La politique de l’enseignement déchaîne les passions. La ministre de l’éducation récolte désormais la franche hostilité du syndicat SEW et des Verts. Mais ces derniers n’échappent pas à leurs propres contradictions.
„Les pertes de temps dans la politique scolaire, le manque de personnel qualifié, de salles de classe, de perspectives et de lignes directrices claires n’est pas la faute des enseignants, ni des élèves et des étudiants. C’est la politique qui a failli!“. C’est ainsi qu’a débuté le discours du député Claude Adam lors du congrès des Verts consacré à l’école, samedi dernier à Colmar-Berg. Trois jours plus tard, le „Syndikat Erzéiung a Wëssenschaft“ (SEW) affilié à l’OGBL, tient sa „diète syndicale“ – l’assemblée générale. A la tribune, la présidente Monique Adam entame son allocution de manière franche: „Il y a deux ans, nous nous étions réjoui d’avoir une nouvelle ministre de l’éducation nationale qui pourrait enfin mener à bien des réformes nécessaires. Malheureusement, il apparaît que ces réformes ne vont ni dans le sens des élèves, ni dans celui des étudiants“.
De toute évidence, l’état de grâce de Mady Delvaux, ministre socialiste de l’éducation nationale, est révolu. Que les attaques fusent de la part du DP, relégué dans l’opposition et chantre d’une politique scolaire conservatrice, n’étonne ni ne nuit à Delvaux. Par contre, l’hostilité croissante à son égard d’un syndicat qui lui est politiquement proche et qui voyait d’un bon oeil son installation rue Aldringen constitue un signal d’alarme. Même les Verts, qui, de leur propre aveu, partagent l’analyse de Delvaux et ne pratiquent plus une opposition frontale et systématique, sont amers. La lutte entre droite et gauche en matière scolaire a une longue tradition. Mais désormais, ce sont les éléments les plus progressistes de l’enseignement qui dirigent la fronde anti-Delvaux.
Déjà, le torchon a brûlé pendant des mois au sujet de la très controversée réforme de la tâche de l’enseignant. Les négociations entre l’intersyndicale composée des trois syndicats enseignants et le ministère ont traîné pendant de longs mois. Mais bien qu’un accord ait été trouvé, d’autres contentieux qui germaient déjà depuis un certain temps se trouvent désormais en première ligne. Quelques jours avant de rencontrer la ministre une dernière fois au sujet de la tâche, le SEW n’avait volontairement pas évoqué ce conflit devant la presse. Par contre, il brocardait d’autres éléments, tels que le manque de moyens financiers et la réforme du cycle inférieur de l’enseignement secondaire technique (EST) qui constituent désormais l’axe central de sa résistance à la politique ministérielle. Ce fut également une manière d’augmenter la pression sur le gouvernement, à une journée de la négociation finale au sujet de la tâche de l’enseignant.
Les conflits font la queue
Tout d’abord, les critiques des Verts et du SEW envers la politique du ministère se rejoignent sur sa méthode. Ce n’est pas l’inactivisme, comme aux temps où le CSV dirigeait ce département, qui est pointé du doigt, au contraire. Quand Claude Adam critique l'“activisme incompréhensible“ de Delvaux, le SEW fait état de sa frustration que les réformes sont décidées en cercle restreint, sans consultation du personnel enseignant. La pilule est d’autant plus difficile à avaler pour ce syndicat qu’il compte dans ses rangs un grand nombre d’enseignant-e-s qui ne rechignent justement pas à s’engager dans différents projets pédagogiques. De l’autre côté, Mady Delvaux est certainement consciente de la difficulté de réformer l’éducation nationale, tant les intérêts divergents sont légion et que chaque pas risque de briser l’une ou l’autre porcelaine. Dans l’édition précédente (woxx 877), l’ancien secrétaire d’Etat socialiste à l’éducation nationale, Guy Linster, affirmait que l’immobilisme condamnerait toute perspective de réformes.
Un budget peau de chagrin
Mais il existe aussi des divergences entre les critiques formulées par les Verts et le SEW: aux yeux du syndicat, c’est la logique d’austérité budgétaire du gouvernement CSV-LSAP qui est à l’origine des principaux maux. Si, de leur côté, les Verts affichent clairement leur attachement à une école publique de qualité, ils restent discrets en matière budgétaire. Evidemment, ils se situent dans une perspective de participation gouvernementale après 2009 et tout porte à croire qu’ils lorgnent la succession de Delvaux au MEN. Pourtant, l’austérité budgétaire en matière d’éducation saute aux yeux: par rapport au budget de 2006, celui de 2007 prévoit une baisse des crédits de fonctionnement de 8,4 pour cent. D’ailleurs, il suffit de jeter un coup d’oeil au projet de loi sur le budget pour constater que l’éducation nationale est un des postes les moins dotés (woxx nø875) et que son augmentation, par rapport à l’augmentation moyenne, est en recul constant d’année en année.
