PHOTOGRAPHIE: Le Mali à l’envers

Un regard authentique: Grâce au procédé du sténopé, le Luxembourgeois Jean-Claude Junkes et le Malien Amadou Gaba ont donné à des enfants la possibilité de fixer leur quotidien sur la pellicule.

Les images au sténopé sont exposées actuellement dans le tunnel qui mène à l’ascenseur du plateau du Saint-Esprit.

Le jeune homme lève la théière d’un grand geste au-dessus de sa tête et verse le liquide vert doré d’un long jet dans le petit verre qu’il tient sur un plateau. La boisson mousse délicatement et déploie son parfum dans l’air chaud. Gestes répétés maintes fois à travers le Mali, un pays au carrefour d’anciennes civilisations africaines. Toujours les mêmes gestes, venus d’un autre temps, imprégnés à jamais dans ce corps et dans ces mains. Laver les verres et le petit plateau, faire chauffer le thé, sucrer, plus tard préparer une autre théière.

Le breuvage se boit pendant des heures au bord des rues poussiéreuses. De nouveaux visages apparaissent, l’on se salue longuement, s’assoit dans la ronde, à même la terre ou sur quelque chaise disponible. Le premier verre se boit sans sucre, très amer. Amer comme le peut être la vie. Le suivant, à peine sucré, plus suave, est doux comme l’amitié. Et enfin le dernier se boit très sucré, comme l’amour. Il se boit le temps de se raconter les derniers potins du quartier ou de commenter quelque événement venu de plus loin. A quelques mètres de là, des enfants ont pris possession du vieux baby-foot et s’adonnent au jeu avec délectation. Les cris et les rires emplissent l’atmosphère.

Bamako, la capitale du Mali est une ville bruyante, haute en couleur, très animée tous les jours de la semaine. Les nombreux marchés de la ville y sont pour quelque chose. Le fleuve Niger est une constante au sein de cette agitation; impressionnant et sauvage, il se fraye un chemin à travers les faubourgs de la ville. Traversant tout le Sud du Mali, les eaux du fleuve ont favorisé une végétation de savane, alors que le Nord est désertique. S’y situe Tombouctou, la cité mythique, un point isolé sur la carte du Mali. Tombouctou, la porte du Sahara, est difficile d’accès, on peut la rejoindre soit par le fleuve Niger, soit par une route cahoteuse et difficile. C’est d’ici que partent les légendaires caravanes de chameaux pour les mines de sel de Taoudeni à 750 kilomètres de Tombouctou à la quête de „l’or blanc“ qui constitue un commerce très important. Aujourd’hui, la ville est menacée par les sables, qui grignotent chaque année un peu plus de terrain; on parle de dix à vingt mètres par an! On prévoit des projets pour créer une sorte de bouclier végétal composé d’innombrables arbres et arbustes pour protéger la cité en espérant que ces mesures soient efficaces.

La fierté, la disponibilité et l’extrême gentillesse dont les Maliens font preuve, peut faire oublier la vie dure que mène la plus grande partie d’entre eux. La rudesse du climat, c’est-à-dire l’absence de pluie répétée pendant plusieurs années, et l’invasion de criquets qui a décimé et compromis les récoltes à venir plonge le pays dans une situation critique qui risque de s’aggraver. Comme cela à été le cas au Niger voisin qui se trouve confronté à une famine qui menace près d’un tiers de la population. Pour l’instant, le Mali n’en est pas là.

Objectif: Découverte

Changement de décor: Jean-Claude Junkes, libraire de formation, a découvert l’Afrique sur un coup de tête. En 1997 après quinze ans de vie professionnelle, il quitte son emploi dans une libraire luxembourgeoise, sans pour autant avoir une idée précise de ce qu’il va faire de sa vie. Il suit son intuition, prend son vélo et décide de partir pour une virée en Afrique.

Comme point de départ, il choisit le Maroc où il va finalement passer un an. Ensuite son périple continue au Sahara occidental, en Maurétanie, au Sénégal et le mène au Mali. Le plus étonnant dans l’histoire de ce jeune gaillard sympathique et bouillonnant de vie, c’est que tout semble s’enchaîner tout naturellement, d’ailleurs Jean-Claude Junkes ne croit pas trop au hasard. A Mopti, au Mali, une femme allemande, travaillant dans l’aide humanitaire l’héberge chez elle. C’est dans une de ses cabanes qu’il tombe sur une photo prise au sténopé, une sorte d’appareil photographique sans objectif. Il apprend que l’Allemande l’a achetée au marché et il tente alors de retrouver le photographe.

Au Mali, si l’on cherche une personne, on la trouve assez rapidement. Tout le monde se connaît et fait passer le message. C’est ainsi que Jean-Claude Junkes tombe sur Amadou Gaba qui, sept ou huit ans auparavant, avait réalisé un travail photographique avec un Français à l’aide de petites chambres noires fabriquées à partir de boîtes de conserve. L’idée ingénieuse de la „camera obscura“ nous vient de l’Antiquité, en effet Aristote en parle dans ses „Problematica“ et le procédé fut plus tard, au 15e siècle, étudié par Leonardo da Vinci. Dans une boîte obscure, les rayons de lumière venant de l’extérieur traversent un petit orifice et projettent sur la paroi opposée l’image inversée de l’objet „photographié“. De nos jours, l’image qui apparaît peut être fixée sur du papier-photo.

Jean-Claude Junkes et Amadou Gaba sont d’avis que les boîtes de conserve constituent de véritables appareils photo bon marché et se prêteraient idéalement à réaliser un travail photographique sur place. Les deux hommes ont l’idée de faire participer les enfants du foyer pour lequel travaille Amadou Gaba. En fait, ce foyer s’occupe d’enfants handicapés et d’enfants de la rue et se charge en outre de leur alphabétisation. C’est pendant environ un mois que les enfants vont travailler avec enthousiasme et tenter de fixer leur entourage tel qu’ils le voient. Les clichés qui en résultent témoignent avec authenticité d’un monde peuplé de silhouettes fières et montrent un paysage d’une beauté déconcertante. Le fait que les images sont déformées, dû à la forme des boîtes, confère aux clichés un caractère inhabituel et insolite. Certains sont plus nets, d’autres plus flous, mais ils captent tous cette atmosphère si particulière de la ville de Mopti, à mi-chemin entre Tombouctou et Bamako. Mopti, qu’on appelle aussi la „Venise malienne“, est située au confluent du Niger et du Bani: la ville fut construite sur trois îles reliées par des digues et présente une activité commerciale grouillante.

Quant à Jean-Claude Junkes, une fois le travail photographique fini, il sentait que son voyage était arrivé à sa fin. Après trois années passées en Afrique du Nord-Ouest, il ressentait l’envie de revenir au Luxembourg. „Enfin“, ajoute-t-il à la fin de l’entretien, „j’avais quand-même une petite idée derrière la tête quand j’ai entamé mon voyage. Arrivé au Cap en Afrique du Sud, je voulais remettre mon vélo à Mandela.“ Il ne sera pas arrivé jusque-là, mais qui sait, ce sera peut-être pour la prochaine fois.


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