Pendant deux ans, le Luxembourg siégera au Conseil de sécurité de l’Onu. Où en est cette organisation, quels sont ses défis et quel peut être le rôle du Luxembourg ?
Le grand mariage du weekend dernier a occulté le succès d’une autre opération de com‘ grand-ducale. Non, il ne s’agit pas du départ du Tour de France 2013, pour lequel le Luxembourg n’a même pas postulé. C’est l’élection au Conseil de sécurité de l’Onu pour 2013 et 2014 qui assurera à notre pays pendant deux ans une présence au moins nominale dans les médias internationaux. Mais à part l’effet « situer le Luxembourg sur la carte », mis en vogue par les apôtres de la compétitivité, à quoi servira notre présence au sein de cet organe clé des Nations Unies ? Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, ne manquait pas d’idées avant même d’y être (woxx 1184). Pourtant, du côté de la société civile – mondiale, sinon nationale – les attentes à l’égard de l’Onu vont bien plus loin, et exigeraient un processus de réforme en profondeur.
En effet, les buts affichés par les Nations Unies sont ambitieux : maintenir la paix, coopérer pour le bien de tous et favoriser le progrès économique et social. Depuis sa fondation en 1945 – le Luxembourg y était déjà présent – l’organisation a souvent été impuissante face à des guerres, a mis en place des structures de co-opération de qualité inégale et a failli à réduire les inégalités, notamment entre les anciens pays industrialisés et les pays – éternellement – en voie de développement. Or, à l’aube du 21e siècle, elle fait face à de nouveaux défis.
Tout d’abord, certains grands pays du Sud, en faisant appel à leurs propres moyens plutôt qu’à l’aide internationale, ont rattrapé leur retard. Parmi ces « émergents », le Brésil, l’Inde et surtout la Chine, sont des puissances à même de réclamer leur part du pouvoir et des richesses mondiales. Ainsi, après le monde bipolaire, étouffant mais stable, de la guerre froide, voici un monde multipolaire, gros de conflits d’intérêts voire de guerres à grande échelle. Côté coopération, les Nations Unies ont le mérite d’avoir propagé le développement durable, alliant progrès économique et préservation de l’environnement. Mais ces dernières années ont montré les réticences des pays à coopérer, que ce soit face à la crise économique ou face à la menace brûlante du changement climatique. Enfin, l’Onu est mal placée pour contrecarrer la prééminence des intérêts économiques privés qui a conduit à la crise actuelle, car les institutions internationales qui s’occupent de finance et de commerce échappent au contrôle des institutions politiques.
New World Order
En 1989, un consensus aurait pu émerger autour d’un nouvel ordre de paix et de justice, dans lequel le droit primerait sur les intérêts politiques. Or, sous le terme de « New World Order », les Etats-Unis ont dans un premier temps tenté d’imposer leur hégémonie. Ensuite, suite au désastre de la « War on Terror » en Afghanistan et en Irak, les rapports de force au sein de la communauté internationale se sont rééquilibrés. Mais entre-temps, la logique de la politique de puissance était redevenue la norme.
Rappelons que du temps de la guerre froide, les moyens d’interventions civils et militaires prévus aux articles 41 et 42 de la Charte avaient rarement été mis en oeuvre. Les deux superpuissances utilisaient leur droit de veto afin d’empêcher toute action décisive dans des conflits locaux, qui étaient presque tous perçus comme des enjeux de l’affrontement Est-Ouest. Or, depuis 1989, certaines interventions ont eu lieu avec la bénédiction des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, mais chacun d’entre eux préserve ses propres intérêts et ceux de ses alliés les plus proches. Il s’en dégage l’impression d’un « deux poids, deux mesures » entre les acteurs bénéficiant du soutien d’une des cinq puissances et les autres. Une impression fâcheuse, qui se prolonge dans le domaine des droits humains, quand on considère quels politiciens ont jusqu’ici été mis en accusation par la nouvelle Cour pénale internationale (CPI) : l’Afrique serait le seul continent où il y aurait des criminels de guerre…
Certes, de nombreuses ONG se félicitent de ce que les Nations Unies aient agi dans tel ou tel cas. La création de la CPI et l’adoption par les Nations Unies du principe de la « Responsability to Protect » ont été vues comme des pas dans la bonne direction. Mais ces innovations du droit international, si elles s’appliquent durablement de manière sélective, finiront par vider de sa substance la notion même de droit international. Or, on n’est pas près de voir comparaître devant la CPI un président américain ou russe et d’assister à une intervention humanitaire en Israël, en Tchétchénie ou au Tibet. Sur cet arrière-fond, le blocage de l’Onu dans la crise syrienne n’est pas seulement dû au veto russe, mais aussi à l’impasse dans laquelle mène le « deux poids, deux mesures ».
