ÉCONOMIE EUROPÉENNE: Tout va très bien !

A l’approche des élections européennes, les tenants du pouvoir à Bruxelles essayent de donner une image positive de l’Europe telle qu’elle est. Pourtant on va plutôt vers un désastre économique et politique.

Trop puissants, les marchés financiers ? Campagne électorale prémonitoire du Parlement européen
en 2009. (© Scholz&Friends Group)

La crise est maîtrisée et l’Union européenne en sort renforcée, c’est le message diffusé par le mainstream politique et médiatique. Vive la crise, vive l’Europe donc ? Les arguments ne manquent pas : indicateurs de croissance en hausse, courbes de chômage « infléchies », Irlande, Espagne et Portugal qui retrouvent la confiance des marchés financiers, tout cela avec l’aide du nouveau « Mécanisme européen de stabilité » et des politiques qui l’accompagnent. Pourtant, tout n’est pas rose, et le rôle de l’UE est vivement controversé. Au point que la une du numéro de mai du magazine Alternatives économiques demande : « Europe, remède ou poison ? »

Certes, les taux d’intérêt des dettes publiques et les indicateurs de croissance sont redevenus meilleurs, mais tant la confiance des marchés financiers que la conjoncture de l’économie réelle sont fragiles, au point que même la Banque centrale européenne (BCE) redoute une déflation. Quant aux dégâts provoqués par la crise – aggravés en Europe par les politiques d’austérité – ils sont loin d’être réparés. « Infléchir » le chômage veut dire qu’il s’est stabilisé à presque 12 pour cent dans la zone euro – bien au-dessus des taux d’avant 2009. Cela veut dire que, depuis cinq ans, des millions de personnes se sont retrouvées au chômage, avec des conséquences sociales, mais aussi économiques, qui se sont accumulées : pauvreté matérielle, fragilité psychologique, déqualification des chômeurs de longue durée.

Effets pervers

Ainsi, la baisse de 2,2 points du chômage en un an au Portugal est moins positive qu’il ne paraît. En effet, le taux de chômage reste, avec 15,2 pour cent, l’un des plus élevés en Europe. Surtout, cette baisse n’est pas le signe d’une création d’emplois massive. « Le chômage baisse d`abord parce que des milliers de Portugais ont quitté le pays et que beaucoup sont découragés et ne cherchent plus d`emplois », explique le journaliste Pedro Cordeiro, cité par Alternatives économiques. Sur une population de quelque dix millions, près de 700.000 Portugais ont quitté leur pays depuis 2005. On peut rapprocher cette vague d’émigration avec celle des années 1960, à la différence près que, désormais, il ne s’agit pas d’une main-d’oeuvre peu qualifiée qui s’en va, mais aussi de jeunes hautement qualifiés.

Chasser les acteurs potentiels du redressement d’un pays, voilà un des effets pervers des politiques d’austérité budgétaire et de baisse des revenus imposées au Portugal par l’Union européenne. Et qu’a-t-il été décidé dans la ville qui a donné son nom à la « stratégie de Lisbonne », supposée faire de l’UE « l`économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » ? Sous la pression de cette même UE, le Portugal a réduit de 380 millions d’euros en deux ans son soutien à l’enseignement supérieur.

Même du côté de la réduction des dettes publiques, priorité absolue des libéraux orthodoxes qui sont aux commandes à Bruxelles, rien n’est réglé. Car les politiques d’austérité destinées à réduire les déficits budgétaires entraînent mécaniquement une baisse du pouvoir d’achat, une chute de la consommation et de l’activité économique et enfin une baisse des recettes fiscales qui annule une grande partie des économies effectuées côté dépenses. Alternatives économiques renvoie à l’exemple de la France, où François Hollande a réduit le budget de 30 milliards d’euros afin de ramener les déficits, comme l’exige Bruxelles, en dessous de trois pour cent du PIB. Résultat : l’activité économique en a pris un coup et le déficit s’est retrouvé à 4,3 pour cent. Actuellement, huit pays de la zone euro, représentant plus de la moitié de son PIB, se retrouvent avec une dette supérieure à 90 pour cent de leur PIB, et sont extrêmement vulnérables aux changements d’état d’âme des marchés financiers.

L’Europe sauvée ?

