DROIT AU LOGEMENT: Une journée sur un toit

Un jeune homme sur un toit, une route coupée, des voitures de police et un rassemblement de solidarité. Lundi dernier, des jeunes ont osé braver la loi pour transformer un lieu abandonné en espace collectif.

Le jeune squatteur est resté pendant douze heures sur le toit.

Lundi 1er juillet, Strassen, 9 heures. La police arrive au numéro 319 de la route d`Arlon pour mettre fin à l`occupation menée par quelques jeunes, après une plainte du propriétaire. De l`intérieur, le jeune squatteur qui ce matin se trouve seul essaye de dialoguer et demande à parler avec le propriétaire. Quand la porte cède suite aux coups du bélier policier, il se réfugie sur le toit.

« Le logement est un droit pour tous, un droit humain et non pas une chose pour laquelle il faudrait lutter. Au Luxembourg, il y a des gens expulsés de leurs maisons ou qui dorment dans la rue, pendant que plein de maisons comme celle-ci demeurent vides », crie-t-il d`en haut.

Pendant quelques heures, la rue est coupée, les journalistes et les sympathisants sont éloignés du lieu. Des voisins descendent dans la rue et expriment leur soutien. « Beaucoup de gens pensent comme lui, mais n`ont pas le courage de passer à l`action », dit une femme devant la maison. A leur instar, le parti déi Lénk s`est montré solidaire avec l`occupation.

Le jeune refuse d`être expulsé par la force policière, et insiste pour dialoguer avec les propriétaires de l`immeuble. Ces derniers assistent à tout, en refusant de parler avec les occupants et les journalistes. La police décide d`attendre que la faim et la soif fassent abandonner le squatteur. Mais les gens envoient depuis le trottoir des fruits et des bouteilles d`eau vers le haut du bâtiment. Personne ne sait quand ni comment tout cela va finir.

Entre le droit à la propriété et le droit au logement

Ces dernières semaines, le numéro 319 a été plus vivant que durant les trois dernières années d`abandon. A quelques mètres de là, toujours sur la route d`Arlon, se situe le siège de l`agence immobilière Crea Haus, propriétaire de l`immeuble qui prévoit de le démolir pour y construire… de nouveaux logements. « Il est hors de question de dialoguer. Ce sont des squatteurs », déclarait quelques jours plus tôt Richard Thibo, de la direction de l`entreprise. « Ils ont pris quelque chose qui ne leur appartient pas, ils n`ont pas le droit d`être là. »

« La question ne devrait pas être ?Sommes-nous autorisés à entrer dans une maison qui appartient à d`autres et à utiliser leur propriété ?`, mais plutôt ?Les banques et agences immobilières peuvent-elles utiliser la propriété pour augmenter les prix des logements, avec pour seul but l`accroissement du profit?` », affirme Moh Hamdi. Etudiant en histoire à l`Université du Luxembourg, il est révolté par l`explosion des prix du logement au pays et s`est impliqué dans l`occupation. « Posséder des maisons uniquement à des fins spéculatives alors que certains se font déloger ou n`ont pas l`argent nécessaire pour payer un loyer, c`est éthiquement incorrect et moralement irresponsable. »

« Des logements en parfait état sont détruits juste pour en construire d`autres qui généreront plus de profits. La consommation et le gaspillage de ressources sont démesurés. Cette maison entière va être mise à la poubelle d`une manière ou d`une autre », dénonce pour sa part Radu, le jeune qui passera toute une journée sur le toit de la maison. Pour lui, il est fondamental de développer ce genre d`actions au Luxembourg, « un pays où les profits des banques et des multinationales priment sur les droits fondamentaux des personnes ».

C`est fin mars que le groupe de jeunes poussa littéralement une porte de la maison, laissée ouverte et à l`abandon. « Elle était dans un état lamentable, sale et moisi. Nous avons mieux pris soin de l`espace que les propriétaires. Nous avons tout lavé, rangé, meublé, nous avons tondu la pelouse, planté des légumes, des arbres fruitiers… », se souvient Moh.

« Les espaces qui sont utilisés pour la spéculation immobilière peuvent être utilisés au bénéfice de la communauté. L`idée ici est de trouver des petites solutions pour les besoins de tous les jours. Créer un lieu où on peut se retrouver, librement et sans avoir recours à l`argent », explique Radu.

Un espace libre

Les coups de main se sont multipliés, chacun ramène ce qu`il peut. Un « magasin gratuit » a été mis en plac e: les gens y déposent ce qu`ils n`utilisent pas et y prennent ce dont ils ont besoin, gratuitement. Des repas gratuits et des évènements musicaux y ont lieu. Une règle prévaut : pas d`alcool ni de drogue. D`autres idées (workshops et débats, potager communautaire, atelier vélo…) ne pourront pas se réaliser étant donné l`expulsion.

Le dimanche 30 juin, dans l`immeuble de Strassen, un dîner collectif et une « jam session » ont eu lieu à la lumière des bougies, puisqu`il n`y avait pas d`électricité. Entre le son des guitares et des percussions, personne ne se doutait qu`ils fêtaient leur dernière soirée au 319. « C`est bon de voir tant de gens participer, partager », s`enorgueillit Moh. « Il y a beaucoup de potentiel, on espère que la police ne viendra pas et que l`espace pourra croître et prospérer. » Même en cas d`expulsion, il assure que « cela aura déjà été une grande expérience. On espère avoir suscité le débat. On espère avoir inspiré des gens. »

Lundi 1er juillet, Strassen, 18 heures. Radu reste sur le toit, la police attend en « défendant » la maison. Un rassemblement est convoqué par les réseaux sociaux, et quelques dizaines de personnes sont devant le bâtiment en soutien à l`occupation, pour le droit au logement, contre la spéculation immobilière. « Logement, droit humain », scandent-ils.

Vers 19 heures, la manifestation symbolique devient action directe : assis par terre, les manifestants forment un cordon pour empêcher le passage des véhicules chargés de murer l`édifice. La police préfère la négociation à l`intervention violente. Après douze heures de protestation pacifique, après avoir refusé tout dialogue, les directeurs de Crea Haus cèdent. La police et les propriétaires acceptent les exigences des manifestants : laisser descendre le jeune contestataire du toit librement, retirer la plainte contre les occupants et permettre la récupération des biens de ces derniers. Radu descend du toit, accueilli par des applaudissements et des embrassades. Tandis que le soleil s`évanouit sur l`horizon de la route d`Arlon, sur les bouches s`affichent les sourires des petites grandes victoires collectives.

Francisco Pedro tient à signaler aux lecteurs du woxx qu`il a participé activement à l’action en s’y solidarisant. Voilà, nous ne sommes pas le journal le plus « neutre », mais nous tentons d’être le plus honnête.

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Taxer les friches foncières et immobilières
(dv) – Hasard du calendrier ou pas, la problématique des logements laissés en friche à des fins spéculatives a été un sujet de discussion ce mardi (donc le lendemain de l’action) à la Chambre des député-e-s. Le député vert Henri Kox a profité de l’heure de questions au gouvernement pour interroger les ministres Halsdorf (Intérieur) et Schanck (Logement) au sujet de la fameuse circulaire aux communes qui leur permettraient d’appliquer une des dispositions du Pacte logement, à savoir la possibilité pour les communes de taxer les terrains et bâtiments en friche. En réponse, Schanck a annoncé qu’un projet de loi combinant aussi bien la taxation, l’aliénation de biens ainsi que la trêve hivernale serait présenté au Conseil de gouvernement le 19 juillet. Ils en auront mis du temps mais mieux vaut tard que jamais.


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