EUROPE LIBÉRALE CONTRE GRÈCE: Halte au massacre !

La loi du plus fort a une longue histoire. L’exemple type en est la soumission de l’île de Mélos au 5e siècle avant notre ère – en Grèce justement !

« Nous sommes ici, comme nous allons vous le prouver, pour consolider notre empire et pour sauver votre ville. » C’est ainsi que les Athéniens, il y a 2.430 ans, invitaient les habitants de l’île de Mélos à se soumettre – au nom du bénéfice mutuel. Ceux-ci se montrèrent sceptiques : « Et comment pourrons-nous avoir le même intérêt, nous à devenir esclaves, vous à être les maîtres ? » La réponse, cinglante, ressemble à celle que fait ces jours-ci l’Europe libérale au nouveau gouvernement grec : « Vous auriez tout intérêt à vous soumettre avant de subir les pires malheurs et nous nous aurions avantage à ne pas vous faire périr. »

Qu’aujourd’hui la Grèce se retrouve victime d’un chantage ignoble de la part des leaders de l’Union européenne n’est pas dépourvu d’ironie. Dans l’extrait cité, le fameux passage du « Dialogue mélien » du livre de Thucydide sur la guerre du Péloponnèse, c’est un petit peuple insulaire qui ne veut pas plier l’échine devant les menaces d’Athènes. Athènes aujourd’hui première victime, mais qui, à l’époque, avait détourné à son avantage le projet panhellénique de la ligue de Délos et se faisait le bourreau de ceux qui s’opposaient à son hégémonie.

A l’image du peuple de l’ancienne Mélos, celui de la Grèce moderne défend une cause juste en refusant de se soumettre au diktat d’austérité de l’Union européenne. Mais comme les Méliens en 416 avant notre ère, ils ont peu de chose à opposer à la realpolitik articulée par les Athéniens : « Nous le savons et vous le savez aussi bien que nous, la justice n`entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d`autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder »

Mais l’Europe libérale n’est pas seulement mue par l’ivresse du pouvoir, elle craint aussi l’éclatement de son hégémonie si elle se montre trop conciliante. Cela pourrait encourager un futur gouvernement espagnol, voire le gouvernement italien actuel, à chercher sa propre voie de politique anticrise. Or, ces velléités d’indépendance, Bruxelles voudrait bien, comme Athènes à l’époque, y mettre fin en faisant un exemple. La cité des Méliens fut prise, rasée, les femmes et enfants vendus comme esclaves et les hommes exécutés – comme annoncé.

Le massacre que prépare l’Europe libérale est moins sanglant, mais tout aussi cruel. A défaut d’un accord sur le remboursement de la dette grecque, la BCE fermera le robinet du crédit : la Grèce se retrouvera en défaut de paiement et sera sans doute amenée à réintroduire une monnaie nationale. Les conséquences sociales pour ce pays relativement petit et économiquement faible risquent d’être terribles.

« En voulant faire un exemple, l’Union européenne risque également gros. »

Mais l’Union européenne de son côté risque gros : il n’est pas certain que les marchés financiers apprécient que l’impossible – la sortie d’un pays de l’euro – devienne réalité. Politiquement, ce scénario est également hasardeux : alors que la fermeté à l’égard de la Grèce vise à couper l’herbe sous le pied de ceux qui voudraient changer l’orientation des politiques européennes, elle pourrait inciter les populations mécontentes à privilégier des partis plus radicaux et nettement antieuropéens.

Les analogies historiques ont leurs limites. Alors que Mélos luttait pour son indépendance, la Grèce d’aujourd’hui souhaite rester dans la zone euro. Et, dans les deux cas, il ne s’agit pas vraiment de conflits entre peuples : chez Thucydide, ce sont les politiciens populistes d’Athènes qui font pression sur les oligarques de Mélos. Aujourd’hui, ce sont les banquiers allemands – et grecs – qui voudraient imposer une solution aux dépens des salariés grecs.

Et alors que ceux-ci font appel à la solidarité du syndicalisme et de la gauche européenne, les Méliens s’en remettaient aux dieux. Sans succès dans l’immédiat ; mais, en 404 avant notre ère, les survivants eurent la satisfaction d’assister à la défaite finale de la fière Athènes.

Traduction de Thucydide par Jean Voilquin reprise par : http://nbaillargeon.blogspot.fr/2008/09/le-dialogue-mlien.html


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