Changement de directeur, point d’interrogation sur la programmation: à peine un mois avant l’ouverture, le projet Rockhal semble toujours en friche.
Pour l’instant, il faut encore mettre un casque si l’on veut visiter le chantier de la Rockhal à Esch-Belval. Durant ces dernières semaines, on avait l’impression que l’état du bâtiment reflétait celui du projet dans son ensemble. L’annonce, puis l’annulation du concert de Charles Aznavour et le changement de direction ont quelque peu endommagé l’image du Centre des musiques amplifiées (CMA).
La présidente de l’Asbl Rockhal, Josée Hansen, se veut apaisante: „Ech gesinn dat ganz onhysteresch“. Il y aurait tout simplement eu un remaniement – pas de quoi crier au scandale. L’ancien directeur général Roger Hamen s’est vu offrir un poste qui „correspond davantage à ses qualités“ – à savoir celui de directeur du centre de ressources, qui doit devenir un véritable foyer pour la musique amplifiée luxembourgeoise. Roger Hamen n’a pas été joignable cette semaine pour nous donner davantage d’informations. Il a été remplacé aux commandes de la Rockhal par le juriste et musicien Olivier Toth, musicien du groupe Low Density Corporation. „Nous avons dû monter la vitesse d’un cran“, admet Josée Hansen. Afin d’avoir quelqu’un qui connaissait bien le dossier et pouvait le reprendre immédiatement, le Conseil a choisi de recruter le remplaçant parmi ses membres. Il n’y a donc pas eu d’offre d’emploi pour ce poste. En effet, le temps presse. Si le programme de l’ouverture du 19 juin est connu depuis quelques semaines seulement, rien n’a encore été divulgué sur la programmation pour l’automne.
Manque de transparence
Pour se débarrasser le plus rapidement possible de ce flou artistique, le mot d’ordre d’Olivier Toth est „la rigueur“: „Ce qu’il nous faut maintenant, c’est de la rigueur. De la rigueur de A à Z.“ Son prédécesseur aurait-il été trop laxiste? En parlant de Roger Hamen, Patrick Sanavia, vice-président de l’Asbl avance: „Le philosophe n’est pas forcément le gestionnaire.“ Un plus de détermination était nécessaire pour contrer l’extrême manque de temps. „La Philharmonie par exemple avait beaucoup plus de temps pour se préparer à l’ouverture“, explique Sanavia. Le premier coup de pelle pour la Rockhal a été donné le 20 juillet 2003 et Erna Hennicot-Schoepges avait promis que les premiers concerts auraient lieu pour la Fête de Musique 2005.
C’est également la brièveté des délais qui a rendu le travail de Roger Hamen quasiment impossible. Il est entré en fonction en octobre, le recrutement d’autres personnes n’a débuté qu’en décembre, les premiers commenceront leur travail en juin. C’est-à-dire que Hamen se retrouvait entièrement seul, à s’occuper de tout. Pourquoi ne pas l’avoir entouré d’une équipe plutôt que de l’enlever à ses fonctions? Josée Hansen dit: „Nous voulions préserver la transparence.“ Et Olivier Toth affirme: „L’équipe doit savoir qui est le responsable, sinon il est difficile d’obtenir des résultats.“
C’est donc le gestionnaire qui a repris les rênes au détriment du philosophe. En ce qui concerne la programmation, Toth essaiera de concrétiser les contacts déjà établis par son prédécesseur. „La Rockhal n’est pas mon juke-box privé“, assure-t-il. Le conseil d’administration définit le profil artistique et le directeur devra suivre ses recommandations. Olivier Toth reconnaît qu’il n’a guère d’expérience dans le domaine de l’organisation de concerts: „Il est vrai que j’entre par la grande porte, mais c’est un métier qui s’apprend sur le tas.“ Si besoin est, il pourra compter sur son équipe, notamment sur Michel Welter, nouvel assistant à la programmation, qui commencera le travail dès juin.
