DROGUES: La fin de la guerre ?

Avec l’arrivée du nouveau gouvernement – et en parallèle une vague de libéralisation internationale – certains groupes espèrent que la politique de répression en matière de drogues cessera. Pourtant, trouver un nouveau modèle n’est pas si simple.

Une éducation encore à faire ? (PHOTO: ©flickr_Dave O)

A partir de novembre, il se pourrait bien qu’ils soient quatre. Quatre Etats fédéraux américains à légaliser l’usage du cannabis à des fins non seulement médicales, mais aussi récréatives. Après le Colorado et Washington, les Etats de l’Alaska et de l’Oregon se prononceront sur ce sujet par voie de référendum. En même temps, la Floride demandera à ses citoyens s’il faut autoriser l’usage du cannabis médical – et serait, en cas de réponse positive, le premier Etat fédéral foncièrement conservateur à basculer dans cette direction. Et la tendance pourrait encore s’amplifier : selon un sondage publié par CNN début 2014, 55 pour cent des Américains ont indiqué être en faveur d’une légalisation du cannabis – ; dans le même temps, le nombre de ceux indiquant que fumer du « pot » était « moralement répréhensible » a diminué. Et si l’opinion bascule même dans le pays qui a inventé la « guerre contre la drogue », cela devrait avoir des effets significatifs au niveau international. Pas seulement en Uruguay, où le président José Mujica a légalisé la drogue douce, contre l’avis même de son Parlement.

Pour comprendre les raisons de ce dégel en matière de répression contre le cannabis, il faut d’abord comprendre pourquoi cette plante a été déclarée illégale. Depuis le Néolithique, l’homme la connaît et l’utilise : d’abord il commence à en apprécier la matière – pour fabriquer des cordes et des étoffes -, et puis avec le temps il en reconnaît aussi les effets calmants, voire la possibilité de l’utiliser comme un médicament antidouleur ou même comme traitement contre l’épilepsie. Au 19e siècle, une bonne partie des médicaments contenait du « chanvre indien », du cannabis donc, pourvu de la substance psychotrope THC (tétrahydrocannabinol). L’interdiction de la substance tient finalement à deux raisons : le lobbying de l’industrie pharmaceutique qui, au début des années 1930, souhaitait commercialiser ses substituts chimiques et plus onéreux, et bien sûr la découverte et la popularisation du THC comme drogue récréative. Il suffit de penser aux « Paradis artificiels » de Baudelaire ou aux musiciens de blues et de jazz du début du 20e siècle : « Yeah bring me Champagne when I’m thirsty, bring me Reefer when I want to get high », chantait déjà Muddy Waters, le père du delta blues. Le cannabis a toujours été une drogue de la contre-culture, donc mal aimée des autorités et d’autant plus attirante pour la jeunesse.

« Bring me Reefer when I want to get high »

Mais, de nos jours, un peu partout dans le monde, une vague de libéralisation se fait sentir, comme on peut le voir à travers la campagne internationale « Support Don’t Punish ! » qui est soutenue aussi bien par des centaines d’ONG que par des personnalités pour le moins inattendues comme Javier Solana. Pourtant, l’Union européenne est très loin d’avoir une attitude commune face à la problématique de la drogue en général et du cannabis en particulier. Aux Pays-Bas, la tolérance pour les « coffee shops » est en train de s’essouffler sans qu’une nouvelle politique cohérente semble se dégager, et les Néerlandais sont en train de perdre tout simplement le contrôle d’une situation paradoxale, créée par un laisser-faire politique. Certains pays, comme l’Espagne, sont plus tolérants que d’autres dans la pratique, sans aller jusqu’à laisser des officines de vente s’installer sur leur territoire. Mais se promener avec un joint dans une ville espagnole ne fera pas broncher le policier du coin. D’autres encore continuent la politique de répression à l’aveuglette sans tenir compte des réalités du terrain, aussi dures fussent-elles, et peu importe le coût d’un tel entêtement : la France par exemple. Il faut admettre qu’en matière de politique sur les stupéfiants, un seul pays européen a fait des choix clairs et cohérents, et semble pour le moment du moins en récolter les fruits : le Portugal.

