Accueil et intégration : La citoyenneté pour en finir avec la « figure de l’étranger »

Les politiques d’accueil et d’intégration ne permettent pas aux immigré-es d’accéder pleinement à la citoyenneté, de disposer des mêmes droits sociaux, économiques et publics que le reste de la population. Face à ce constat, le Comité de liaison des associations d’étrangers plaide pour la création d’un « ministère de la Citoyenneté », dont il a présenté les contours et objectifs début décembre.

L’affiche du prochain Festival des migrations qui célébrera sa quarantième édition les 24 et 25 février prochains. Pour la présidente du Clae, cet événement résume à lui seul l’esprit qui devrait guider l’accueil des migrant-es vers une reconnaissance de leur citoyenneté. (Illustration : Clae)

Au bout de combien de temps cesse-t-on d’être un étranger dans le pays dans lequel on a immigré ? Cinq ans ? Dix ans ? Ou jamais ? Pour nous extraire de cette équation douteuse, le Comité de liaison des associations d’étrangers (Clae) préconise de repenser la question de l’intégration à l’aune de la citoyenneté. L’objectif est de donner à chaque habitant-e du pays les mêmes droits sociaux, politiques, économiques et de participation à la vie de la société, indépendamment de ses origines sociales ou culturelles. L’outil imaginé par le Clae pour y parvenir est un « ministère de la Citoyenneté ».

À quelques mois des élections communales et surtout législatives, l’association a soumis l’idée aux partis politiques. Quelle est leur position et quels sont leurs projets sur les questions d’accueil et d’intégration ? Les réponses sont en attente…

Pour le Clae, proposer la création d’un « ministère de la Citoyenneté » permet tout d’abord de mettre en question les politiques actuelles d’intégration et d’accueil des étrangers-ères, d’identifier leurs manques et anachronismes. « Les pays européens se sont construits autour du concept d’État-nation, qui définit la citoyenneté en fonction d’une appartenance ethnoculturelle », énonce Anita Helpiquet, codirectrice du Clae. « Cette conception a, dans le même temps, créé la figure de l’étranger. »

Dans un Luxembourg dont la population résidente est composée à 47 % d’étrangers-ères, cette différenciation apparaît d’autant plus chimérique. « Il faut lire les nouvelles réalités, et le mélange fait partie de ces nouvelles réalités, mais il y a un temps de retard chez les politiques par rapport à une société en mouvement », constate Anita Helpiquet. « Des choses se passent au-delà des nationalités et il faut l’accepter vraiment », confirme Pascale Zaourou. Pour la présidente du Clae, il est temps de « considérer les gens comme des individus et non plus en fonction de leur nationalité ou de leur statut juridique ».

Les associations s’occupent de l’intégration

« En réalité, au Luxembourg, ce sont les associations qui s’occupent de l’intégration », atteste Pascale Zaourou. « Le tissu associatif est l’espace où on peut se croiser, c’est une énorme chance pour le pays, et l’idée d’un ministère de la Citoyenneté est précisément de s’y faire croiser tout le monde. »

La description que livre le Clae de ce ministère « utopique » porte en elle une inversion de paradigme : « Le gouvernement devrait dépasser le concept d’intégration pour impulser une vision plus large liée à l’inscription citoyenne des personnes venues en migration », expose un document publié par l’association début décembre. Dans cette perspective, la prise en compte des difficultés concrètes des immigré-es ne devrait plus s’inscrire uniquement dans des dispositifs d’aides sociales, prône le Clae. « Les problèmes immédiats pour des étrangers qui veulent s’installer sont le logement, le travail, la scolarisation des enfants », détaille Pascale Zaourou. Garantir l’accès à ces besoins essentiels reviendrait dès lors à satisfaire un droit fondamental et ne s’inscrirait plus dans une démarche d’assistanat, dévalorisante pour son bénéficiaire.

