FRANCS-MAÇONS: En quête de renouveau

La franc-maçonnerie n’est pas uniquement la chasse gardée de notables masculins et grisonnants. A quelques mois de la célébration du 30ème anniversaire de l’ordre du Droit Humain, le woxx a rencontré un de ses jeunes membres.

Maria Deraismes, fondatrice historique du Droit Humain, féministe et franc-maçonne.

La franc-maçonnerie est un marronnier estival classique. Mais pour le coup, cette date relève plus du hasard : suite à notre article traitant du 30ème anniversaire du Grand Orient de Luxembourg (GOL) (voir woxx 1161), il nous a été rappelé qu’une autre obédience, à savoir l’Ordre maçonnique mixte international, Le Droit Humain (DH), se préparait également à fêter son trentième anniversaire vers la fin de l’année. 1982 a été une année charnière de la maçonnerie luxembourgeoise. Si l’on sait que ce fut la date de renaissance du GOL (qui est en fait issu de la loge « Espérance » de la Grande Loge de Luxembourg), le DH est moins connu. Et l’une de ses chevilles ouvrières, Samuel Alio*, présente d’ailleurs un profil plutôt atypique : à 36 ans, il est un jeune père de famille de deux enfants et maître de conférences en sciences sociales.

Rien ne destinait ce jeune intellectuel à rejoindre les « frères-la-gratouille », comme les appelait François Mitterrand. Issu des classes moyennes luxembourgeoises (catholique côté maternel, libéral côté paternel), il mena une enfance protégée et conformiste. Une première excursion au Japon, à l’âge de douze ans, contribua à réveiller sa curiosité naturelle naissante : « Un garçon me demanda si j’étais catholique et si je croyais en Dieu. Cette question m’étonna profondément car je pensais que cela était évident. Mais cela ne l’était pas au Japon ! Et c’est à ce moment que je pris conscience que d’autres voies étaient possibles. » C’est à la même époque, et donc de manière particulièrement précoce, qu’il se mit à dévorer de la littérature sur les religions, voulant « vérifier » ce que le prêtre et les catéchètes expliquaient.

La prochaine « ouverture » vint beaucoup plus tard, au Québec, alors qu’il y continuait ses études en sciences de l’éducation. C’est là qu’il fit la connaissance d’un professeur qui devint son directeur de mémoire et qu’il qualifie de « marxiste hétérodoxe ». Là aussi une grande nouveauté. Car jusqu’à présent, Samuel n’était pas vraiment entré en relation avec ce courant de pensée : « Dans mon milieu, on ne savait pas vraiment ce que c’était, mais on `savait‘ que ce `n’était rien de bon‘ ». Lui qui se dit « passionné de plein de choses » avait entre-temps également entrepris, par curiosité, d’étudier un autre mouvement, très connu mais au demeurant mystérieux : la franc-maçonnerie. A partir d’un certain moment et après de très nombreuses lectures, une question s’est imposée : « Que faire maintenant ? J’en reste là ou je saute le pas ? ». Il se décide pour la seconde option. Le jeune homme, qui n’a alors même pas 30 ans et qui ne dispose d’aucun lien avec la maçonnerie, se rend sur le site du GOL. « J’ai été le premier à faire ma demande par internet ! ». La démarche est en effet assez osée : il n’est pas très coutumier d’adhérer à la confrérie de telle manière, même si cela est une possibilité.

e-franc-maçon

Vint le jour de l’initiation : « Je l’ai vécu comme une expérience très émotionnelle, pas tant sur le plan spirituel, mais plutôt sur le plan de la reconnaissance d’une communauté qui t’accueille, qui t’adopte ». De plus, il considère aussi que la maçonnerie est une occasion d’assurer une certaine transmission intergénérationnelle. Sous nos latitudes européennes, il est devenu plus rare que des personnes de générations différentes vivent encore sous le même toit ou se côtoient en-dehors du monde du travail, qui impose forcément une hiérarchie et une distance entre les individus. Et puis, il y a les rites. « Au début, c’était l’aspect qui m’intéressait le moins », explique Samuel, qui affirme avoir une approche plutôt libertaire (de gauche), « mais avec le temps, je trouve que cet aspect n’est pas sans importance ». Il dit avoir besoin de quelques rites qui constituent autant d’appuis à une époque où l’on est « submergé par tout et rien ». Cela peut paraître paradoxal, mais lui qui se dit agnostique et libertaire est aussi capable de parler de « sacralité » : ainsi, son mariage (dont lui et sa femme écrivirent le déroulement) fut célébré dans une chapelle désertée par un franc-maçon et une enseignante en religion.

