LYNCH-MANIA: Boulevard du rêve récurrent

Avec „Mulholland Drive“, David Lynch signe encore un film beau et intrigant, ce qui ne l’empêche pas de radoter un peu.

Rita, la réincarantion de „Gilda“, l’héroïne du film noir par excellence.

(gk) – Il n’est pas aussi dérangé que ça. Comparé aux voyages du côté trouble de l’esprit que David Lynch invente depuis ses premiers courtsmétrages, fin des années soixante, „Mulholland Drive“ s’avère étonnamment lisible. (Surtout après tout ce qu’on a pu lire depuis sa „Cannification“.)

Avec cette histoire d’amour-haine entre deux actrices (Betty et Rita), l’artiste-peintre, compositeur, réalisateur, … né au Montana en 1946, réexplore le cerveau humain s’arrangeant tant bien que mal de la réalité. Les peurs profondes d’un futur père – dans „Eraserhead“ (réalisé de 1972 à 1977, grâce à une bourse bien modeste de l’American Film Institute) – le cauchemar possessif d’un amour maternel – dans „Wild at Heart“ (Palme d’Or en 1990) – Laura Palmer, victime d’un viol paternel – dans „Twin Peaks – Fire Walk With Me“ (1992) – un schizophrène jaloux tue sa femme – dans „Lost Highway“ („Un film noir d’horreur du XXIe siècle. Une enquête visuellement crue dans des crises d’identité parallèles. Un univers où le temps devient dangereusement incontrôlable. Un voyage terrifiant le long de la `route perdue‘.“ David Lynch, Juin 1995): un film de Lynch ne se résume jamais à quelques malheureux essais de logique.

Dans „Mulholland Drive“, la scène la plus consternante de non-sens, et la plus drôle, montre Angelo Badalamenti (compositeur attitré) en producteur de film dangereusement mafieux n’appréciant pas du tout l’espresso qu’on lui offre à une réunion de production avec un réalisateur, qui vient de perdre son actrice principale après un accident de voiture. Celle-ci a échappé, en fait, à une tentaive d’assassinat et se cache, amnésique, chez une blonde innocente, actrice en herbe. Mais chez David Lynch, les apparences sont toujours trompeuses.

Et le côté caché de celles-ci se retrouve dans les détails. Ce qui fait que, revoir un film de Lynch ne procure jamais vraiment la même expérience. Ses films se voient un peu comme l’intérieur d’un esprit dérangé. D’où les nombreux plans de caméra traversant des couloirs de maison dédaléens. D’où les plans de route défilant dangereusement devant nos yeux vers un but incertain. („Wild at Heart“, „Lost Highway“, „Mulholland Drive“ et, dans une certaine mesure, même „Straight Story“.)

„Mulholland Drive“ est un projet pilote pour série TV avorté. Ce que David Lynch voulait faire, c’est mettre en place une histoire avec une fin ouverte et donner ainsi le plus grand nombre de possibilités pour continuer celle-ci. Mais comparé aux niveaux d’interprétations multiples générées encore par „Lost Highway“, l’épilogue de „Mulholland Drive“ offre en quelques bribes d’informations un sens relativement facile à … presque tout. Cet épilogue nous montre tous les personnages de la première partie dans des situations et avec des noms différents. Les points de vue ne changent plus, on reste avec Betty. En quelques plans seulement, le réalisateur persuade son public de ce qu’on pense sentir intuitivement durant la première partie du film: les apparences sont trompeuses, ce qu’ils sont d’ailleurs toujours chez Lynch, et Betty n’est pas aussi innocente qu’elle semblait l’être.

A côté de ces récurrences thématiques, chères à David Lynch, il commence néanmoins aussi à se répéter visuellement. Jamais Lynch n’aura été une telle expérience de déjà-vu: le producteur en chef vit dans une nouvelle version de l’antichambre aux secrets de Laura Palmer, le Cow-boy a une fonction similaire à `l’Homme Mystère‘ de „Lost Highway“, le curieux théâtre où Rita, la brune latine, attire Betty, la blonde sans taches, est une version – un peu – plus réaliste de celui caché apparemment derrière le radiateur de Jack Nance dans „Eraserhead“. D’où la curieuse impression que, après „Lost Highway“ et l’escapade esthétique de „Straight Story“, „Mulholland Drive“ nous montre un David Lynch qui tourne en rond. Ce qui n’empêche pas que ce film reste mille fois meilleur que la grande majorité des productions peuplant les cinémas.

Germain Kerschen


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