Depuis 2015 et l’« été des migrations », c’est la société civile qui assure là où les autorités se sont retirées. En Europe comme au Luxembourg, l’accueil et l’intégration des réfugié-e-s se font grâce à elle.
Même si l’opinion publique n’était pas forcément partout du côté des nouveaux arrivant-e-s et de leurs soutiens, une sorte d’euphorie s’était installée quand, en 2015, les réfugié-e-s arrivaient par centaines de milliers en Europe. Rien qu’avec la force du nombre, ils et elles avaient réussi à casser, le temps d’un été, les murs plus ou moins invisibles de la forteresse Europe. Ces murs invisibles – du moins la plupart du temps – responsables de dizaines de milliers de mort-e-s au fond de la Méditerranée et ailleurs avaient croulé sous le poids de tous ceux et de toutes celles jeté-e-s sur les routes par la pauvreté, les catastrophes naturelles, les persécutions et les guerres. Des centaines de milliers de personnes s’étaient mises en marche pour atteindre une Europe qui ne voulait pas d’elles.
Et le temps d’un été, l’Europe semblait prête à céder, à accepter l’évidence : quand vous n’avez plus rien à perdre, rien ne pourra vous arrêter. À part la mort dans un canot gonflable peut-être, et encore.
Alors l’Allemagne fit le premier pas et ouvrit ses portes, ou du moins en donna l’apparence. La réalité pourrait être bien moins glorieuse : le gouvernement d’Angela Merkel fut tout simplement dépassé par les événements et plutôt que de s’avouer vaincu, il décida d’assumer. Dans les faits, les frontières n’existaient plus. Le gouvernement allemand avait donc le choix soit de laisser passer, soit d’avoir recours à des moyens militaires. Qui sait si, trois ans plus tard, sa décision aurait été la même ?
En acceptant ainsi, ne fût-ce que pour quelques mois, cette nouvelle réalité, l’Allemagne ouvrit la voie à un mouvement de solidarité sans précédent. Un mouvement citoyen porté par la société civile, et au sein même de cette société civile par des acteurs non institutionnels : petites organisations, groupuscules et associations de fait. Un mouvement né dans la détresse des campements de fortune en Grèce, en Serbie et ailleurs, dans les gares des grandes villes où les exilé-e-s arrivaient par milliers, et jusque devant les centres d’hébergement.
Compenser l’absence des pouvoirs publics
Ce sont ces milliers de bénévoles de tous bords et de toutes origines qui, fin 2015 et dans les mois suivants, évitèrent le pire. Alors que les clivages au sein des sociétés d’accueil devenaient de plus en plus importants et que la machine européenne, trop lente, trop bureaucratique, était totalement dépassée par les événements, eux et elles géraient le flux incessant d’arrivées, s’organisaient pour distribuer de la nourriture, pour mettre les plus vulnérables à l’abri et pour être présent-e-s, tout simplement. Offrir un sourire, souhaiter la bienvenue à des personnes qui avaient traversé l’enfer pour arriver ici, quelquefois ça suffisait déjà pour compenser l’absence totale des pouvoirs publics.
Dans un premier temps, une partie des dirigeant-e-s politiques se laissa emporter par l’immense vague de solidarité. Au Luxembourg aussi. Tandis que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration Jean Asselborn multipliait les appels à la solidarité tant au niveau national qu’au niveau européen, la ministre de la Famille et de l’Intégration Corinne Cahen posait avec des familles syriennes récemment arrivées pour les photographes. Et l’élan de solidarité fit oublier qu’il ne suffit pas d’accueillir : le vrai travail, c’est après.
Les associations de terrain comme celles réunies au sein du Lëtzebuerger Flüchtlingsrot (LFR) avertirent très tôt : si on ne préparait pas l’après, on allait se retrouver devant de gros problèmes. Plutôt que de se concentrer uniquement sur l’accueil, très photogénique, il fallait profiter de l’élan de solidarité pour construire dans la durée, pour préparer l’intégration et le vivre-ensemble dans les années et les décennies à venir.