D’ailleurs, le DH auquel il appartient (tout en restant membre du GOL), « planche » tout aussi bien sur des sujets « symboliques » que des sujets « sociaux ». En quelques mots : lors de leurs travaux, les francs-maçons appellent une « planche » – en référence au métier de la maçonnerie – un texte rédigé et lu par l’un d’entre eux (ou elles) et ensuite discuté en groupe. Si les sujets « sociaux » se réfèrent plutôt à des questions de société (comme l’avortement, la bio-
éthique, le mariage homosexuel), les sujets « symboliques », comme l’évoque déjà le terme, tournent autour de questions philosophiques ou spirituelles qui touchent à l’activité maçonnique en partant de la multitude de symboles que la franc-maçonnerie emploie.

Appartenant entre-temps aux grades supérieurs (« hauts grades » ainsi que « grades de sagesse »), il se dédie désormais avec plus de profondeur aux questions symboliques, qui sont tant des cheminements intérieurs que des quêtes de recherche de soi. Une quête qui va par ailleurs de pair avec son intérêt grandissant pour le bouddhisme, qu’il envisage comme une « sagesse laïque ». « Un bouddhisme qui n’a rien à voir avec sa version tibétaine par exemple, qui introduit la hiérarchie et déifie le Bouddha », précise-t-il. Mais attention, souligne-t-il, son intérêt bouddh-
ique n’a rien à voir avec l’effet de mode dont s’est emparée une certaine catégorie de la population, comme les vedettes ou les « bobos », qui, selon lui, pratiquent un bouddhisme de surface. « S’ils sont en quête de spiritualité, ils feraient mieux de s’en tenir au christianisme, au moins c’est plus proche de leur environnement culturel », tranche-t-il.

Retour aux sources… révolutionnaires

Toutefois, l’engagement de Samuel au sein de la maçonnerie ne se cantonne pas aux quêtes intérieures. Et ne l’empêche pas de porter un regard parfois très critique sur la confrérie. Lors de ses premiers pas au sein du GOL, il s’est vite heurté à des réflexes assez conservateurs : « La franc-maçonnerie offre un cadre que chacun peut remplir à sa guise. Cela a l’avantage que tout le monde peut s’y retrouver, mais aussi le désavantage que l’on ne sait pas toujours pourquoi l’on s’y engage ». Il dit qu’il n’était pas si facile d’y intégrer des personnes plus jeunes et aux parcours plus iconoclastes. Plusieurs de ses tentatives qui allaient dans ce sens n’ont pas porté leurs fruits ; les candidats ayant été « blackboulés » (refusés). Il ne s’étonne donc pas qu’actuellement, un phénomène nouveau est en train de voir le jour, peut-être en partie en raison de la crise économique mondiale et de la nécessité de reformuler certains débats : la multiplication de loges « souveraines et indépendantes », dites « sauvages ». Un phénomène que, lui qui se dit « militant », suit avec un certain intérêt, car c’est l’esprit démocratique de base qui le passionne avant tout.

Avec un autre frère du même âge, il s’était mis en tête de raviver la tradition progressiste de la maçonnerie, celle qui vit le jour pendant la période 1848 à 1870 et qui comptait en son sein nombre de socialistes, d’anarchistes et de communistes. Celle qui rompit avec l’idée du « Grand Architecte » et qui impulsa la mixité des sexes. Et c’est d’ailleurs avec une certaine fierté qu’il rappelle que Louise Michel avait rejoint la franc-maçonnerie vers la fin de sa vie, n’ayant pas su au préalable qu’une obédience à vocation mixte existait. Et aussi que le DH fut historiquement fondé par une femme à la fin du 19ème siècle, la féministe Maria Deraismes. D’ailleurs, le DH international est de nos jours la seule grande obédience maçonnique mixte à compter plus de femmes que d’hommes.

Finalement, un des nombreux défis à relever, aux yeux de Samuel, c’est l’ouverture de la maçonnerie à davantage de personnes issues des couches populaires et ouvrières : « Il y a une barrière implicite, étant donné qu’il faut oser exprimer ses pensées devant une assemblée, ce qu’une personne d’un milieu modeste ose moins ». Ce serait d’ailleurs dans l’esprit cosmopolite de la franc-maçonnerie : rassembler ce qui semble épars en travaillant au progrès de l’humanité.

*Nom et prénom modifié par la rédaction.


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