SAMUEL THEIS / CLAIRE BURGER / MARIE AMACHOUKELI: Le cabaret de ma mère

Récompensé par deux prix à Cannes, « Party Girl » est un docufiction cru mais attendrissant – et qui ouvre de nouvelles voies dans le cinéma français.

Difficiles retrouvailles : Angélique Litzenburger tente de se rapprocher de sa fille Cynthia placée dans une famille d’accueil dix ans plus tôt.

A Forbach, ce « no man’s land » entre la Lorraine et la Sarre, la vie n’est pas toujours pure liesse. Dans ce territoire disputé entre deux grandes puissances européennes pendant des siècles et aujourd’hui tombé en désuétude et dépression postindustrielle, même le bilinguisme remarquable de la population des deux côtés de la frontière ne peut cacher que cet endroit est condamné. Alors autant faire la fête, ou mieux, faire de la fête son boulot. C’est ce qu’a fait sa vie durant
Angélique, entraîneuse dans les cabarets qui longent la frontière. Mais le temps passe aussi sur une « Party Girl » comme elle et, la petite soixantaine arrivée, elle doit admettre qu’elle n’est plus à même de tenir son rôle de doyenne des guinguettes.

Le problème d’Angélique est inhérent à son mode de vie : jamais elle n’a planifié longtemps à l’avance, elle n’a pas de plan retraite idéal, elle a toujours vécu au jour le jour – voire de nuit en nuit. Ainsi, elle décide sur un coup de tête, et pour assurer ses arrières, de céder à la demande d’un de ses clients fidèles qui souhaite l’épouser. Cet homme, Michel, un ancien mineur en préretraite, est honnêtement amoureux d’Angélique et ne se rend pas compte de l’attrait que la vie nocturne exerce toujours sur sa nouvelle compagne. Naïf et bourru, il se voit dans le rôle du héros qui sauve sa princesse du royaume des ténèbres. Pourtant, même si Angélique semble se « resocialiser » et reprendre contact avec ses quatre enfants – y compris la plus jeune qui avait été placée dans une famille d’accueil une dizaine d’années auparavant – elle ne réussit pas à s’intégrer dans sa nouvelle vie.

Ce qui rend « Party Girl » tellement intense n’est pas seulement la mise en scène assurée par trois réalisateurs à la fois, ce qui est pour le moins inhabituel, mais le fait que les personnages se jouent eux-mêmes. C’est-à-dire qu’Angélique Litzenburger est vraiment une ex-entraîneuse de cabarets lorrains et que ses enfants – dont le réalisateur Samuel Theis – sont vraiment les siens. Certes, le mariage figurant dans le film n’a jamais eu lieu, mais une bonne partie des éléments présents dans « Party Girl » sont réels.

Ce qui enlève au film aussi toute velléité de verser dans le drame social et dans le voyeurisme. Ici, même les choses et les histoires les plus moches sont enveloppées dans la tendresse d’images chaudes et d’un scénario très cohérent, qui ne force pas sur les émotions et les effets spectaculaires mais donne le temps nécessaire aux différents personnages pour se développer. Pas étonnant donc que Samuel Theis ait indiqué dans une interview s’être inspiré du cinéma de Pier Paolo Pasolini pour tourner « Party Girl », car le film qu’il signe avec ses coréalisatrices peut être perçu comme un renouveau du naturalisme dans le cinéma français.

Quoi qu’il en soit, « Party Girl » est un film comme on voudrait en voir plus : loin du parisianisme, loin des grandiloquences germanopratines et de leurs envolées lyriques. Un film simple, sur des gens simples mais qui – en fin de compte – en dit tellement plus sur la vie.

A l’Utopia.


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