NICOLAS WINDING REFN: Vengeance chaude

Après le scandale de Cannes, « Only God Forgives » arrive sur nos écrans – mais la violence bestiale n’occulte pas un réel travail de recherche cinématographique.

Dieu saura-t-il pardonner ce voyage dans les bas-fonds de l’humanité?

Le danois Nicolas Winding Refn signe avec « Only God Forgives » son neuvième long métrage. Friand de thèmes populaires sortis tout droit de films grand public, il aime à les détourner pour les remanier. N’ayant aucun complexe pour exhiber l’abîme humain et la violence, il crée des pièces uniques. Hué au Festival de Cannes, son nouveau film s’inscrit une fois de plus dans le registre du film noir, dramatique et sanguinaire.

Julian, jeune américain et exploitant d’un club de boxe thaïlandaise à Bangkok, voit son existence à priori bien réglée chamboulée par le meurtre de son frère. Victime, mais pas innocent, ce dernier est retrouvé massacré, après avoir violé et assassiné une jeune prostituée. Le cercle vicieux qu’engendre la loi de la vengeance qui règne sur la capitale aura des répercussions bien au-delà de sa mort. La mère des deux hommes, qui se révèle être une marraine de la drogue, ne fera qu’envenimer la situation et mettra sa vie ainsi que celle de son cadet entre les mains d’un mystérieux mais redoutable policier à la retraite.

Comme le titre l’indique, il faut s’attendre à une violence accrue où les valeurs humaines sont décalées. Plonger l’action au coeur d’une ville lointaine donne pourtant une certaine distanciation du monde réel. Le mode de vie et de fonctionnement semble être différent de celui que nous connaissons, que ce soit du point de vue des lieux comme des lois « universelles ». La richesse rime avec corruption et criminalité, la loi avec vengeance, l’homme avec violence, la femme avec accessoire.

Le réalisateur bouleverse non seulement son public par le spectacle abominable et incompréhensible d’un point de vue moral mais aussi dans l’inversion des rôles. L’intrusion de la femme occidentale dans le monde oriental crée un contraste saisissant. Il s’amuse à perturber les codes moraux, sensibles, humains mais aussi ceux du cinéma « classique ». Même s’il part d’une histoire de vengeance, il en détourne les règles élémentaires.

Un travail assidu d’innovation a été réalisé sur le récit mais encore davantage sur la mise en image. Très travaillées, les scènes sont d’un esthétisme remarquable, elles frôlent le graphisme voire le synthétique. Ce qui apparaît comme un émerveillement en début de film finit par devenir presque oppressant à la fin. Le contraste entre la violence terrifiante et la splendeur de la représentation est déroutant. Autrement perturbant est le jeu très prononcé sur les couleurs et les lumières qui prodigue un aspect de tableau aux plans. Les scènes fixes, l’absence de dialogue et les regards pénétrants des acteurs alourdissent l’atmosphère en lui conférant un sérieux inquiétant.

De plus, le fait que le récit soit chronologiquement déstructuré, découpé en tableaux, décontenance le spectateur. Pourtant ce dernier ne s’y perd pas, la musique joue un rôle unificateur, qui finit soit par adoucir soit par renforcer l’horreur de l’action.

Loin de jouer sur les clichés, ce long métrage est une réelle réflexion sur le cinéma dit « d’action ».  « Only God Forgives » peut être considéré comme une véritable oeuvre d’art de par son esthétisme mais aussi de par sa subtilité. La performance des acteurs finit de bouleverser le spectateur. Comme les controverses qu’il a déjà suscitées, ce long métrage comblera tous ceux qui aiment à être perturbés par le grand écran.

A l’Utopolis.

 


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