Pour adapter un roman du surréaliste Boris Vian, surtout le classique « L’écume des jours », il fallait un fantasque comme Michel Gondry. Sa version de cette histoire tragique reste certes légère, mais donne aussi à rêver.
Adapté une première fois en 1968 par Charles Belmont, le film passera tout aussi inaperçu que la publication du roman « L’écume des jours » en 1947. Plus de soixante ans plus tard, c’est un classique de la littérature française qui est porté à l’écran, incarné par les coqueluches du cinéma français contemporain. Réalité parallèle ou monde amélioré par l’imaginaire, l’univers de Vian ne semble pas se prêter à autre chose qu’à la lecture. C’est là que les créations loufoques de Gondry entrent en jeu ; la rencontre de ces deux esprits excentriques mais créatifs paraît évidente, l’amalgame est de circonstance.
A la base, « L’écume des jours », c’est l’histoire de Colin qui tombe amoureux de Chloé. C’est aussi l’histoire de Chick et d’Alise qui sont en couple et de Nicolas, l’oncle d’Alise et le cuisinier mais aussi ami de Colin. Une souris grise partage leur quotidien gai et léger. L’apogée du bonheur est censée être le mariage de Colin et de Chloé – et pourtant c’est le début de leur déchéance. Chloé tombe malade, un nénuphar parasite son poumon, Colin, qui n’a jamais travaillé, se tue à la tâche pour essayer de guérir l’élue de son coeur. Chick, qui adule le philosophe Jean-Sol Partre, se perd de plus en plus dans sa frénésie fanatique. Son adoration lui coûtera son amour et la vie. Alise meurt en essayant de mettre un terme à l’objet de l’adoration de Chick et Nicolas vieillit à vue d’oeil. A la mort de Chloé, le chagrin semble pousser Colin et la souris à la folie.
Néanmoins, l’adaptation de Gondry ne donne pas dans le tragique. Le film est ludique, drôle, presque gai. La bonne humeur et la joie de vivre transparaissent dans ce monde foldingue dans lequel tout est possible. Gadgets, instruments improbables, objets vivants, nourriture en tissu, cuisinier dans le frigo, sonnette rampante? tout élément de l’entourage prête à l’amusement. Rien de ce qui dérange et ternit notre quotidien ne semble exister dans ce monde parallèle et surréaliste. Par contre, le revers de la médaille en est des plus oppressants.
Les jeux de mots subtils et les discours insensés restent finalement au second plan, la parole n’est pas ce qui traduit l’atmosphère du film. Ce qui explique que les répliques, quand elles font véritablement sens, sont poignantes, mordantes, presque des vérités générales ou des idées qui demanderaient méditation.
Les effets spéciaux mécaniques simples mais efficaces émerveillent le spectateur, les nombreuses prises de vue en accéléré profitent à la dynamique saccadée, tandis que les décors « bricolés » prennent de l’ampleur avec l’avancée de l’action. En même temps, le travail du cadre est d’une telle subtilité que le spectateur remarque à peine le passage de la couleur au noir et blanc. La touche emblématique de Gondry n’est pas discutable et tout à fait juste, le jeu des acteurs passe presque au second plan tant leur environnement évolue en fonction d’eux.
L’immatériel matérialisé, l’imaginaire prenant vie, la vie qui suit son cours, l’amour comme centre de gravité, la gravité de la vie qui affecte tout sauf l’amour, l’amour seul subsistant, tel est ce que met en lumière le long métrage, au contraire du récit de Vian qui est plus noir et plus défaitiste, dans lequel il n’y a pas d’amour heureux. Dans un cas comme dans l’autre, cette histoire finalement d’une criarde banalité et désespérante dans son aboutissement, émerveille le spectateur par sa mise en scène extraordinaire et farfelue.
A l’Utopolis.