LUC BESSON: L’être et le néant

« Lucy » est la toute dernière production du plus américain des réalisateurs français, Luc Besson. Bien des fans de films d’action ont dû prendre la nouvelle avec enthousiasme, mais encore faut-il ne pas se réjouir trop vite.

Tout comme l’habit ne fait pas le moine, le nom ne fait pas l’oeuvre. Ce n’est pas parce que Besson peut se permettre de faire travailler de très grands acteurs, comme Morgan Freeman ou encore la coqueluche d’Hollywood, Scarlett Johansson, que le succès est forcément à la clé. Stratégie commerciale ou besoin crucial d’une interprétation de haute qualité, le dernier Besson est loin d’être convaincant.

« Lucy » raconte l’histoire d’une jeune étudiante en voyage à Taiwan – qui se voit bien malgré elle transformée en mule pour un cartel de la drogue. La nouvelle drogue de synthèse qu’elle transporte se répand dans son organisme et lui permet d’accéder à cent pour cent de ses capacités cérébrales. Ceci va altérer sa perception du monde tout en lui procurant des superpouvoirs.

Cet accès à la connaissance et à la compréhension ultimes est un des phantasmes les plus récurrents chez l’humain ; déjà Goethe avait basé son « Faust » sur cette quête, pour dire à quel point cette idée est entrée dans les thèmes classiques des arts. Et puis, en 2011, Neil Burger avait sorti « Limitless », qui raconte une histoire similaire.

Pourtant le concept de Besson se veut plus complexe. Une réflexion sur la perception sert de base au film, une sorte de jeu sur l’infiniment petit et l’infiniment grand qui se devine en filigrane. Si l’idée se veut ambitieuse et presque métaphysique, elle reste pourtant très matérielle. Besson a eu une bonne intuition mais la mise en oeuvre demeure bien maladroite. L’évolution de Lucy laisse sceptique ; son personnage manque cruellement de cohérence. Mademoiselle Tout-le-monde devient d’une seconde à l’autre une machine à tuer dépourvue de toute émotion. Certes, elle se transforme en intelligence pure, mais cela ne l’empêche pas d’appeler sa mère pour lui dire qu’elle l’aime, parce qu’elle a compris qu’elle va mourir…

Il faut avouer que tout n’est pas à jeter : la performance des acteurs vient, quand le scénario lui en laisse la possibilité, sauver le long métrage. Le rôle accordé à Morgan Freeman est pourtant trop réduit et ne fait pas avancer l’intrigue ; il ne sert qu’à représenter l’aspect scientifique du phantasme, et encore seulement le côté bienveillant. Son personnage manque de profondeur, tout comme les autres qui ne s’étonnent pas plus que cela des pouvoirs surnaturels de Lucy. Le déroulement de l’action est trop rapide pour laisser place à un quelconque développement cohérent.

Si, dans l’ensemble, le scénario est un désastre, le long métrage, en qualité d’image, est assez bien conçu. Les effets spéciaux sont irréprochables et il faut remarquer que les images de synthèse sont très travaillées. Elles représentent ce que personne ne peut imaginer ou ressentir – d’où leur caractère abstrait. On pourrait leur reprocher leur inefficacité, mais il ne faut pas juger trop vite, car toute mise en image de l’irreprésentable est valable.

Dans l’ensemble, « Lucy » est un projet difficile. Besson voudrait s’attarder sur l’opposition entre l’émotion et la connaissance, le tout et le rien, mais il voudrait surtout nous faire réfléchir sur la vie, ses origines, son sens. Il voudrait nous faire prendre conscience de notre insignifiance tout comme de notre suprématie. Le plus intéressant à observer dans ce film fondé sur des paradoxes est certainement que, si l’on regarde « Lucy » sans réfléchir, il passe pour un long métrage distrayant. Très ambitieux, il faut le reconnaître, Luc Besson aurait peut-être mieux fait de gamberger encore dix ans sur ce projet.

Dans les cinémas.


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