ART CONTEMPORAIN: Un peintre dans la pampa

Jean-Marie Biwer „zappe“ le monde qui l’entoure comme il „zappe“ la télé. Il peint ce qu’il voit, tout simplement.

D’emblée, l’artiste nous explique que le titre de son exposition actuelle à la Galerie Clairefontaine, „En avant, toutes“ est inspiré du langage marin: „C’est une expression typique du capitaine d’un bateau; j’ai choisi cette expression parce que je me considère un peu comme le capitaine de mes tableaux“ Ù et il nous emmène en voyage Ù dans l’Oesling! A travers une exposition marquée par un peu d’érotisme et beaucoup d’humour. S’y dévoilent, côte à côte, des gros plans de Kiki (son lapin), des paysages de Basbellain (sa patrie élective) et quelques nus féminins „qui ont trente ans, qui ont quarante ans“.

Il faudra sans doute remonter quelques années en arrière, explorer les fondements de la démarche de Jean-Marie Biwer et suivre son évolution artistique, pour comprendre ses tableaux les plus récents. Depuis le début, le corps humain occupe une partie centrale dans son ´uvre: de la représentation intime de ses proches jusqu’à l’empreinte évanescente du Saint Suaire, Biwer questionne sans cesse la représentation du corps. „De fait, le corps est l’un des thèmes majeurs de l’histoire de la peinture“, nous dit-il, „et ce jusqu’au vingtième siècle, avec Picasso qui l’a démultiplié, et Francis Bacon qui l’a déchiré. Aujourd’hui, je réalise des corps de femmes issues directement de la ‚zap-culture‘ qui est la nôtre. Internet, la publicité, la télévision avec ses ‚lofts‘ et autres ‚popstars‘, nous donnent une image légitimement critiquée de la femme. Pour moi, les femmes sont traitées par les médias comme des esclaves modernes. Il y a quelques années de cela, j’ai peint des ‚objets de désir‘, en version masculine, cette fois. Là, j’ai réduit l’homme à sa partie génitale. J’ai représenté celle-ci non pas en errection, mais de façon ’naturelle‘, donc non spectaculaire … à l’époque, les femmes ont beaucoup aimé mes peintures, les hommes nettement moins Ù“

Du corps, Jean-Marie Biwer est passé à l’objet. Dans des images apparemment simples, on retrouve des agencements d’un ou de deux pots dans l’espace. Les rapports de domination et de pouvoir caractérisent ces tableaux, et ne font de ces pots rien d’autre que des paraboles de l’être humain. „Depuis mes débuts, je peins et je repeins toujours les mêmes thèmes, comme celui de la nature morte, par exemple. Mais je les représente à chaque fois sous un angle différent. A tous ceux qui s’étonnent de ne rien voir de nouveau, voire d’exceptionnel, dans ma peinture, je réponds qu’ils passent leur vie à regarder les mêmes choses sans jamais les voir vraiment.

Douleurs et plaisirs

Son travail a toujours été, en grande partie, en relation directe avec les événements marquants de l’actualité mondiale. „Tchernobyl, la Guerre du Golfe et, plus récemment, l’Irak, sont des tragédies qui m’affectent beaucoup. Je les intériorise et j’en fais des tableaux qui doivent parler à tout le monde. La peinture est un langage au même titre que l’écriture ou la musique. Il est important pour moi que mes ´uvres ‚parlent‘ au spectateur et qu’elles le touchent. Sinon, ma peinture serait un art de dilettantisme pur et simple.“ A ce sujet, une des séries de tableaux les plus impressionnantes est celle dite sur la Guerre du Golfe. Elle est constituée de grands tableaux blancs, presque monochromes, d’où surgissent, tel des plaies ouvertes, des points rouges. L’image de traces de sang dispersées dans le blanc immaculé de la neige vient à l’esprit. Aujourd’hui, ce sont les nuages noirs de Bagdad qui font partie de ses peintures, références directes à l’actualité.

C’est à Dudelange que Biwer a passé son enfance. Dans ses souvenirs, le monde ouvrier de l’époque est synonyme de grisaille et de monotonie. Il raconte que les aventures de Tintin et Milou lui offraient quelques moments de plaisir. Mais, c’est précisément là, dans ce milieu à priori peu enclin à la culture, qu’il a son premier contact avec l’art: „En cachette, j’ai regardé les beaux livres de mes parents et j’ai ainsi découvert les chefs d’´uvres de l’histoire de l’art. Je dis bien en secret, car mon père a estimé que l’art était très dangereux pour les enfants à cause des Vénus et des femmes nues!“

Nordiste du sud

On ne s’étonnera donc pas que la poursuite d’études artistiques n’eut pas eu lieu, et que Biwer ait appri le maniement du pinceau en parfait autodidacte. Nul doute non plus que son enfance et son environnement l’ont marqué, ce dont témoignent les tableaux qu’il expose actuellement. Ils expriment, selon Biwer, la réconciliation avec sa vie d’antan. Le vécu au sud du pays ainsi pardonnée, il se fait aujourd’hui le chantre de l’extrême-nord du Luxembourg: „living in la pampa“ et peindre ce qu’il a sous les yeux, sont les mots d’ordre de sa peinture. Car il peint ce qu’il voit lorsqu’il regarde à travers sa fenêtre: d’un côté, les champs de l’Oesling avec les visages que les saisons leur confèrent; de l’autre côté, la petite grange en face de son atelier, qui, aux yeux de l’artiste, ne perd jamais de son attrait ni de son charme, sous la neige comme au soleil.

Pourquoi peint-il donc l’Oesling? „Pourquoi peindrai-je autre chose? Je vis ici, et c’est ce que je peinds! Si cela ne plaît pas aux autres, tant pis pour eux! Tant d’autres artistes, que l’on qualifie ‚de réputation internationale‘, font exactement la même chose, bien que dans un contexte différent. Prenons seulement l’exemple de William Kentridge, l’artiste sudafricain qui traite de l’Apartheid dans ces ´uvres, ou encore Shirin Neshat qui parle de la condition des femmes en Iran. Dans leurs ´uvres, il est également question de leurs origines et de l’identité nationale.“

Dudelange n’est pas Paris, et Basbellain certainement pas New York. „Painting in la pampa“ sous-entend donc forcément une isolation radicale, et implique aussi un dialogue artistique intensif avec un petit bout de terre.

Finalement, ce qui importe le plus à Jean-Marie Biwer, c’est d’exprimer quelque chose sur l’identité luxembourgeoise, et ceci à travers les yeux d’un peintre.


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