POLITIQUE D’ASILE: Pas très glorieux

Le « paquet asile » que le Parlement européen a adopté en 2013 prévoit une « harmonisation » des politiques d’immigration et d’asile européennes. Les améliorations sont ponctuelles tandis que le problème fondamental persiste : le manque de solidarité.

L’accueil réservé aux demandeurs d’asile à Malte.

« Vous m’aviez demandé de raconter quelque chose de positif. Je dois vous décevoir. » C’est ainsi que Catherine Teule, vice-présidente de l’Association européenne pour la défense des droits de l’homme, a ouvert son exposé sur le « régime d’asile européen commun » (Raec). Invitée par l’Asti et l’ALOS-LDH (Ligue des droits de l’homme), elle était venue au Luxembourg pour expliquer sa vision du « paquet asile », adopté par le Parlement européen en juin 2013 (Claude Turmes a été le seul parmi les députés luxembourgeois à voter contre) et que le Luxembourg devra transposer d’ici juillet 2015. « Les gens s’imaginent que l’Europe est très généreuse en matière d’asile. Il n’en est rien. » Catherine Teule est claire : « Il y a proportionnellement moins d’étrangers dans l’Union européenne que dans les autres régions du monde. » En effet, selon le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), il y avait autour de 25,9 millions de personnes sous sa protection en 2011 dans le monde. En Union européenne en revanche, on compte seulement 1,6 million de réfugiés et de demandeurs d’asile. L’Europe est donc, pour Teule, « loin d’accueillir toute la misère du monde ». D’autant plus que « la moitié des immigrés de pays tiers dans l’Union européenne sont issus de pays à indice de développement humain élevé, un quart de pays à indice moyen et un quart à indice faible ». Pour l’économiste Teule, contrairement à ce que certains parlementaires luxembourgeois auraient avancé lors d’une rencontre avec elle, le matin même de sa conférence, « on accueille plutôt la classe moyenne des pays tiers, qui fait marcher la machine économique, consomme et paye des impôts ».

Vers une harmonisation des politiques d’asile

Le « paquet asile » constitue la deuxième phase d’harmonisation des politiques des Etats européens en matière d’immigration et d’asile. A la fin des années 1990, ils s’étaient engagés à mettre en place un « régime d’asile européen commun ». La première phase de cette harmonisation consistait dans l’adoption par les Etats membres de cinq instruments législatifs : le règlement Dublin, le règlement Eurodac, la directive Accueil, la directive Qualification et la directive Procédure. L’objectif du règlement Dublin, dit Dublin II aujourd’hui puisqu’il remplace la convention de Dublin de 1990, est d’empêcher un demandeur d’asile de présenter des demandes dans plusieurs Etats européens. Il établit « les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ». Le règlement Eurodac est destiné à renforcer Dublin II, en mettant en place une base rassemblant toutes les données, y compris les empreintes digitales des demandeurs d’asile dans l’Union européenne. La directive Accueil définit certaines « conditions communes minimales » pour l’accueil des demandeurs d’asile et établit des standards minimaux en matière de logement, d’éducation et de santé. La directive Qualification définit les critères communs pour « l’identification des personnes ayant besoin d’une protection internationale ». La directive Procédure a pour but d’instaurer « un cadre minimal pour la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié ».