Les affaires continuent…
Les réformes proposées, comme l’entrée de nouveaux membres permanents au Conseil de sécurité, vont dans le sens d’une plus grande publicité des débats à l’échelle internationale. Mais elles sont bien trop modestes pour remédier à la situation insatisfaisante de l’Onu en matière de maintien de la paix et de droits humains. Dans ce dernier domaine, le Luxembourg a bien raison de soutenir les travaux du Haut Commissariat des droits humains – il est parmi les plus importants donateurs au monde. Quant aux réformes en profondeur, il faudrait affaiblir le droit de veto des cinq membres permanents, fixer les règles selon lesquelles le Conseil de sécurité doit trancher et renforcer l’autonomie d’action des structures onusiennes elles-mêmes. Tout cela se heurterait à l’opposition des grandes puissances établies. Le Luxembourg, au-delà de la modeste réforme proposée par l’Allemagne, semble ne pas vouloir se frotter à plus grand que lui.
Dans les domaines sociaux et écologiques, l’Onu n’a pas souffert d’un manque d’ambition comparable. Hélas, après les belles paroles sur l’importance des « Millennium Goals », notamment en matière de développement, et sur la nécessité d’éviter un réchauffement de plus de deux degrés, la communauté internationale peine à passer aux actes. Ainsi, ces deux pièces maîtresses de l’activité de l’Onu pour le tournant du siècle risquent de tourner au fiasco : « Millennium Goals » atteints seulement à moitié et réchauffement tendant vers les quatre degrés, conduisant à des conséquences dramatiques. Le Luxembourg, avec un taux d’émission de CO2 par habitant parmi les plus élevés au monde, n’a pas encore commencé à changer radicalement ses modes de consommation et de production, et ne peut pas servir d’exemple. Pour éviter au monde d’être broyé entre la persistance de la pauvreté et la catastrophe climatique, il faudra mettre en place un « Green New Deal » à l’échelle mondiale : les nations riches et polluantes devront faire des concessions à grande échelle afin de permettre au reste du monde de se développer sans détruire la planète. L’Onu, même si elle a failli lors des dernières conférences internationales, est la seule instance à pouvoir coordonner un tel projet.
Or, en plus des égoïsmes nationaux qui empêchent un « New Deal », le milieu des affaires et de la finance s’y oppose et continue à gérer le monde dans une sorte d’Onu parallèle. Le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) obéissent en effet à d’autres règles et les effets de leurs actions sont souvent à contre-courant des objectifs de développement, de justice sociale et de préservation de l’environnement. Comme cela est considéré comme normal à l’échelle nationale, les objectifs formulés au niveau politique doivent primer sur les décisions des techniciens de la finance et du commerce. Ainsi, la Banque mondiale ne devrait plus imposer des « réformes structurelles » qui étouffent le développement des pays « bénéficiaires », et l’OMC devrait imposer des normes sociales et écologiques dans les traités sur le commerce.
Le Luxembourg a au moins le mérite d’être exemplaire en matière d’aide au développement – il est l’un des rares pays à y consacrer plus de 0,7 pour cent de son PIB. Mais cette volonté de partager sa richesse se double d’une certaine réticence à remettre en question le système financier international dans lequel le pays évolue et prospère. Or, comme le rappelle une ONG comme le Comité catholique contre la faim, les 80 milliards d’aide au développement annuelle ne pèsent pas lourd contre les 800 milliards qui quittent les pays du Sud de manière illicite. Le Luxembourg est une plaque tournante parmi d’autres de cette évasion fiscale, comme l’avait montré une étude publiée en 2009 (woxx 1016). Le gouvernement a peut-être raison de ne pas vouloir prendre de manière unilatérale des mesures contre l’évasion fiscale. Qu’il soutienne alors les initiatives multilatérales pour de telles mesures, par exemple au niveau de l’Onu, plutôt que de se contenter d’un démenti scandalisé.