Accès à la nationalité
 : Crispations contre consensus


À peine l’avant-projet de loi sur la nationalité luxembourgeoise était-il rendu public que les récentes fissures du référendum s’ouvraient à nouveau. Pourtant, cette fois-ci, les tenants du « nee » radicaux pourraient bien se tromper.

L’avant-projet de loi sur la nationalité de Félix Braz a le potentiel de saper l’hystérie du débat hautement inflammable. (Photo : SIP)

L’avant-projet de loi présenté il y a une semaine par le ministre de la Justice, Félix Braz, est un chef-d’œuvre de consensus et de complexité. Car toutes les avancées en matière de facilitation d’obtention du précieux sésame luxembourgeois sont soumises à condition. Ainsi, trois voies sont ouvertes à la personne qui veut se faire attribuer la nationalité « à la suite d’un acte de volonté » – la naturalisation, l’option et le recouvrement. Pour la première, les dispositions sont les suivantes : durée de résidence de cinq ans, avoir réussi le test de langue luxembourgeoise de niveau A2 et participé au cours d’instruction civique de 24 heures « Vivre ensemble au grand-duché de Luxembourg ». Pourront être dispensés de l’épreuve de luxembourgeois les candidats ayant plus de 100 heures de cours de luxembourgeois à leur actif et les plus de 75 ans ; les personnes ayant accompli un contrat d’accueil et d’intégration ainsi que celles ayant atteint l’âge de 75 ans seront elles dispensées du cours « Vivre ensemble au Luxembourg » – dans ce cas, la durée de la résidence sera ramenée à trois ans, tout comme pour les réfugiés et apatrides.

Pour l’option – qui recouvre partiellement le droit du sol férocement rejeté par la CGFP -, ce sera à partir de 12 ans que les parents pourront demander la nationalité luxembourgeoise pour leurs enfants. À condition qu’ils aient légalement habité au grand-duché un an avant la naissance et que le mineur ait eu sa résidence au pays l’année précédant sa demande. À partir de sa majorité, le demandeur peut opter pour la nationalité si l’un de ses parents la possède ou l’a possédée. Sinon, il doit prouver une scolarité de sept ans au Luxembourg ou une résidence de 20 ans au pays, ou encore avoir accompli de « bons et loyaux services » pendant 36 mois en tant qu’employé de l’État, fonctionnaire ou soldat.

Pour les partenaires dans un mariage ou une communauté de vie, l’option est ouverte dès que les deux à la fois peuvent prouver une résidence régulière et un séjour en règle au Luxembourg – à défaut d’une des conditions, le mariage ou le Pacs doivent exister depuis au moins trois ans avant la demande. Quant au recouvrement, il concerne les majeurs ayant perdu ou été déchus de la nationalité pour une raison ou ayant une autre – donc, en somme, une minorité.

On le voit, rien n’est simple dans cet avant-projet de loi et parler de bradage de la nationalité luxembourgeoise serait de mauvaise foi. Et pourtant, les coalitions pour et contre le droit de vote des étrangers sont – en partie du moins – en train de se réformer. D’un côté, on a le comité du « Nee 2015 » (entre-temps « Wee 2050 »), l’ADR et la CGFP ; de l’autre, la coalition et la société civile avec ses associations (l’Asti et le Clae ont tous les deux salués l’initiative sur le principe, quoique formulant quelques réticences).

Ce qui diffère de la situation de l’été dernier, c’est le poids du CSV. En effet, les conservateurs auront du mal à s’opposer diamétralement au projet de la coalition, puisque Félix Braz a honoré dans son texte un projet et une proposition de loi émanant de leurs pairs : l’une de 2013 de l’alors ministre François Biltgen, qui a voulu rectifier le tir de sa loi de 2008, et l’autre de Claude Wiseler déposée fin février dernier – et qui reprend une grande partie des propositions de Biltgen. Et les idées des conservateurs vont aussi loin que celles proposées par la coalition, du moins sur les points brûlants : abaisser la durée de résidence de sept à cinq ans et alléger le niveau requis de compréhension orale du luxembourgeois de B1 à A2.