« Actuellement, le demandeur d’asile qui arrive à la frontière de l’UE se trouve dans une situation équivalente à celle d’un joueur de loto. Selon le pays où le règlement Dublin II l’oblige à présenter sa requête, il aura ou non des conditions d’accueil dignes, il pourra ou non faire entendre sa demande, il sera ou non placé dans un centre de rétention. » C’est ainsi que Catherine Teule, dans son texte « Le scandale du `paquet asile‘ », décrit la réalité à laquelle un demandeur d’asile doit actuellement faire face en Europe. Cette situation serait « la conséquence de la législation a minima qui cadre le système européen en vigueur ». Amnesty International parle dans ce contexte de « la persistance d’importantes disparités au niveau de la mise en oeuvre des politiques d’asile dans les Etats membres » et explique que, par le « paquet asile », l’Union européenne s’est « engagée dans une deuxième phase d’harmonisation visant à réviser les instruments juridiques et ainsi finaliser la mise en oeuvre du « régime d’asile européen commun ». Pour Amnesty, « le résultat est malheureusement bien loin des promesses annoncées au début des années 2000 ». Pour Catherine Teule aussi : « Les Etats membres sont encore incapables d’envisager une politique commune. Chacun essaie de préserver son champ, de manière à `se protéger‘. »

Quelques changements

Certes, il y aura des changements avec le nouveau « paquet asile ». Alors que la directive Accueil de 2003 ne mentionnait aucun motif pour la rétention de demandeurs d’asile, laissant ainsi les Etats libres de décider, à partir de 2015, un demandeur d`asile pourrait seulement être placé en rétention pour un nombre limité de motifs. Entre autres pour la vérification de son identité, le contrôle des éléments de sa demande ou encore? pour protéger la sécurité nationale. Si le pays ne peut garantir un « hébergement » dans un centre de rétention et se voit « contraint » de placer le demandeur d’asile en prison, il doit être retenu séparément des prisonniers ordinaires. Les mineurs pourront uniquement être placés en rétention « en dernier recours et pour une période aussi courte que possible ». En ce qui concerne Eurodac, la base de données européenne de demandeurs d’asile, dont les serveurs se trouvent à Luxembourg-Kirchberg, le « paquet asile » permettra aux services de police européens de comparer les empreintes digitales liées aux enquêtes criminelles avec celles d’Eurodac. L’accès par les forces de police est « uniquement » possible s’il y a un « intérêt supérieur de la sécurité publique ». Concernant Dublin II, alors qu’actuellement, le droit européen n’impose aucun délai aux Etats membres pour rendre leur décision sur une demande d’asile, à partir de 2015, les pays disposeront d’un délai standard de six mois. Le droit à un entretien individuel afin de contribuer à déterminer quel Etat membre est responsable de l’examen de la demande est « accordé ». Les demandeurs d’asile auront le droit d’introduire un recours contre une décision de transfert vers un autre Etat européen.

Catherine Teule aurait préféré l’abolition de Dublin II : « Ce règlement est une catastrophe. Ça ne changerait pas grand-chose que les demandeurs d’asile puissent se présenter dans le pays de leur choix, où ils ont des amis, dont ils parlent la langue. De toute façon, une fois dotés du statut de réfugié, ils peuvent se déplacer dans toute l’Union. Pourquoi ne pas leur donner ce droit d’emblée, afin de permettre une meilleure répartition ? » Actuellement, Dublin II serait, pour Teule, l’expression du manque de solidarité entre les pays de l’Union européenne. Effectivement, Dublin II, conçu pour contrecarrer le « shopping asile », pratique des demandeurs d’asile qui consisterait à vouloir choisir le pays qui offre les meilleures conditions d’accueil, produit une répartition inégale des demandes d’asile entre les Etats européens. Afin de « se protéger », les pays aux frontières de l’Union européenne auraient adopté différentes stratégies, selon Catherine Teule. Par exemple, en Grèce, seuls 0,8 pour cent des demandeurs d’asile arrivés en 2012 ont obtenu satisfaction en première instance. La Grèce essayerait ainsi de dissuader des potentiels requérants du statut de réfugié. Malte utilise une tout autre méthode à ces fins : 90 pour cent des demandeurs d’asile ont obtenu le statut de réfugié, « pour qu’ils s’en aillent » vers d’autres pays européens. La France, en guise de comparaison, a accordé le statut à 36,5 pour cent des demandeurs. Le Luxembourg, lui, à 2,4 pour cent. « Pas très glorieux », estime Catherine Teule.


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