Star, moi? Non, Raftside c’est la négation faite homme du star-système. Rendez-vous avec une antithèse qui a de l’ambition.
Lorsque Raftside avait dix ans, ses parents lui ont offert un petit synthé Casio. A l’époque il rêvait de ressembler à Jean-Michel Jarre. Heureusement, il a depuis assisté à de nombreux concerts de rock qui l’ont dissuadé du projet malencontreux de faire une carrière de mégalomane électronique. Aujourd’hui il préfèrerait être le nouveau Lou Reed. Voilà une référence non moins mégalo, mais certainement moins gênante à citer.
Si quelqu’un intitule son album „Antistar“, il fait forcément de l’humour. Surtout s’il débarque avec un pseudonyme et une biographie inventée de toutes pièces. Raftside viendrait de Californie, il aurait trempé dans le gangsta-rap avant de découvrir Bob Dylan: „La vie est alors devenue beaucoup plus belle, je me suis mis à écrire des chansons d’amour sur ma guitare sèche en pensant à la paix dans le monde.“
De son vrai nom, Raftside s’appelle Filip Markiewicz, il est Luxembourgeois et tout sauf une antistar. Ses lunettes teintées, il ne les porte pas seulement lorsqu’il monte sur scène avec sa guitare et son allure faussement nonchalante. A l’Université Marc Bloch à Strasbourg, où il fait pour l’instant une maîtrise en histoire de l’Art, il ne passe pas inaperçu. Au milieu des étudiant-e-s au look ultra-classique, le personnage se démarque autant que dans le domaine des singer-songwriters. Et cela non seulement au Luxembourg.
Il a beau citer Bob Dylan, la musique de Raftside est bien plus complexe. Rien à voir avec des troubadours modernes comme Damien Rice ou même Evan Dando, qui se mettent à nu devant leur public avec des textes soit intimistes, soit contestataires. En écoutant „Antistar“ on se croirait devant un album enregistré par une armée entière de magicien-ne-s du son, les uns plus déglingué-e-s que les autres. Le résultat final fait penser à
Deus, à Beck pour la voix ou à Velvet Underground pour l’attitude. Dans „Crying with a smile“, on croirait presque entendre U2 qui auraient oublié leur mission de sauver le monde avec leur son plus grand que nature.
I got a brain like a salad
Raftside fait tout lui-même, des guitares joliment désaccordées aux rythmiques élémentaires mais efficaces. Il y a de quoi s’inventer un pseudo pour se sentir moins seul dans son „Raftstudio“, situé „en Californie, pas loin de Hollerich“. Contrairement à de nombreux confrères, il ne confond pas la scène avec un confessionnal et préfère les associations un peu psychédéliques au strip-tease psychologique. Ses chansons portent des titres comme „Drugs met mayo“ ou „Destination: Sleep“. En live, il doit forcément compenser l’absence d’un groupe, mais pour lui, la solitude est un choix plutôt qu’une fatalité.
„Je n’ai jamais vraiment réussi à m’épanouir musicalement dans un collectif“, dit-il. Etre en même temps le donneur d’ordres et l’exécutant présente d’indéniables avantages. „Et en plus, je m’aime beaucoup.“ Ce n’est que quelquefois que l’harmonieux mariage peut devenir pesant. „C’est assez dur de prendre du recul et de faire des choix. Mais ça va, je ne suis encore jamais vraiment engueulé avec moi-même.“
Il est beaucoup plus difficile en revanche de se faire accepter en tant qu’artiste solo par un public habitué à concevoir la musique rock avant tout comme une activité de groupe. S’il voulait profiter du tremplin „Emergenza“ par exemple, Raftside devrait chercher deux acolytes, puisque seules peuvent s’inscrire au concours des formations d’au moins trois personnes. „Pendant trois ans, je ne faisais que des premières parties sous prétexte que je n’étais pas un vrai groupe“, dit-il, mais il ajoute „peut-être était-ce aussi parce que j’étais assez mauvais à l’époque.“ Ce sont justement ces premières parties (de Myein ou de Low Density Corporation) qui l’ont révélé et lui ont par exemple permis de remplir le Kinosch lors du Sonic Faces Festival en octobre 2004. Le 9 décembre à la Kufa, il aura au moins l’occasion d’essuyer les plâtres pour un des groupes internationaux les plus intéressants du moment, Broken Social Scene.
