Sous le titre « Dots and Rarrk », la galerie 39 à Dudelange célèbre en ce mois de décembre l’art aborigène australien. Tant spiritualité qu’abstraction sont au menu de cette exposition fascinante et bien fournie.
C’est de la collection de Lex Gillen que sont issues la cinquantaine d’œuvres présentées à Dudelange. Le musicien luxembourgeois, fondateur du projet Luma Luma, est venu à l’art aborigène par la pratique du didgeridoo, cet instrument emblématique des peuples indigènes d’Australie formé d’un long tronc d’arbre évidé par les termites. La complexité de la civilisation aborigène, qu’il a d’ailleurs évoquée avec passion dans une conférence lors du vernissage, est telle que toute tentative systématique d’explication des symboles affichés serait à la fois vaine et incomplète. Mais on peut également se laisser séduire par la méticulosité du trait ou la représentation stylisée des animaux et des humains.
Une notion essentielle cependant pour la compréhension des travaux exposés est celle du « Dreamtime », le temps des rêves. Dans la spiritualité aborigène, c’est le temps d’avant la création de la Terre, où tout était immatériel. Les légendes et les mythes issus du « Dreamtime », que ce soient des batailles épiques entre kangourous et iguanes ou la formation de sites sacrés par les anciens, sont la source principale d’inspiration des artistes indigènes. L’art est en cela un complément de la tradition orale, qui a passé ces histoires fondatrices d’une civilisation vieille de plus de 50.000 ans de génération en génération.
Le titre de l’exposition, « Dots and Rarrk », fait allusion à deux techniques de prédilection des artistes aborigènes d’aujourd’hui : un pointillisme qui trouve son origine dans les peintures corporelles traditionnelles, transposées sur toile dans les années 1970, et les hachures croisées (« rarrk » dans le nord de l’Australie), des lignes parallèles méticuleusement appliquées pour représenter animaux et personnages.
Du côté des points, une large palette de peintures est proposée, qui permet de mieux apprécier les différences de style. S’y côtoient de l’art quasi naïf et des tableaux à la précision remarquable, des points seuls et des formes esquissées. Un certain charme hypnotique s’en dégage, prompt à transporter celles et ceux qui connaissent un peu la culture aborigène vers leur propre temps du rêve. Mais la précision impressionnante, c’est aussi celle qui se dégage du bestiaire fabuleux et des tableaux abstraits réalisés à l’aide des hachures croisées. Il faut s’en approcher pour admirer toute la minutie nécessaire, puis s’en éloigner pour apprécier les scènes dans leur intégralité.
L’art aborigène contemporain, ancré dans des traditions et des techniques millénaires, permet de retrouver un peu de spiritualité dans notre monde d’hypermatérialité, par-delà les hémisphères. La galerie 39 a eu une bien bonne idée de demander à Lex Gillen d’exposer cette collection qu’il a rassemblée avec passion. Pour aussi, qui sait ? stimuler les rêves de notre petit bout de monde occidental.