Les opposants à Delvaux ne sont pas non plus épargnés par leurs propres contradictions. Le débat autour de l’instauration d’un directeur d’école dans les établissements de l’enseignement primaire est une illustration de prise de position sur des sujets scolaires au sein d’une même „famille“ – au sens large du terme – politique. Samedi dernier, les Verts ont ainsi renoué avec une culture du débat qu’on leur croyait oubliée. Frenz Schwachtgen, instituteur et membre de la section de Differdange, a ainsi tenté de modifier la résolution initiale qui se prononçait en faveur de la création d’un poste de directeur nommé par l’Etat et qui présiderait un comité d’école qui serait élu par le corps enseignant. „Cela me rend triste et me met en colère! Je suis clairement opposé au poste de directeur d’école, car cela est incompatible avec une démocratisation de l’enseignement“, lança-t-il à une salle qui s’attendait visiblement à cette saillie. Après tout, le sujet a été encore plus âprement débattu en amont, lors de la rédaction de la résolution. Et pourtant, les invectives fratricides lancées pendant le congrès n’étaient pas d’une tendresse illimitée et les mots qui fâchent tombaient: „populisme“, „mauvaise compréhension de la démocratie“, „utilisation inacceptable d’arguments massue“. Etant donné que presque tou-t-e-s les intervenant-e-s sont issu-e-s du „terrain“ scolaire, on ne peut leur reprocher une méconnaissance de la matière scolaire. Mais à nouveau, ce sujet cristallise deux approches divergentes dans ce parti d’enseignants que sont les Verts.
Pas de directeur, mais un président
D’un côté Schwachtgen, qui préfère une généralisation et une légalisation des comités de cogestion du personnel enseignant, cellules démocratiques de l’organisation scolaire dans le primaire (ceux-ci ne disposent en effet d’aucune base légale mais leur fonctionnement repose normalement sur des règlements communaux): „Ce n’est pas parce que le système des comités de cogestion est imparfait qu’il faut le supprimer pour le remplacer par un directeur“. Aux gardiens des „fondamentaux“ verts – écologie, politique sociale et démocratie – s’opposent les pragmatiques, soucieux d’une gestion „efficace“ de l’école. Mike Richartz, depuis quelques semaines chargé de direction d’un établissement scolaire, n’hésite pas à comparer la gestion d’une école avec celle d’une entreprise: „Nous gérons un budget et le personnel. Il faut savoir réagir rapidement“. Aux yeux du député-maire de Beckerich Camille Gira, l’important c’est d’avoir un „représentant de l’Etat sur place“.
Mais cet espoir risque d’être déçu. Contacté par le woxx, le MEN nous a affirmé qu’à l’heure actuelle, il a tranché non pas en faveur d’un directeur, mais d’un „président de comité d’école“. La nuance n’est pas que sémantique. Contrairement à la proposition verte, le président/directeur ne serait pas nommé par le ministère, mais bel et bien élu par le comité d’école avant d’être agréé par les autorités communales. Le MEN table sur une „dynamique pédagogique“ mais craint que le problème principal ne se situe au niveau des volontaires pour cette tâche. Le „président“ restera dans la même carrière que ses collègues, mais bénéficiera tout de même d’une décharge. Il sera en outre chargé de rédiger un „plan de réussite scolaire“. Dans ce sens, les différents établissements jouiront d’un certain degré d’autonomie. Les comités de cogestion, quant à eux, subsisteront. De toute façon, la loi ne peut dissoudre ce qu’elle n’a pas créé. Reste à savoir de quelle manière s’agenceront les compétences respectives des différents organes. Finalement, il y a une certaine ironie dans cette histoire de directeur, car le modèle du MEN semble ouvrir plus de portes démocratiques que celui des Verts. A force de vouloir se montrer complaisants à l’égard de potentiels partenaires de gouvernements, les Verts se font prendre à leur propre jeu … et sont dépassés sur leur gauche par le ministère.
Pour autant, le SEW, qui soutient le système des comités de cogestion, s’était dit satisfait, lors de sa diète syndicale, que le ministère ne veuille pas laisser tomber la cogestion, tout en restant sur ses gardes quant à l’élaboration d’un éventuel „mauvais compromis“. Cette attitude prudente n’est pas étonnante, tant la confiance envers le ministère s’est complètement dégradée. Et rien n’augure que les relations s’améliorent. Dommage, car il ne reste à Delvaux plus que deux ans et demi pour réformer l’enseignement. Et une poignée de fonctionnaires pour seuls alliés, c’est un peu maigre.