« Luxembourg terre d’accueil ! Quid de l’intégration ? », c’était le titre d’un communiqué de presse du LFR de juin 2016, dans lequel le regroupement d’associations avançait plusieurs pistes pour préparer l’intégration des nouveaux/nouvelles arrivant-e-s dès leur arrivée, notamment au niveau des structures d’hébergement, de la durée de la procédure et de la législation.
L’opinion publique, marquée par les images, notamment celle du petit Aylan Kurdi, mort noyé en Méditerranée, était d’abord favorable à l’accueil, du moins en partie. Mais sous la pression d’une extrême droite toujours plus virulente et criarde, sous l’émotion des événements du jour de l’an à Cologne, le vent allait tourner petit à petit.
Il y avait les pays d’Europe de l’Est, avant tout le groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), récalcitrant devant les plans de relocalisation et de répartition des tâches. Il y avait surtout la Hongrie avec son gouvernement d’extrême droite, prêt à construire des murs et à utiliser des moyens militaires pour stopper les flux migratoires. Mais il y avait aussi le risque de contagion, d’une victoire de l’extrême droite en France ou en Autriche, l’apparition d’une droite populiste en Allemagne, le Brexit… la « crise migratoire » qui était venue s’ajouter à la crise économique risquait de mettre en péril les fondements mêmes de l’Union européenne.
L’accueil, et après ?
Si bien qu’au Luxembourg, dans un élan de populisme, le ministre du Travail Nicolas Schmit (LSAP) estima publiquement, à la manière d’un Michel Rocard – dont la phrase « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » continue d’être citée à tort et à travers –, qu’il fallait « repenser la politique d’asile ». Les capacités d’accueil en Europe étant limitées, il faudrait faire cesser l’immigration illégale, voilà le message. Après un incident dans la structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg, la ministre de la Famille Corinne Cahen (DP) allait l’épauler et pointer du doigt les « Dubliners », qui n’auraient rien à faire au Luxembourg.
Des interventions qui auront, du moins temporairement, détourné l’attention des problèmes réels : des structures d’accueil aux limites de leurs capacités. Le fond du problème étant, une fois de plus, le marché du logement luxembourgeois. Par manque de logements abordables disponibles, bon nombre de réfugié-e-s, une fois le statut obtenu, sont obligé-e-s de rester dans les structures d’hébergement, bloquant ainsi des places nécessaires pour l’accueil. Le manque de place, et donc la forte concentration de personnes, pouvant déboucher sur des tensions.
Tous ces aléas ont contribué à enrayer l’élan de solidarité qui avait, comme on le croyait, gagné toute la société. Mais c’est bien après l’accueil que la solidarité et l’engagement citoyen sont le plus nécessaires : comment réussir l’intégration sans la bienveillance et l’assistance de la société civile ?
Une fois de plus, l’État a délégué une partie du travail aux associations et à leurs bénévoles. Si la présidente de l’Asti, Laura Zuccoli, interviewée par le woxx en novembre dernier (woxx 1451), salue le fait que les autorités s’inspirent en partie des initiatives de la société civile, elle aurait pourtant aimé que les associations comme la sienne soient davantage impliquées. Et que la stratégie d’intégration du gouvernement soit un peu plus cohérente, ne serait-ce que dans l’intérêt du vivre-ensemble.
Mais les élections approchent à grands pas et les exilé-e-s restent un sujet de discorde. Alors certes, au Luxembourg, il n’y a pas d’extrême droite prête à s’emparer du pouvoir. Mais depuis le référendum de 2015, les voix appelant au repli identitaire sont quand même devenues plus fortes.
En attendant, c’est la société civile qui reste engagée. Des grandes organisations humanitaires gérant les structures d’accueil aux petites associations nées dans le besoin fin 2015, en passant par des structures de terrain comme l’Asti, il y a là une partie de cet élan de 2015 qui persiste et qui a réussi à construire dans la durée. Que l’accueil et l’intégration de milliers d’exilé-e-s se soient jusque-là déroulés sans accrocs majeurs, c’est surtout grâce à ces centaines de bénévoles du Luxembourg et d’ailleurs qui, de la Serbie au Kirchberg et de Lesbos à Weilerbach, donnent de leur temps et de leur énergie pour tendre la main à ceux et celles qui arrivent de loin.
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