Backcover: Miriam R. Krüger

En février, Miriam R. Krüger illustre la dernière page du woxx. Entretien avec une artiste pour qui la poésie est un socle inébranlable.

La « créature émotionnelle » de Miriam R. Krüger se nourrit d’émotions pour produire une poésie visuelle. (Photo : Miriam R. Krüger)

woxx : Tu sors d’une année 2022 particulièrement bien remplie, avec notamment une grande exposition à la Chambre des salariés.


Miriam R. Krüger : J’aurais dû la faire il y a deux ans, juste au moment où la crise de la covid a éclaté. Le temps qui s’est écoulé m’a permis de proposer une expo tout à fait différente de celle initialement prévue. En plus, la date a finalement coïncidé avec mes 25 ans d’activité artistique professionnelle au Luxembourg ! On m’offrait en quelque sorte la possibilité de faire ma propre rétrospective. J’ai présenté plus de 60 œuvres, le vernissage a été très réussi. Tout ce qui est arrivé autour de l’expo et qui arrive maintenant grâce à elle a beaucoup d’importance à mes yeux. Si j’avais l’intention de me reposer après, c’est raté ! Une personne m’a notamment demandé d’organiser une visite guidée en italien. Je me suis retrouvée de fil en aiguille avec un événement significatif soutenu par l’ambassade d’Italie. En plus, il a eu lieu lors de l’Orange Week, qui représente une cause pour laquelle je suis engagée.

Même si cet engagement n’est pas la seule inspiration de ton art.


Exactement. Si je suis connue pour mon engagement dans la lutte contre les violences envers les femmes, ça ne veut pas dire que mes créations ne parlent que de ça. Je ne suis pas devenue poète ou artiste visuelle pour rejoindre cette cause. Le cœur de mon univers, ce sont les émotions ressenties par les êtres humains. Ce sont vraiment elles qui me guident.

Tu as eu l’occasion de présenter des choses tout à fait nouvelles à Bonnevoie.


Effectivement, j’ai beaucoup expérimenté pendant les années covid. J’ai donc pu montrer des œuvres anciennes, mais aussi des œuvres auxquelles les personnes ne s’attendaient pas du tout. Il y a toujours des anges dans mon travail, mais, cette fois-ci, ils étaient en couleur. Même moi, j’ai été surprise ! Il faut dire que j’ai employé des encres. Mon corps de poète utilise d’abord le papier, le crayon, le feutre… alors je me suis sentie tout de suite à l’aise avec cette technique. Avec une toile et de l’acrylique, je n’y arrive pas – et pourtant, j’ai souvent essayé ! J’ai aussi proposé des collages, une autre innovation pour moi. Je crois que c’est venu naturellement parce que ce procédé est à base de papier. Il y a des mots, on coupe, on colle… En plus, j’ai souhaité que ces collages ne soient pas fixes, mais amovibles : ils peuvent ainsi être transformés au gré de mes envies, dans des lieux différents.

Comment as-tu choisi les illustrations que publie le woxx ?


Je voulais proposer des images caractéristiques de mon univers, pictural certes, mais aussi d’écriture. Il y a un certain nombre d’années, le directeur de l’école d’art dans laquelle je me perfectionnais m’a dit que quand on regarde mes dessins, on doit penser à mon écriture. Ces dessins-là, ce sont donc des poèmes. Dans l’expo à la Chambre des salariés, il y avait une œuvre représentant un couple en train de fusionner. En fait, c’était au départ un poème dont je n’arrivais pas à trouver les mots, même si dans ma tête l’émotion que je voulais rendre était bien là. Alors je me suis mise à dessiner. Rapidement, j’ai pensé : voilà ce que je veux dire… et je n’ai jamais terminé le poème !

« Mon corps reste toujours poète, même si je produis désormais d’autres types d’œuvres. »

Les corps que tu représentes sont loin d’être idéaux.


Effectivement, mon but n’est pas de représenter de beaux corps, lisses et parfaits… Je veux explorer des corps vrais, avec tous leurs défauts. J’avais envie d’adopter un style fait de traits francs, mais aussi torturés. Pendant le confinement, je m’y suis plongée à fond et j’ai usé pas mal de feutres ! J’ai donné le nom de « Vergetures d’encre » à cette série, parce que le concept de vergetures me fait penser à la peau. Et puis l’encre, c’est l’écriture : je reviens toujours à elle.

Que veulent nous dire ces corps, alors ?


Oh, c’est très prosaïque : dans cette série, j’évoque notamment le mal de dos ! D’où la colonne vertébrale apparente, les vertèbres cassées, etc. Mais il y a toujours un message dans mes dessins. Ici, je montre que même avec des choses cassées on peut rester debout. Je rapproche ces travaux des dessins de femmes avec des cœurs apparents que j’ai réalisés avant : je traduis les émotions par des transformations du corps. Quand je dessine des couples, j’aime les présenter tellement collés qu’ils entrent en fusion. Ce qui m’intéresse dans les positions des deux corps, c’est qu’elles permettent de croire qu’il n’y en a qu’un seul. Nous, poètes, transformons nos plus grands chagrins et nos plus grandes émotions en art. