ANAÏS BARBEAU-LAVETTE: Au-delà du pardon

« Inch’Allah » est un film auquel on pourrait aisément reprocher un parti pris – mais cela reviendrait à admettre ne pas être neutre soi-même. Car le film est une exploration des préjugés communs et montre la réalité nue des deux côtés du conflit israélo-palestinien.

Prise dans les troubles d’une guerre qui n’est pas la sienne, Chloé va aller au-delà de ses limites.

Idéaliste, jeune et courageuse, la jeune Québécoise Chloé semble avoir tous les attributs nécessaires pour travailler dans une des zones les plus sensibles du monde : entre Israël et la Palestine. Dans le premier pays, elle vit dans un petit appartement, partage une profonde amitié avec Ava, sa voisine de palier, qui est en train de faire son service militaire, tandis que dans le deuxième, elle travaille comme sage-femme dans un hôpital géré par une ONG. Si au début les énormes différences, la haine et le désespoir qui emplissent les vies des deux côtés du mur de séparation ne semblent pas lui infliger plus que quelques égratignures, un concours de circonstances va l’amener à se défaire, contre son gré et même peut-être sans s’en rendre compte au début, de sa neutralité.

Tout commence lorsqu’elle sympathise avec une jeune patiente de sa clinique. Rand est une Palestinienne au sort malheureusement typique : réduite à fouiller les déchets des colonies juives environnantes, enceinte d’un homme emprisonné pour des faits de résistance en Israël, elle hait ses voisins de tout son coeur – mais ce n’est pas une haine féroce, plutôt un état d’esprit permanent. Elle a été élevée dans cette haine et forcément n’a jamais rien connu d’autre. Elle vit avec son frère Faysal, qui lui aussi supporte mal l’occupation et le confinement derrière le mur de séparation, et sa mère, nostalgique du temps avant la Nakba, le « désastre » des Palestiniens de 1948, quand 750.000 d’entre eux furent expulsés. La sympathie que Chloé éprouve pour cette jeune femme, qui ne baisse jamais la tête même devant des coups durs, et certaines circonstances vont faire en sorte que Chloé dépasse la ligne rouge de la neutralité. Par exemple quand Youssef, un jeune garçon d’à peine onze ans, est renversé et tué gratuitement par un char israélien devant ses yeux, elle participe à son enterrement et se laisse même aller à coller des affiches le présentant comme martyr, avec en arrière-fond la ville de Jérusalem, qu’il n’avait jamais pu aller voir.

Pourtant, tiraillée entre les deux mondes et mise à l’épreuve par son amitié pour la jeune Israélienne Ava, elle ne va pas suivre le chemin de Rand jusqu’à la catastrophe finale, mais reste en dehors, comme une victime collatérale d’une guerre qui n’est pas la sienne, comme ses proches des deux côtés ne cessent de le répéter.

« Inch’Allah » vit surtout des performances de ses deux actrices principales. Evelyne Brochu surmonte les difficultés et la schizophrénie de son rôle de sage-femme canadienne en montrant toujours la bonne dose d’émotions et en ne surjouant jamais. Tandis que Sabrina Ouarzani, que le public luxembourgeois devrait connaître pour son rôle principal dans « Nuits d’Arabie » de Paul Kieffer, convainc avec son interprétation de Rand en donnant un visage humain à une femme brisée, éduquée dans la haine et qui va finir par céder à ses pulsions vengeresses.

Tout cela fait de « Inch’Allah » un film profondément humain, qui ne penche pas d’un côté ou de l’autre et qui démontre que finalement la guerre, même si on est du côté gagnant, c’est toujours la guerre et c’est toujours la merde.

A l’Utopia.


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