Une reprise du débat référendaire – avec plus de nuances

Il n’est donc pas étonnant qu’on mette de l’eau dans le vin des deux côtés de l’échiquier politique. Pour Sérgio Ferreira de l’Asti, il ne faut surtout pas retomber dans le piège du référendum : « Le seul lien entre le référendum et l’avant-projet de loi est que celui-ci respecte le résultat. Les Luxembourgeois ont dit qu’il faut être luxembourgeois pour pouvoir voter et ce projet ne fait rien d’autre que faciliter l’accès au passeport. Il n’est qu’une réforme de la loi Biltgen de 2008. » Pour lui, la loi proposée tient compte de la situation démographique luxembourgeoise : « À situation atypique – le pays compte 46 pour cent d’étrangers et est fortement dépendant de la main-d’œuvre frontalière -, législation atypique. Cette loi ne fait qu’assumer la réalité de notre petit pays. » Aux tenants du « Nee 2015 », qui sont en train d’organiser la résistance contre cette loi, Ferreira n’a pas grand-chose à dire : « Ce qu’ils disent ne nous importe pas. Et il ne faut pas que le gouvernement et la Chambre des députés fassent de concessions, ce serait la mauvaise voie. » Pour lui, il y a déjà assez de concessions dans l’avant-projet de Félix Braz : « Le droit du sol mis à part, où nous nous attendions à plus, l’avant-projet nous semble équilibré. Le grand plus, ce sont les modulations entre plusieurs exigences qui seront appliquées au cas par cas. De même que les exigences linguistiques baissent en fonction de la durée de résidence. Ce texte nous semble un bon compromis entre le programme de la coalition et les textes de Biltgen et de Wiseler. » Mais Ferreira met aussi en garde : « Si trop de compromis sont faits au détriment de cette loi, nous pourrons aussi changer notre point de vue. »

De l’autre côté, Fred Keup, l’initiateur de « Nee 2015 », s’essaie aussi aux nuances. À la question de savoir pourquoi son initiative voit dans l’avant-projet de loi une tentative d’introduire le droit de vote des étrangers par la petite porte – alors que la détermination du gouvernement à vouloir alléger les conditions d’accès date de 2013 et du programme de coalition -, il répond : « C’est parce que certains ministres, comme Félix Braz, ou d’autres tenants du oui, comme Robert Dennewald, l’ont clairement formulé ainsi juste après le référendum. » Cela est certes possible, mais il n’empêche que le gros des allégements était prévu bien avant le référendum.

Quand Fred Keup loue l’Asti…

Quant aux critiques principales à l’encontre de l’avant-projet de loi, Keup campe sur la langue luxembourgeoise : « Il est impossible que quelqu’un puisse devenir luxembourgeois sans parler correctement notre langue. Et le niveau A2 est insuffisant à nos yeux. Tout comme la possibilité d’être dispensé du test linguistique sous certaines conditions. On ne peut pas comprendre le Luxembourg sans parler la langue, on ne peut pas s’intégrer ni participer activement à la vie politique non plus. » Pour Keup, l’État devrait augmenter les exigences linguistiques et organiser une offre adéquate pour que tous ceux qui le veulent puissent trouver une formation adaptée. Et aussi organiser plus de congés linguistiques, pendant lesquels les employés ou travailleurs pourraient apprendre la langue. Lorsqu’on lui fait remarquer que l’Asti a organisé les premiers cours de luxembourgeois et a défini la langue comme facteur d’intégration bien avant tous les autres, Keup concède : « C’est vrai que l’Asti accomplit un travail précieux sur ce terrain. » Plus surprenant encore, ses idées sur une réforme de la loi de 2008 : « Pour moi, je trouve que l’abaissement de la durée de résidence de sept à cinq ans est une bonne idée. Et je ne m’oppose pas du tout à l’idée d’un droit du sol. »

Ne reste donc presque que la langue comme éternelle pomme de discorde entre les parties adverses. Ce qui, si le CSV ne se lance pas dans un jeu politico-politicien contre la coalition, risque de conduire à une finalisation des négociations sur l’avant-projet de loi assez rapidement et sans trop d’hystérie.


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