Adventures in lo-fi
Filip Markiewicz n’a aucune raison de faire dans la fausse modestie, puisqu’il est sans aucun doute aujourd’hui celui sur lequel reposent tous les espoirs. Josée Hansen voit en lui un des musicien-ne-s luxembourgeois-es susceptibles de pouvoir se lancer dans une carrière internationale. Et cela malgré le fait que chez Raftside, tout est du fait maison, façon low-fidelity. „This is a CD-R, there may be some reading problems on certain CD-Players“ dit l’avertissement sur la pochette d'“Antistar“. Cette pochette, c’est en fait une simple photocopie en noir et blanc avec l’image d’une fille qui fait un geste plutôt explicite. Fuck off. Il est clair que l’artiste ne cherche pas à se faire bien voir de son public. Et pourtant, c’est visiblement ce côté „Je m’en fous“ qui plaît.
Malgré le caractère brut et bricolé de sa musique, Raftside se dit lo-fi malgré lui. „Avec mon dernier album, j’ai essayé de faire du mieux que je pouvais et avec les moyens que j’avais“, explique-t-il. „J’étais convaincu d’avoir produit un album hi-fi, mais les gens m’ont dit le contraire en l’écoutant.“ Il ne cherche pas à imiter les White Stripes ou autres Strokes qui font tout pour retrouver un son dont d’autres avaient été bien contents de s’être débarrassé. Recréer une ambiance sixties n’est pas ce qui l’intéresse. „De toute façon je pense que lo-fi ou hi-fi ne veut rien dire, ce sont des termes techniques de vendeurs de chaînes stéréo. C’est la qualité de la musique qui importe et non la qualité d’enregistrement.“ Si quelqu’un voulait bien lui donner les moyens d’enregistrer une production plus sophistiquée dans un „vrai“ studio, Markiewicz serait partant.
Pour l’instant, il ne planifie pas encore son avenir. Il a 24 ans et n’envisagerait de toute façon pas de mettre les arts plastiques en suspens au profit de la musique. „Je ne fais pas vraiment de distinction entre les arts plastiques et la musique, cela fait partie d’une même entité à mon sens.“ Dernièrement, il a collaboré à la réalisation du magazine d’art „Salzinsel“, qui vient de paraître pour la première fois sur le marché luxembourgeois.
Pour quelqu’un qui a l’habitude de mener sa barque en solitaire, cela ne doit pas être évident d’imaginer une carrière internationale, avec toutes les concessions que cela peut impliquer. Raftside reste idéaliste: „Je ne suis pas d’avis que de nos jours, il faille absolument signer avec un grand label pour se lancer dans une carrière musicale, même internationale.“ Selon lui, ce serait plus une question d’envie et de courage. Mais: „Je ne sais pas encore si je dispose de ces deux qualités.“
Des ambitions, Filip Markiewicz alias Raftside, en a quand même, et pas des moindres. De quoi est-ce qu’il rêve la nuit, une fois les lunettes oranges posées sur la table de nuit: „Je veux être la plus grande rock star du monde, vendre des milliers d’albums et être très riche.“ Si l’on a enregistré comme lui un des CDs les plus intéressants jamais produits au Luxembourg, on a sans doute droit à des rêves un peu mégalo.
Raftside se produira, en avant-programme de Broken Social Scene, le jeudi 9 décembre à la Kulturfabrik (Esch-sur-Alzette). L’album „Antistar“ est en vente lors de ses concerts ou au magasin Hot Wax (Luxembourg). Courriel: raftside@hotmail.com