Le modèle portugais n’applique rien de moins qu’un changement total de paradigme : ce ne sont plus la justice ou la force publique qui sont en charge des stupéfiants, mais le ministère de la Santé. Ce qui implique une dépénalisation non seulement du cannabis, mais de toutes les drogues. L’usager n’est donc plus criminalisé, mais traité – aux yeux de la loi – comme un patient malade qu’il faut aider. Les effets de cette politique, mise en place au début des années 2000, sont entre autres une chute de 60 pour cent du nombre d’héroïnomanes en dix ans, mais aussi une chute nette des usagers du cannabis et d’autres drogues. En même temps, les prisons se sont désengorgées et les infections par le VIH ont diminué significativement. Certes, le modèle portugais n’est pas une solution miracle applicable à chaque pays et comporte aussi ses propres paradoxes – par exemple, la non-disparition des gros dealers et du grand banditisme lié au commerce de la drogue. Mais du moins présente-t-il l’avantage d’être moins hypocrite et plus proche du citoyen que la répression.

Modèle portugais au Luxembourg ?

Et le Luxembourg dans tout ça ? Depuis qu’un « Aktionscomité Bündnis Cannabis » – composé des jeunesses des partis vert, libéral, de la gauche et des pirates s’est fait remarquer, on peut espérer un changement de situation. Les jeunesses socialistes, malgré une résolution en faveur de la légalisation du cannabis retenue à un congrès il y a quelques années, ne sont pas membres de la plateforme, à cause de « dissensions internes récentes », comme nous l’a confirmé leur chef Sammy Wagner. La situation grand-ducale est assez proche de celle de nos voisins français : répression et pas une once de tolérance. Même si le ministre de la Justice, Felix Braz, a prétendu face aux collègues du « Wort » en début de semaine que les lois ne seraient plus appliquées à la lettre, il suffit de jeter un coup d’oeil dans les bulletins de la police pour se convaincre qu’une petite quantité de cannabis suffit toujours pour y paraître. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé au woxx le nouveau porte-parole de la police Daniel Back : « Pour la police, les choses sont claires : nous appliquons la loi, un point c’est tout. Nous ne faisons aucune exception pour les petits consommateurs. D’ailleurs, ce n’est pas notre travail – qui consiste à constater les infractions et les crimes et traduire les suspects en justice – mais celui de la justice d’être clément ou non. Et c’est celui de la politique d’éventuellement changer les lois, que nous devrons appliquer au cas où elles changeraient. » Mais entre-temps, la police cherche de son côté à renforcer son travail de prévention, notamment avec le – désormais célèbre – clip tourné par Andy Bausch. Ce qui illustre bien le fait que cette thématique reste toujours un terrain glissant.

Un terrain glissant sur lequel s’est aventuré, à la surprise de certains, le nouveau directeur du centre de prévention des drogues et des toxicomanies (Cept), Jean-Paul Nilles, en plaidant pour une dépénalisation du cannabis. Pour lui, une chose est claire : « Si nous allions dans la direction d’une dépénalisation du cannabis, cela ne pourrait se faire qu’en corrélation avec un renforcement de la protection de la jeunesse. Il faut différencier fortement la consommation de drogues – toutes les drogues – et l’âge du consommateur », estime-t-il. « De toute façon, les drogues font partie de chaque société et c’est à chaque société de trouver les réponses adéquates à comment les traiter. Mais une chose est néanmoins certaine : peu importe les lois que nous aurons peut-être un jour, aucune d’entre elles n’évitera à des personnes de tomber dans la misère. » Et de pointer la différence entre un consommateur occasionnel et une personne à la consommation problématique : « Malheureusement, le cliché du chemin direct entre le premier joint et la carrière d’héroïnomane fini est toujours dans les têtes, alors que la question est bien plus complexe », regrette-t-il. Quant à une éventuelle adaptation du modèle portugais au Luxembourg, Nilles reste très sceptique et sur le qui-vive : « Je ne crois pas qu’on puisse directement adapter cela à la situation luxembourgeoise. D’abord, il faut avoir les infrastructures adaptées pour le faire, et puis le pays doit aussi avoir la mentalité, voire accepter la nécessité de sauter ce pas. Même si, au cas où nous allions dans le sens d’une dépénalisation du cannabis, il serait envisageable que d’autres substances suivent. » Pour l’instant, on ne peut que constater que la discussion semble ouverte, même si les résultats concrets se feront encore attendre : « Je dirais que cela prendra encore plusieurs années. Et d’ailleurs, l’année prochaine, on a une présidence ici et cela m’étonnerait que les choses bougent avant ou même pendant. »

La balle est donc désormais dans le camp de la société civile pour faire pression sur les politiciens, afin d’au moins mener des discussions sans a priori et sans la peur d’un électorat plus conservateur, qui préfère toujours se voiler la face devant la réalité. En même temps, les pro-cannabis ne doivent pas perdre de vue une autre réalité, aussi dérangeante soit-elle : il n’existe aucune législation parfaite face aux problèmes que posent les drogues, et en particulier les addictions.


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