THÉÂTRE: Branlette cryptique

Pauvres acteurs ! Malgré leurs performances, la mise en scène de « L’impromptu de l’Alma », d’Eugène Ionesco avec des apports de l’auteur luxembourgeois Ian De Toffoli, ressemble à une grande séance de masturbation intellectuelle – alors que l’original est une satire de celle-ci.

Les critiques infernaux s’apprêtent à apprendre comment écrire une pièce de théâtre à Ionesco…

Quand on évoque Eugène Ionesco, on pense avant tout à ses oeuvres majeures, celles du théâtre de l’absurde comme « Rhinocéros » ou « La cantatrice chauve ». C’est que l’auteur d’origine roumaine, qui a pourtant fait toute sa carrière en France, comme son compatriote Emile Cioran par exemple, est l’un des rares à avoir accédé au statut d’auteur classique de son vivant. Pourtant, cela ne l’a pas empêché d’être épinglé, voire meurtri par certains critiques, même s’il s’agissait de ses amis.

« L’impromptu de l’Alma » est une réponse et le produit de cet état d’esprit. Au moment de son écriture, en 1955, de grands critiques et intellectuels français comme Roland Barthes tenaient le haut du pavé et le théâtre brechtien – dont le créateur mourra en 1956 – était à son apogée. Pourtant, écrire seulement pour les critiques était inconcevable pour Ionesco, d’où l’origine de cette farce.

Sur scène, le personnage principal est Ionesco lui-même, seul et confiné dans son appartement, luttant avec les pages encore blanches de sa dernière pièce « Le berger et le caméléon ». Soudain, il reçoit la visite d’un critique, qui lui réclame cette pièce – tout en lui donnant des leçons sur comment concevoir le théâtre – ; cette irruption est suivie de celle d’un deuxième, puis d’un troisième critique et la scène d’entrée est identique à trois reprises : on plonge dans l’absurde avec cette visite des trois mages sous la forme de poupées russes. La confrontation entre Ionesco et les démons critiques ne se termine que lorsqu’un personnage unique, sa femme de ménage, tire l’auteur de sa tourmente.

« L’impromptu de l’Alma » est une oeuvre d’Ionesco bourrée de références – les reproches qui sont faits au dramaturge dans la pièce sont en effet extraits de critiques réelles, notamment celle de Jean-Jacques Gautier du Figaro – et donc enracinée dans une certaine époque et difficile à actualiser. Pourtant, le faire constituerait un défi salutaire – ne serait-ce que pour critiquer le faible poids de la « vraie » critique théâtrale de nos jours en France et surtout au Luxembourg. Un défi que l’équipe rassemblée autour de Jacqueline Posing-Van Dyck aurait pu relever, vu qu’elle était soutenue par l’auteur Ian De Toffoli – dont on se demande quel a été finalement l’apport au juste, à part quelques injections ça et là.

Car il est vrai que les questions relevées par la pièce d’Ionesco sont toujours d’actualité, surtout à notre époque formidable où l’influence de la critique dans la presse écrite diminue continuellement – ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose -, pour être remplacée par celle des journalistes-citoyens-internautes individualistes – ce qui n’est pas forcément une bonne chose. En somme donc, « L’impromptu de l’Alma » est une belle occasion ratée pour parler de choses importantes.

Relevons seulement les belles performances de tous les acteurs et actrices – Marc Baum, Dominique de Kuyssche, Mathieu Moro, Norbert Rutili et Serge Tonon – qui finalement font que la soirée passée au théâtre ne tourne pas au gâchis total.

Au TNL, encore ces samedi 17 et dimanche 18 janvier.


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