L’association demande également la suppression du contrat d’accueil et d’intégration, abrégé en CAI par le ministère de la Famille et de l’Intégration. Présenté par le gouvernement comme « un instrument novateur » introduit par la loi en 2018, le CAI est facultatif et s’adresse « à tout étranger âgé de plus de 16 ans, légalement installé au Luxembourg et désirant s’y maintenir de manière durable ». Pour remplir son contrat, le candidat ou la candidate s’engage à suivre une formation linguistique, un cours d’instruction civique et une journée d’orientation. Au bout de la démarche, un certificat faisant « preuve de la bonne intégration pour l’obtention du statut de résident de longue durée », indique le site integratioun.lu. Le CAI doit être « remplacé par une vraie politique d’accueil qui touche à l’égalité des droits », tranche le Clae.

Photo : Katie Moum/Unsplash

La solidarité remplacée par un contrat

Pour Anita Helpiquet, « il faut développer une solidarité sociale qui permet de sécuriser la vie des gens ». En matière d’accueil, « on a remplacé la solidarité par la contractualisation de la responsabilité individuelle ». Autrement dit, si l’intégration échoue, la faute en revient au migrant ou à la migrante. « On n’est plus du tout du côté du droit, mais du contrat propre à la société néolibérale, il s’agit d’un glissement », déplore la codirectrice du Clae. Elle note au passage que, avec ce dispositif, « la question de l’accueil n’est plus posée car tout est censé passer par le contrat d’accueil et d’intégration ».

Pour Anita Helpiquet, la question de la citoyenneté à conquérir ne concerne pas les seules populations immigrées : « La montée des inégalités touche aussi bien des Luxembourgeois que des étrangers, tous ceux qui sont en périphérie. La mondialisation a créé des ruptures qui entraînent déclassement, disqualification et perte du sens de la vie. Les gens se fracassent sur les inégalités et cela renforce les discours identitaires. » La « figure de l’étranger » est dès lors la première cible de ces discours. « Pour faire face, il faut des droits sociaux, retrouver une vraie solidarité », insiste la codirectrice du Clae.

Si les inégalités concernent tous les publics, le risque de pauvreté est néanmoins plus important chez les étrangers-ères, remarquent les associations engagées sur le terrain, telles Stëmm vun der Strooss ou Caritas. « En 2020, le taux de risque de pauvreté des étrangers vivant au Luxembourg était deux fois supérieur à celui des nationaux (23 % contre 10,6 %) », relevait l’ONG catholique en avril. Une étude du Liser, publiée il y a un mois par la ville de Luxembourg, corrobore cette réalité : dans la capitale, les quartiers de la gare et de Bonnevoie-Sud sont à la fois ceux qui concentrent la plus forte population étrangère et ceux qui comptent le plus de travailleurs-euses pauvres, c’est-à-dire gagnant un salaire égal ou inférieur à 1.942 euros.

Construire dans le temps

« La crise économique de 2008 a accéléré la dynamique migratoire », rappelle Anita Helpiquet, citant l’arrivée importante au Luxembourg de lusophones venant aussi bien du Portugal que du Cap-Vert, de Guinée-Bissau ou du Brésil. Les bouleversements politiques et géopolitiques au Moyen-Orient, plus récemment la guerre en Ukraine et les considérables déplacements de population qu’entraîne déjà le changement climatique indiquent que cette « dynamique migratoire » se poursuivra.

Réussir l’intégration des étrangers-ères est donc crucial pour garantir la cohésion de la société. Les associations ont un rôle central à jouer dans ce défi, veut croire Pascale Zaourou, qui demande que leur travail soit reconnu et soutenu à sa juste mesure. Le Clae fait le lien entre 190 associations issues et héritières de l’immigration et il est l’organisateur, chaque année, du Festival des migrations, qui célébrera sa quarantième édition les 24 et 25 février prochains.

Pour Pascale Zaourou, cet événement résume à lui seul l’esprit qui devrait guider l’accueil des migrant-es vers une reconnaissance de leur citoyenneté : « C’est un festival des fiertés car on ne s’y sent pas jugé. Il y a un plaisir du partage, tout le monde est au même niveau et c’est aussi très joyeux. La question qui se pose est : comment prolonger cela, en faire quelque chose de plus construit dans le temps ? »


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