SARAH POLLEY: Quand l’artifice se veut vérité

Vous avez dit « cinéma-vérité » ? « Stories We Tell », le nouveau film de Sarah Polley, étire ce concept comme un élastique pour le faire reclaquer au visage du spectateur. Un film sans doute unique.

La caméra comme instrument de dissection : Sarah Polley explore les limites de la vérité et des sentiments sur sa propre famille.

Active dans le monde du cinéma depuis son plus jeune âge, la réalisatrice, productrice, scénariste et actrice canadienne Sarah Polley nous offre son troisième long métrage « Stories We Tell ». Présenté dans de nombreux festivals depuis 2012, ce film vient de faire son entrée dans les salles. La confusion et le bouleversement liés aux sentiments semblent être son intérêt principal. Dans cette optique, la cinéaste s’intéresse cette fois à sa propre histoire et met sa famille à nu.

Projet professionnel personnel, « Stories We Tell » se focalise sur la vie de sa mère. Un portrait reconstitué, tel une mosaïque, à travers les yeux de son entourage. C’est l’histoire d’un secret familial, de sa découverte et des conséquences que cela engendre, un exposé de relations humaines, de liens qui unissent les êtres entre eux. Mais c’est aussi une réflexion sur la vérité, qui n’est pas la même pour tout le monde. Pour faire très court, c’est son histoire familiale, racontée par ses proches, retranscrite à travers son oeil de cinéaste.

Mélangeant les genres cinématographiques autant que les versions d’un même récit, ce long métrage est une réelle réflexion sur la narration et sa mise en image. Les moyens techniques employés sont nombreux et variés : lectures de textes ou de mails, voix off, interviews et anecdotes forment le contenu du récit. Des images reconstituées, filmées avec une caméra Super 8 en noir et blanc ou en couleurs avec ou sans grain, dotées de rayures ou non, rendent les dires visibles. Des plans fixes très nets, caractéristiques de l’interview, y sont intégrés et créent un contraste frappant entre le passé et le présent. Certaines séquences montrent le tournage du film et donneraient presque l’impression d’un making-of. Cet amalgame de techniques narratives hétéroclites est renforcé par des silences et des gros plans sur les visages. La rareté de la musique met l’accent sur la parole.

Les souvenirs semblent silencieux. Les images en rapport au passé sont toutes, à une exception près, muettes ; les déclarations en changent le contenu. Les versions, la variation d’une même histoire et de plusieurs vérités, se transmettent par la répétition de mêmes images accompagnées de discours différents. Un besoin très important, presque vital, de raconter se fait ressentir. La notion de vie et de sa complexité est récurrente. Le coeur du récit est ancré dans les sentiments, c’est à travers ces derniers que la vérité est reconstituée. La relation, l’amour et le passé unissent les narrateurs tandis que leurs ressentis, leurs personnalités, leurs vécus aboutissent à un récit différent.

La réflexion sur la narration tant que sur la vérité est évidente. Très abouti d’un point de vue technique, le film offre une réflexion subtile sur le genre documentaire ou encore le cinéma-vérité. Cela a un effet déroutant sur le spectateur. Polley utilise-t-elle un mensonge pour montrer une vérité ?

Néanmoins ce qui se veut être véridique est tout de même à considérer d’un ?il critique car, tout comme le suggère l‘?uvre, un témoignage n’est qu’une vérité.

Combiner des techniques, des récits, des sentiments pour créer un tout des plus cohérents : voilà en une phrase ce qui constitue ce film, qui reste pour le moment une pièce à part dans le monde du cinéma.

A l’Utopia dans le cadre des Summer Follies


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