Agriculture durable : 2.000 m2 pour manger

L’agriculture est le troisième plus gros émetteur de gaz à effet de serre au Luxembourg, après les transports et le logement. Pour réduire son empreinte carbone, le pays doit donc aussi envisager de revoir le contenu de son assiette. Le projet « Champ du monde », visible à Kockelscheuer, permet d’appréhender quelle agriculture saine et respectueuse de l’environnement pourrait être développée pour y parvenir.

Le chef de projet de natur&ëmwelt Tom van den Bossche sur le site. (Copyright: Tatiana Salvan.)

2.000 m2 : c’est la surface dont chaque être humain dispose théoriquement pour faire pousser tout ce dont il a besoin pour vivre (sa nourriture, la nourriture pour le bétail, le coton pour des vêtements, etc.). Cette étendue est obtenue en divisant la surface de l’ensemble des terres cultivables de la planète (environ 1,4 milliard d’hectares) par le nombre de ses habitant·es. Mais les consommateur·trices des pays riches outrepassent en réalité largement les limites de cette parcelle fictivement allouée, qui est actuellement dévolue dans son immense majorité à la production de fourrage pour animaux et de cultures énergétiques.

Ainsi, au Luxembourg, en raison de la (sur)consommation, 1.700 m2 supplémentaires sont nécessaires pour satisfaire les besoins d’un·e seul·e citoyen·ne. Un pari forcément perdant sur les ressources naturelles disponibles, comme l’illustre l’avancement inexorable du « jour du dépassement », cette date symbolique à laquelle les ressources que la Terre est capable de produire en un an ont toutes été épuisées. Date butoir que le Luxembourg franchit pour sa part dès la mi-février.

L’empreinte carbone d’un·e Luxembourgeois·e s’élève encore à 13 tonnes de CO2 par an, alors que l’accord de Paris recommande une baisse de 90 pour cent de cette empreinte d’ici à 2050, pour atteindre 1,5 tonne annuelle. L’agriculture et la sylviculture représentent 10,1 pour cent des émissions totales de gaz à effet de serre au grand-duché. Elles constituent la troisième source d’émission après le transport et les bâtiments résidentiels et tertiaires. 56,42 pour cent de ces émissions sont dues à la consommation de viande et de poisson, indiquent nos confrères et consœurs d’infogreen.lu. Le pays importe par ailleurs 28.000 tonnes de soja chaque année (principalement d’Amérique du Sud), ce qui correspond à une superficie de 12.500 hectares. Là encore, essentiellement pour nourrir les bovins dans le cadre de la production de viande et de lait.

Afin de sensibiliser la population et les autorités publiques à la nécessité d’une agriculture plus durable et de suggérer des solutions qui pourraient être mises en œuvre, le projet « Champ du monde » (ou Weltacker) a vu le jour en 2013 à Berlin. Sur une surface de 2.000 m2, des produits locaux sont cultivés, tant destinés aux humains qu’aux animaux, mais avec une plus grande diversification et une meilleure répartition qu’actuellement. « 2.000 m2, c’est le cinquième d’un hectare : pas si ridicule que ça en somme ! (…) Un champ de cette surface peut accueillir, au choix, près de 200 voitures, 33 appartements (de 60 m2 chacun) ou encore un supermarché », illustre le site 2000m2.eu, consacré au projet.

Au Luxembourg, ce champ témoin est en place depuis 2019 sur le site de la Maison de la nature à Kockelscheuer, à l’initiative de Natur & Ëmwelt, de Co-Labor et de l’IBLA (Institut fir biologesch Landwirtschaft an Agrarökologie Luxemburg).

La consommation de terres en 2021 et 2050, avec une priorité donnée à l’expansion des surfaces cultivées pour l’alimentation humaine, comme les fruits ou les légumineuses à grain. (Copyright: LiT / IBLA – LIST 2021.)

Alimentation plus végétale

Dans cette configuration, légumes et légumineuses, oléagineux et pommes de terre seraient davantage cultivés qu’à l’heure actuelle, la nourriture humaine passant de 15 à 25 pour cent de la production totale (voir schéma). « Cette alimentation saine, avec des produits qui peuvent pousser au Luxembourg, est complète sur le plan nutritionnel et produirait moins de gaz à effet de serre », assure Tom van den Bossche, de Natur & Ëmwelt. La moitié de la parcelle resterait dévolue au pâturage, qui s’avère être une particularité du Luxembourg. « Cette partie ne doit pas devenir une terre arable, car les prairies sont nombreuses au Luxembourg, ce qui permet de nourrir bon nombre de têtes de bétail. En outre, ce sont souvent des zones protégées et des milieux qui se sont développés avec les animaux qui broutent dessus, on a donc besoin d’eux pour les conserver », explique Tom van den Bossche.

