sur la revendication d’investissements budgétaires et humains conséquents.

C’est d’ailleurs une des cinq raisons évoquées dans l’avis de la Chambre des salariés (CSL), némésis traditionnelle de la CCL, qui soulève l’absence de fiche financière dans le texte, relayant ainsi la revendication syndicale d’une augmentation sensible des effectifs. L’entente entre les deux chambres s’arrête toutefois là. Là où la CCL souhaite que les réformes apportent aux élèves l’« esprit d’entreprendre », la CSL attend, notamment de la part des mesures de remédiation, que l’école transmette « le goût d’apprendre et les (élèves) aider à prendre confiance ». Et là où la CCL appelle de ses voeux que la réforme permette « d’accroître l’employabilité » des élèves et leur « intégration dans la société », la chambre représentative du salariat souligne qu’il importe que « la finalité de l’enseignement secondaire ne se limite pas à amener les élèves à prendre leur place dans la société mais qu’elle doit se traduire par l’acquisition de capacités opérationnelles des élèves, de façon aussi égalitaire que possible, afin qu’eux-mêmes soient en mesure de s’approprier leur propre projet d’avenir ».

La finalité des réformes est un des points de discussion entre le ministère et la délégation nationale des enseignants. Car c’est bien d’une remise à plat de la réforme dont il s’agit et la ministre a consenti de la revoir de fond en comble, objectifs compris. Et cela va loin : les enseignants ont en effet jusqu’à présent acquis que tous les fondamentaux de la réforme puissent être rediscutés, aussi bien concernant les causes de l’échec scolaire, l’enseignement des langues, la politique de recrutement et de formation des enseignants ou bien encore la question de la définition de la culture générale. Les mois à venir nous diront ce qu’il ressortira de ces discussions et consultations – qui auraient dû débuter bien plus tôt.

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La ministre fait le point
(dv) – Jeudi matin, la ministre a préféré commencer par les points positifs, c’est-à-dire les points possibles de convergence. Ainsi, l’idée du tutorat (accompagnement d’un élève par un enseignant) recueille un écho assez favorable, même s’il réside des questionnements quant à son applicabilité ou son caractère obligatoire. La question des dominantes est par contre déjà plus sensible. Ainsi, si la ministre a concédé que la mesure est contestée par les enseignants, ceux du régime secondaire technique seraient globalement plus enclins à l’adopter. Il en va de même des élèves qui souhaitent toutefois jouir d’une meilleure orientation. Idem pour la réduction des épreuves (à six écrites et deux orales) ou bien le développement d’un plan scolaire dans chaque lycée. Par contre, le caractère obligatoire de la « participation à la vie publique et culturelle », en somme des activités périscolaires, est rejeté, tout comme la « promotion automatique » de la classe de 7e à la classe de 6e face à laquelle aussi bien les enseignants, les élèves que leurs parents se montrent hostiles. Plus anecdotique, la nouvelle dénomination de l’enseignement secondaire (dit « classique », terme abusif en ce sens qu’il se réfère plus précisément aux classes où l’on enseigne le latin/grec ancien) aurait due être rebaptisé en « enseignement général » (ce qui, à nouveau, pourrait porter à confusion étant donné que cet ordre d’enseignement n’accueille qu’une minorité, environ un tiers, des élèves). Cette proposition ne sera pas retenue. Autre grande pierre d’achoppement : le redoublement. « Bien que toutes les études doutent de son efficacité, le redoublement est considéré au Luxembourg comme étant positif », regrette la ministre. Pour terminer, elle a avoué qu’elle se « fait des soucis » quant à la qualification des élèves qui pourrait pâtir si aucune avancée n’est atteinte. Promettant une grande discussion avec tous les partenaires pour l’automne (« je l’ai promis aux élèves ! »), elle retient encore le caractère très aléatoire des avis émanant des lycées. Certains seraient d’un niveau remarquable, d’autres beaucoup moins. Par contre, c’est au niveau des propositions qu’il y aurait les plus grandes lacunes. Elle reste toutefois optimiste : « Il y a une prise de conscience que les choses doivent changer ». Rendez-vous en automne, donc.


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