STEPHEN FREARS: Impardonnable

Si le fond de l’histoire de « Philomena » est bien connu – les injustices commises par l’Eglise catholique irlandaise – le film de Stephen Frears a le grand mérite de donner un visage humain à ces pratiques, qui n’en sont pas moins terrifiantes.

Du thé, des cookies,
mais aucune vérité : L’enquête de Philomena Lee et de Martin Sixsmith chez les nonnes s’avère difficile.

50 ans d’attente, de rêves, de craintes et d’espoirs pèsent sur l’esprit de Philomena Lee. Infirmière retraitée, vivant à Londres avec sa fille, son passé dans un monastère à Roscrea en Irlande n’a jamais cessé de la hanter. Après la mort de sa mère, quand elle était encore presque une enfant, son père la fait entrer chez les « bonnes » soeurs – et l’abandonne complètement. Sans aucune éducation sexuelle, elle tombe enceinte dès sa première rencontre amoureuse, lors d’une de ses rares sorties. Pour les nonnes, c’est le péché suprême.

Forcée d’accoucher sans anesthésie et en danger de mort – le bébé arrive dans le mauvais sens – elle et son petit garçon sont totalement à la merci des religieuses. Qui ne tardent pas à lui enlever l’enfant et à le faire adopter par un riche couple américain, une affaire juteuse pour le monastère. Une pratique répandue partout en Irlande dans les années 1950 – et il faudrait d’ailleurs se poser la question si cela ne s’est pas aussi produit au Luxembourg. Si Philomena réussit par après à sortir des griffes catholiques et à se construire une nouvelle vie, le souvenir de son petit Anthony la poursuit toujours – et le jour de son 50e anniversaire, elle raconte pour la première fois toute l’histoire à sa fille.

Par hasard, celle-ci tombe sur Martin Sixsmith, ancien journaliste, devenu un des directeurs de communication du gouvernement Blair. Ce dernier vient d’être licencié parce qu’il avait osé exhorter le gouvernement à ne plus dissimuler les mauvaises nouvelles. Sixsmith, après hésitation, se dit prêt à rencontrer Philomena pour entendre et transcrire son histoire et l’aider à retrouver son fils perdu, même si cette sorte d’article n’est pas sa tasse de thé. Entre la retraitée irlandaise et l’intello londonien légèrement snob se tisse une relation inégale, intéressante et parfois très drôle, même si, pendant leur quête, ils doivent faire face à d’atroces révélations.

Depuis 2002 et « The Magdalene Sisters » de Peter Mullan, les récits sur les jeunes filles torturées et abusées dans les monastères catholiques irlandais font partie de l’univers fictionnel du film européen et ont connu un grand nombre de ressassements dans d’autres films ou séries télé. Avec comme effet secondaire un grand débat sociétal en Irlande, où l’Eglise catholique patauge toujours entre réparations, excuses publiques et tentatives d’occulter les secrets les plus scabreux du passé. Une pratique d’ailleurs bien illustrée dans le film de Frears, qui montre une Eglise catholique apparemment repentie, mais qui en réalité cherche toujours à cacher ses fautes, quitte à en commettre d’autres, plus lourdes encore.

Mais le point fort de « Philomena » par rapport à « The Magdalene Sisters » est de sortir de la logique à cent pour cent accusatrice. Les nuances s’affichent surtout dans les rapports entre l’athée intellectuel Sixsmith et Philomena, qui malgré tout est restée croyante. Croyante, mais pas dupe, devrait-on préciser, puisqu’elle est consciente que ce que les nonnes lui ont fait subir n’a rien à voir avec la charité chrétienne. Mais elle veut pardonner, ne veut haïr personne. Quelque chose que Sixsmith n’arrive pas à comprendre – en sortant du monastère à la fin du film, il se retourne une dernière fois pour faire savoir aux religieuses : « Moi, je ne vous pardonnerais jamais. » C’est subtil, c’est beau et profond, comme tout le film d’ailleurs. Un film qui fait rire et pleurer à la fois et qui vit aussi de ses excellents acteurs – le duo Judi Dench et Steve Coogan est tout simplement époustouflant.

A l’Utopia en janvier.


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