Le grand point d’interrogation reste le profil artistique que la Rockhal voudra se donner. Les attentes comme les appréhensions sont énormes. Tandis que les uns s’attendent à des manifestations de grande envergure, d’autres craignent de voir la salle monopolisée par des Joe Cocker et autres Phil Collins. Difficile de préserver une certaine idée de la musique „alternative“, tout en mobilisant les foules et sans empiéter sur le domaine d’une Kulturfabrik ou d’un Atelier. Josée Hansen caractérise comme suit la ligne définie par le conseil: „Nous voulons une programmation de qualité, actuelle, qui pourra très bien être grand public, mais néanmoins dans l’air du temps.“
Certains promoteurs ont pourtant déjà d’autres projets. Ils profitent de zones d’ombre qui existent quant au statut de la salle pour essayer de disposer du lieu à leur guise. En effet, la Rockhal hébergera trois formes d’événements: des productions signées cent pour cent CMA, des coproductions et des locations. Ce qui signifie qu’en principe n’importe qui pourra louer l’espace.
Défendre le profil artistique
Voilà justement ce que le conseil d’administration veut éviter à tout prix. „Un directeur doit savoir dire non“, insiste Patrick Sanavia. Certains professionnels du business ont les dents longues et il faut leur signaler clairement que la Rockhal est certes ouverte, mais se réserve le droit de faire un choix parmi les demandes. Pour faire en sorte que le fiasco Aznavour ne se répète pas.
Aux yeux d’Olivier Toth il est très important de définir d’abord la direction artistique de la salle, avant de l’ouvrir à la „musique amplifiée“ au sens large du terme. A la mi-juin, l’équipe espère pouvoir annoncer un programme pour l’automne, qui attirerait le grand public comme les amateur-trice-s de musique alternative. „Il est possible de faire l’ouverture en automne avec quelques grands concerts“, assure Josée Hansen, qui parle même de deux à trois concerts par mois. Toth est également confiant qu’il sera possible de respecter les délais – il relativise cependant: „Nous espérons que ce sera possible. Dans quelques semaines, nous allons annoncer définitivement si l’ouverture aura lieu à l’automne ou non.“ Il veut attendre d’avoir un programme complet, pour pouvoir démarrer en trombe. D’ici là il reste encore du pain sur la planche. Non seulement en ce qui concerne la programmation, mais aussi par rapport au chantier. Jusqu’en juin, il faudrait que la CFL construise une passerelle pour que le public puisse avoir accès à la salle, dans un premier temps uniquement accessible par train. Un parking est prévu, mais pas dans un futur proche.
Olivier Toth fait le tour du propriétaire avec fierté. La „grande salle“ est véritablement énorme et même la „petite salle“, réservée aux petits concerts et aux groupes luxembourgeois, semble pouvoir contenir beaucoup plus que les 800 spectateur-trice-s prévu-e-s. Face aux reproches des groupes luxembourgeois, arguant qu’une salle aussi grande ne correspondait pas à leurs besoins, les responsables de la Rockhal ont toujours répondu qu’il y avait moyen de réduire la salle à l’aide de panneaux mobiles. Mais Toth remarque qu’avec l’architecture de la salle, très large, il sera sans doute difficile d’utiliser ces panneaux. „Alors nous ferons en sorte que les groupes luxembourgeois attirent un public plus nombreux „, dit-il en souriant.
Reste à voir si les six salles de répétition – très spacieuses – et le studio d’enregistrement qui permettra aux groupes luxembourgeois de se familiariser avec le travail en studio, correspondront véritablement aux besoins de la scène locale. „C’est bien qu’il y ait une pression de la part de la scène“, dit Josée Hansen, „mais il faut être conscient du fait que nous ne pouvons pas remédier à tous les problèmes des groupes.“
A l’heure actuelle, le Centre des musiques amplifiées cherche visiblement encore ses marques – et cela sous le regard de plus en plus critique de l’opinion publique. Face à ces questions ouvertes, une seule certitude: le projet Rockhal reste à inventer.