Comment a-t-on pu en arriver là ? Une question taraude les esprits, en France, après les attentats de Paris.

Y a-t-il une continuité directe entre les émeutes de 2005 et les attentats de Paris ? (Photo: Wikimedia)
Un coup d’oeil sur l’histoire des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly pourrait fournir un début de réponse. Le quotidien écologiste en ligne Reporterre raconte l’enfance et la jeunesse de Chérif et Saïd Kouachi : issus d’une famille nombreuse, dont le père est absent et la mère se prostitue pour arrondir ses fins de mois, les deux frères passent leur enfance dans un quartier pauvre du 19e arrondissement de Paris. A l’âge de respectivement douze et dix ans, ils perdent leur mère, morte d’une overdose de médicaments. Ils sont placés dans un foyer et passent leur jeunesse « sans histoire », avant de faire la connaissance d’un groupe de salafistes parisiens. Sur fond de guerre en Irak, ils se radicalisent progressivement.
Amedy Coulibaly, lui aussi issu d’une famille (très) nombreuse – ils étaient dix enfants – a grandi à Grigny, une banlieue située dans l’Essonne, en Ile-de-France. Lycéen, il passe à la petite, puis à la grande délinquance : vols, braquages, trafic de drogue. En 2000, alors qu’il a 18 ans, son meilleur ami Ali Rezgui est tué par un policier alors qu’il tente de s’enfuir à bord d’une camionnette remplie de motos volées. Coulibaly s’en sort blessé. Par la suite, il est plusieurs fois condamné et emprisonné pour vols aggravés. En prison, il fait la connaissance de Chérif Kouachi. Détenu à Fleury-Mérogis, il participe au tournage clandestin d’une vidéo censée lever le voile sur les conditions de vie dégradantes dans la plus grande prison de France.
Produits de la misère
Chérif et Saïd Kouachi, tout comme Amedy Coulibaly, sont de purs produits de la misère. Tous trois élevés dans des quartiers défavorisés, ils représentent en quelque sorte le portrait typique du djihadiste français : enfance misérable, petite délinquance pour Coulibaly, les foyers pour les frères Kouachi, radicalisation sur fond d’interventions occidentales dans des pays arabes et en prison, puis passage à l’acte dans un contexte international plus que tendu. Et ils ne sont pas les premiers ni les derniers à être prêts à passer à l’acte. Comme ces centaines de jeunes, pour la grande majorité issus de quartiers « chauds », qui
partent faire le djihad en Syrie ou en Irak, ils sont français, ils ont grandi en France, ils ont fréquenté l’école républicaine.
« Un apartheid territorial, social, ethnique […] s’est imposé à notre pays », disait le premier ministre français Manuel Valls lors de ses voeux à la presse, le 20 janvier. Une expression beaucoup discutée et critiquée par la suite. Etait-elle fausse pour autant ? En France, chaque ville a ses cités. Des quartiers où est amassée la population pauvre, très majoritairement « d’origine », des quartiers séparés de la ville, avec une infrastructure le plus souvent en ruines. Celui qui habite une banlieue n’a que très peu d’occasions de participer à la vie urbaine, pourtant garante de progrès, d’ouverture d’esprit et de multiculturalisme aux yeux de beaucoup. S’y ajoute un taux de chômage particulièrement élevé, surtout chez les jeunes.
Enfermés dans ces « zones urbaines sensibles », les populations défavorisées restent entre elles. La misère se reproduit et les occasions de s’en sortir sont rares. Marginalisés, stigmatisés dès qu’ils sortent du quartier parce que facilement reconnaissables en tant que jeunes de banlieue, le repli sur soi, ses amis, son quartier, ses origines et sa religion est courant chez bon nombre d’habitants des quartiers. S’y ajoute une pression sociale énorme : comme dans un village, tout le monde connaît tout le monde. Alors qu’ils sont le plus souvent français depuis deux ou trois générations, les seuls contacts que ces jeunes ont avec l’« autre France » sont de nature négative : contrôles de police racistes, réponses négatives à des demandes d’emploi, regards assassins lors de sorties en ville.
Très tôt confrontés à une réalité sociale désastreuse, sans perspectives et souvent tentés par l’argent facile que promet la délinquance, bon nombre décrochent alors très tôt de l’école et n’appréhendent que peu les « valeurs de la République ». Dès lors, la prochaine étape, c’est la prison. Remplies d’habitants des quartiers, les prisons ne sont pas seulement des écoles du crime – tu entres petit délinquant, tu sors prêt à entamer une carrière dans le grand banditisme -, mais aussi des terreaux fertiles au fanatisme.
Si le cocktail était déjà assez explosif avant, les attentats du 11 Septembre et la « guerre contre le terrorisme » – perçue comme guerre contre l’islam par de nombreux musulmans – y ont apporté une dimension nouvelle. Désormais – du moins subjectivement – réduits à leur qualité de musulmans, beaucoup d’habitants des quartiers se découvrent un point commun : la religion.
La religion comme point commun
Le sentiment d’être des citoyens de seconde zone est renforcé par un « deux poids, deux mesures » réel ou imaginé : Pourquoi la liberté d’expression s’appliquerait-elle aux caricatures du prophète, mais pas aux spectacles de Dieudonné (lui aussi un produit de banlieue) par exemple ?
Quand les banlieues se sont embrasées en 2005, suite à la mort de deux jeunes électrocutés alors qu’ils tentaient d’échapper à la police, la France entière se posait la même question qu’en janvier 2015 : comment a-t-on pu en arriver là ? Beaucoup de réponses ont été données, beaucoup de promesses faites : peu ont été tenues. En quelque sorte, les attentats de Paris constituent l’étape suivante : « Vous ne nous écoutez toujours pas ? Il faut passer à autre chose que des bagnoles cramées alors. »
Si le problème des banlieues ne peut pas tout expliquer, il peut toutefois donner un début de réponse à la question « Comment a-t-on pu en arriver là ? ». Si d’autres éléments ont pu être déclencheurs pour les attentats de Paris, le sentiment d’injustice et la marginalisation ont très certainement joué un rôle important dans la radicalisation des Kouachi et de Coulibaly. Tant que le problème des banlieues ne sera pas résolu, inutile de combattre le djihadisme. Pour chaque Kouachi et chaque Coulibaly arrêté ou tué, dix reprendront leur place. Car ils sont aujourd’hui des milliers de jeunes en France prêts à péter les plombs.
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Sérial Charlie
Comment trouver la réponse adéquate aux attentats contre Charlie Hebdo ? La solution la plus simple trouvée par l’équipe du woxx a été de se dire que la chose est complexe. C’est pourquoi nous avons décidé de publier une série d’articles d’une page où, chaque semaine, un membre de la rédaction se penchera sur un aspect de cette affaire.
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