MAIN DANS LA MAIN: Solidarité sans barreaux

J’aurais été bien content si quelqu’un m’avait aidé à mon arrivée …“ Au moment où dix personnes en rétention administrative sont, selon le „Lëtzebuerger Flüchtlingsrot“, en grève de la faim, ces propos d’un détenu du groupe d’entraide „Main dans la main“ prennent toute leur actualité.

„Hôtel cinq étoiles“, „chantier de talents artistiques“, „dépôt d’ordures“ … Les avis sur la prison sont très divers. La seule chose dont on peut être sûr, c’est que vivre au CPL n’est pas vraiment divin. A un moment où la façade de la prison intéresse l’opinion publique, il semble opportun de présenter un projet, né à l’intérieur de ces murs. Celui-ci a vu le jour sans accompagnement de tambours, mais relève l’envie de certain-e-s détenu-e-s de récupérer une partie de leurs droits et de leurs devoirs de citoyen-ne-s. Ce projet s’appelle „Main dans la main“ et s’adresse aux personnes incarcérées, ainsi qu’à celles travaillant en prison. Mais aussi à celles qui veulent le soutenir de l’extérieur.

Skhelzen, Joaquim, Nadia, Nuno, Joseph, Edith et Pedro sont des détenu-e-s. Myriam Floener et Toun Goedert travaillent avec eux et assurent la coordination.

En italien, on dit bien: „Passata la musica-finita la festa.“ Et la danse terminée, ces gens sont toujours à l’intérieur.

Les réponses données ici ont été élaborées par l’ensemble des membres du groupe d’entraide „Main dans la main“. Pourrait-on donc échanger quelques „larmes de la prison“ contre un soutien envers ce projet de solidarité sans barreaux?

woxx: Comment est né le projet „Main dans la main“?

Suite aux événements du 11 septembre 2001, un groupe de discussion, qui existait déjà, a eu l’idée de réaliser un projet d’aide aux enfants victimes des catastrophes. Or ce projet nous dépassait. Et nous avons décidé de commencer par le milieu qui est à notre portée, où il y a aussi des situations de souffrance énorme. Comme celle des personnes, pour la plupart des étrangers, qui se retrouvent en prison et qui sont en mesure de placement, sans argent, sans vêtements, sans famille ni amis pour les soutenir. Arriver en prison, c’est déjà difficile, et le groupe peut aider les nouveaux arrivants à passer ce cap. D’autant plus que des situations, comme celle des sans papiers en prison, sont vraiment injustes et peuvent durer plus longtemps que ce que la loi prévoit (maximum trois mois).

En quoi consiste ce groupe d’entraide?

Nous voulons aider les co-détenus, motiver les „participant-e-s“ à se sentir utiles, à être capables de soutenir les autres, malgré ses propres soucis. Nous discutons pour développer de nouvelles idées, pour écouter les autres, pour donner forme à nos idées et faciliter l’échange, vu la diversification d’opinions, de personnes et de cultures au sein du groupe.

Qu’attendez-vous de ce projet?

Qu’il avance, qu’il aboutisse à l’idée de départ, le changement du regard d’autrui. Qu’il devienne plus grand, c’est-à-dire que nous soyons, peut-être, capables un jour d’aider en dehors des murs. Développer la „sociabilité“, penser aux autres. On veut sensibiliser des personnes de l’extérieur. Leur montrer qu’on est capable de mettre sur pied un projet, que nous sommes des hommes et des femmes avec un sens de la dignité et du respect.

Est-ce que le projet a évolué selon vos souhaits?

Oui, mais l’appareil administratif est parfois lourd et les démarches sont difficiles, puisqu’il faut respecter toutes les voies hiérarchiques, faire attention au bon déroulement selon les demandes de sécurité et être à l’écoute des demandes et des critiques. Le projet connaît certes des moments de stagnation.

Quelles sont les démarches à aborder pour le bon fonctionnement du projet?

Il nous faudra persévérer, malgré les difficultés, nous motiver, parler autour de soi pour profiter du principe du bouche-à-oreille, apporter de nouvelles idées pour avancer, prendre les bonnes résolutions, savoir convaincre, accepter les critiques sans baisser les bras.

Comment peut-on soutenir le projet?

Le groupe a élaboré une feuille d’information pour chaque destinataire concerné. On peut y lire: „Nous sommes un groupe de détenus, hommes et femmes. Nous avons lancé un projet, consistant à venir en aide aux détenus en difficulté (les mesures de placement), afin d’alléger leur souffrance et de les épauler durant les premières semaines de leur détention. Vu le contexte et la nécessité dans lesquels nous nous trouvons, nous comptons sur votre générosité.“

Les détenu-e-s peuvent déposer les biens qu’ils veulent offrir – sucre, tabac, enveloppes, papier à lettres, stylos, timbres – dans une boîte spécialement prévue pour ça, à la cantine, et le montant est automatiquement déduit de leur compte. (Les détenu-e-s qui travaillent et ceux qui ne sont pas en mesure de placement ont un compte auquel ils/elles n’ont pas d’accès direct. Lorsque ces personnes achètent à la cantine les produits dont elles ont besoin, le montant des achats est déduit de leur compte). Les membres du personnel peuvent déposer des vêtements au service colis. Les visiteurs peuvent mettre de l’argent dans une tirelire à l’entrée de la prison. Toutes les personnes ayant à c´ur de dépasser les préjugés peuvent faire un versement sur le compte de „DISKUS a.s.b.l.“ (1)

Votre idée est assez nouvelle dans le monde carcéral. Qu’est-ce qui vous a amené à vous investir dans un tel projet?

Comme nous sommes tous et toutes passé-e-s par là, nous savons combien les premiers jours, surtout, sont difficiles et nous aimerions épargner au moins en partie ces difficultés et ces souffrances aux nouveaux arrivants.

Y a-t-il des co-détenu-e-s qui se plaignent que, eux/elles, personne ne les a aidé-e-s?

Nous avons eu quelques remarques de ce genre. Mais cela n’est pas du tout un argument dissuasif pour nous, au contraire: c’est là un de nos majeurs atouts. Dans l’ensemble, les gens ont tous conscience d’avoir vécu des moments pénibles. Si un tel projet avait existé au moment de leur arrivée, ils auraient bien été contents d’en pouvoir bénéficier. Nous avons toutes et tous été confronté-e-s à des situations pareilles. Maintenant que cela va mieux pour nous, nous essayons, pour les autres, de limiter certaines difficultés que nous avons connues à nos débuts.

Finalement, quel est votre but?

Le but, c’est d’aider les autres, et de nous prouver à nous-mêmes que, malgré notre entière dépendance du système carcéral, nous pouvons quand même prendre de bonnes initiatives qui donnent satisfaction, à nous et aux autres. Nous avons commencé ce projet et nous espérons que d’autres reprendront le flambeau. C’est aussi un moyen de réinsertion, car pour certains d’entre nous, c’est une première que de participer à un projet à caractère solidaire. Peut-être qu’une fois dehors, nous aurons envie de nous engager et de renouveler cette expérience.

Propos recueillis par Paca Rimbau Hernández

(Remerciements à toute l’équipe de „Main dans la main“ pour sa collaboration.)

(1) Les dons peuvent être versés sur le compte de „DISKUS a.s.b.l.“ auprès de la BCEE 1355-1755-7, au nom du projet „Main dans la main“.


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