Pour atteindre un tel objectif d’ici 2050, le soutien politique est indispensable, insiste le jeune homme. « Il faut être prêt à vouloir changer de système agricole et à financer ce changement », explique-t-il. Il s’agit en effet non seulement d’aider les agriculteur·trices à modifier ou à diversifier leur production, mais aussi de mettre en place les infrastructures nécessaires à la transformation et à la valorisation des produits cultivés sur le territoire. Tom van den Bossche cite en exemple le quinoa ou les pois chiches, qui doivent aujourd’hui être envoyés à Munich pour être nettoyés. Dans l’absolu, c’est même l’intégration à un marché mondial qui serait à repenser.

(Photo : Tatiana Salvan)

Quant aux citoyen·nes, il est inévitable qu’ils et elles fournissent aussi quelques efforts pour que leur consommation se maintienne dans le cadre de ces 2.000 m2. Cela passerait en premier lieu par une alimentation plus végétale, moins carnée (un·e habitant·e du grand-duché consomme en moyenne 85 kilos de viande par an, un peu plus que la moyenne européenne, 81 kilos par an et par habitant·e) et moins riche en produits laitiers. La production de viande et de laitages émet en effet plus de gaz à effet de serre que celle des fruits et des légumes. De plus, les ruminants produisent énormément de méthane, deuxième gaz responsable de l’effet de serre après le dioxyde de carbone.

La lutte contre le gaspillage alimentaire est un autre combat à mener en vue d’une alimentation plus durable. Au grand-duché, encore un tiers des aliments finit à la poubelle. 55 pour cent de ce gaspillage est dû aux ménages privés, 29 pour cent sont perdus dans la production, 9 pour cent dans les restaurants et 7 pour cent dans le commerce. Enfin, « le consommateur doit être prêt à soutenir les agriculteurs, à se tourner vers des produits locaux et à payer le prix d’un produit de qualité », rappelle Tom van den Bossche. « On perd un peu la valeur de ce que nous mangeons. On ne veut pas payer plus cher certains produits, pourtant on mange du saumon ou des sushis. »

Des progrès technologiques

« Il ne s’agit pas de devenir vegan – ce serait impossible de convaincre tout le monde – ni de se fermer complètement aux échanges mondiaux – il y aura toujours des produits à acheter ailleurs. Mais si chacun fait un petit effort, on peut avoir de grands résultats tous ensemble », insiste Tom van den Bossche. « Par contre, en continuant à ce rythme, nous allons atteindre les deux degrés de réchauffement climatique, sans parler de la perte de la biodiversité. » 

Des progrès notables ont déjà été faits au Luxembourg, grâce notamment aux innovations technologiques et à l’arrivée de l’informatique, qui permettent, entre autres, d’optimiser les pratiques et de limiter le gaspillage. L’utilisation de pesticides a pu être réduite. Une baisse de 26 % de l’usage de produits phytosanitaires avait été constatée après que les autorités avaient retiré l’autorisation de mise sur le marché de produits à base de glyphosate en 2020. Bien que cette décision ait été retoquée par l’UE, les autorités nationales ont mis en place des aides pour inciter à la poursuite des bonnes pratiques.

Quant au choix des aliments, « il y a une évolution, mais qui est surtout due à des projets d’ampleur », relève Tom van den Bossche, citant Restopolis, le service de restauration scolaire chargé de faire la part belle aux produits bios et régionaux, et le projet Natur genéissen, qui a pour but de fournir aux enfants des maisons-relais participantes des repas plus durables, respectant les principes de régionalité, de saisonnalité et de durabilité.

« Mais dans la société ordinaire, il y a encore beaucoup de travail à faire », déplore-t-il.

D’où l’existence du projet « Champ du monde », que chacun·e peut aller découvrir. « Pour le moment, on produit assez de nourriture sur le globe pour nourrir tout le monde. Mais ce sera une autre histoire quand nous serons dix milliards d’êtres humains en 2050, d’autant que la mondialisation fait que notre façon de consommer se diffuse un peu partout. »


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