En effet, si l’Union a mis en place, à partir de 2010, une formidable machine produisant de la rigueur budgétaire, l’augmentation de la capacité de résistance face aux tempêtes financières est moins impressionnante. Ainsi, l’Union bancaire comporte un certain nombre de lacunes, et surtout, certains de ses mécanismes ne seront mis en place que dans deux ans au plus tôt. Quant au Mécanisme européen de stabilité (MES), son pouvoir d’action est considérable, mais son soutien est couplé à des conditions rigoureuses – que se passera-t-il si un gouvernement refuse de s’y plier ? Enfin, « l’artillerie lourde » de la BCE – la possibilité de racheter des titres de dette publique pour enrayer la spéculation -, elle, ne doit être mise en oeuvre qu’en faveur, là encore, de pays se soumettant aux conditions du MES. Une véritable invitation à spéculer contre la dette de pays rejetant les recettes libérales…

Cette situation ne constitue pas une fatalité. Face aux « experts » qui continuent à défendre l’orthodoxie libérale comme si la crise n’avait pas eu lieu, il y a une gauche radicale qui estime que la mise en commun des politiques monétaires et fiscales à travers l’euro a été une erreur sur laquelle il faut revenir. Entre les deux se situent ceux qui favorisent une refonte radicale de l’architecture de la monnaie unique. Une de leurs principales cibles est l’article 125 du traité de Lisbonne, celui qui déclare chaque Etat seul responsable de ses équilibres budgétaires et interdit en principe toute aide communautaire. Ce principe, imposé à l’époque par l’Allemagne, a failli faire exploser la zone euro et est désormais tempéré par le MES. Ce qui explique l’insistance de la droite allemande, attachée aux principes libéraux orthodoxes, à lier ces aides à un renforcement du contrôle des budgets nationaux.

Univers parallèles

Le rédacteur en chef d’Alternatives économiques est pourtant optimiste : la grande coalition allemande serait en train de relancer la demande intérieure, ce qui profiterait aussi aux partenaires européens. En outre, il estime que les sociaux-démocrates seraient « désormais vaccinés contre les excès du social-libéralisme `schröderien‘ », ouvrant de nouvelles perspectives au niveau européen. Le revirement politique envisagé se situerait au niveau de l’orientation politique et au niveau des institutions. Les politiques européennes devraient passer de l’austérité à une politique économique de la demande, financée par de l’argent public. Il s’agit d’atténuer les conséquences sociales de la crise d’une part, d’investir dans la restructuration écologique des économies européennes de l’autre. Idéalement, cela s’accompagnerait d’une refonte des traités, rééquilibrant les textes en faveur des droits sociaux, libérant la BCE des dogmes libéraux et donnant à l’Union les moyens budgétaires propres qui conviennent à une zone économiquement intégrée.

Un tel scénario est-il probable ? Les élites européennes ont-elles compris que le chemin emprunté actuellement mène à une impasse économique et politique (voir édito p. 2) ? Le passage de Klaus Regling, directeur du MES, à la Maison de l’Europe, mercredi dernier, n’a pas donné cette impression. Pour lui, les marchés financiers demeurent une référence positive – peu surprenant de la part de quelqu’un qui a aussi été directeur de hedge funds. Regling a insisté sur l’importance des conditions attachées aux aides du MES : « Il faut que les pays que nous aidons modifient leurs politiques économiques – ils ont forcément un problème, sinon ils n’auraient pas été rejetés par les marchés financiers. » Son expérience auprès du Fonds monétaire international – institution controversée pour avoir dévasté de nombreux pays du Sud à travers ses « programmes d’ajustement structurel » – lui a enseigné l’importance de « maintenir la pression sur un pays afin qu’il respecte ses engagements ».

Regling semble convaincu que cette mise au supplice est dans l’intérêt bien compris de ses patients : « L’histoire économique montre que les pays soumis aux réformes structurelles finissent par avoir des économies parmi les plus performantes. » Ses objectifs ultimes étant la croissance et la création d’emplois – mais seulement après avoir surmonté la crise et retrouvé une situation normale. Regling ne doute pas un instant que les conditions – bien adaptées – et la situation « normale » telle qu’elle est envisagée par les libéraux finiront par être acceptées par les citoyens. Décidément, il y a sur cette terre plusieurs univers parallèles, dans lesquels ni l’histoire, ni l’économie, ni la réalité politique ne coïncident.


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