Ai Weiwei : Antidote à l’indifférence


Le documentaire « Human Flow » de l’artiste chinois exilé Ai Weiwei est une plongée profonde et empathique dans le plus grand drame qui est en train de se dérouler sous nos yeux.

Les camps se ressemblent, la misère aussi.

Si vous en voulez toujours à votre oncle ou tante raciste qui vous a gâché les repas des fêtes récentes avec ses invectives nauséabondes, faites-lui cadeau d’un ticket de cinéma pour aller voir « Human Flow ». Certes, les images des migrants traversant la Méditerranée en nacelles ou les Balkans à pied sont gravées dans toutes nos mémoires. On pourrait même parler d’une certaine saturation, qui a aussi induit des effets inverses : on se lasse de la misère, on devient indifférent.

C’est pourquoi ce film est tellement important : « Human Flow » est un puissant antidote à l’indifférence généralisée dans laquelle se déroulent les drames des migrants, surtout en 2018, quand les images des foules traversant le continent européen en 2015 et en 2016 semblent lointaines et que les chiffres sont en baisse. Ai Weiwei montre aussi à quel prix l’Europe a acheté sa sérénité. Il se rend par exemple en Turquie, pour montrer les camps dans lesquels le régime d’Erdogan planque les réfugié-e-s syrien-ne-s. Au-delà de la misère quotidienne et des rêves d’Europe brisés, ces gens sont moins des réfugié-e-s accueilli-e-s à bras ouverts par un pays ami que des otages en permanence sur la sellette d’une partie de poker géopolitique indigne.

Un des principaux atouts du documentaire d’Ai Weiwei est la suite dans les idées. Quand il interroge un jeune Irakien qui vient juste de débarquer sur l’île grecque de Lesbos pour savoir d’où il vient, il vous amène justement là au prochain plan – en l’occurrence un camp pour déplacés internes en Irak. Ainsi, les conditions de vie indignes expliquent la volonté de ces femmes et hommes de prendre les risques insensés de la traversée de la mer et de l’Europe pour se mettre à l’abri et commencer une nouvelle vie.

Si le regard principal du film est la situation entre le Moyen-Orient à feu et à sang et l’Europe, Ai Weiwei n’a pas mis de côté d’autres situations dramatiques. Ainsi, sa caméra s’est aussi baladée dans les campements de Rohingyas au Bangladesh, tout comme à Gaza et dans les régions kurdes de l’Irak et de Syrie, où l’on ne compte plus les attaques meurtrières de tous les côtés et les déplacements qui s’ensuivent.

Toujours présent lui-même, comme un fil rouge ou une anecdote, l’artiste chinois – lui-même un déplacé – se met en scène en tant que spectateur attentionné, mais impuissant face à la détresse. Bref, on est à des milliers de lieues de l’héroïsme faussé d’un BHL. Weiwei est un témoin qui s’implique de temps en temps, distribue des couvertures par-ci, grille des brochettes par-là et laisse une femme épuisée se calmer un instant sur ses épaules. Mais il ne moralise pas, il ne donne pas à penser et surtout ne propose pas de solutions. Certes, on pourra lui reprocher le fait qu’après le tournage, il est retourné tranquille dans son atelier-loft à Berlin et qu’il ne connaît pas la disette financière non plus – mais ce n’est pas le sujet du film.

La visée de « Human Flow » n’est pas de penser Ai Weiwei comme un artiste engagé, mais de développer ou redévelopper de l’empathie face à ces images si lointaines et pourtant si proches.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

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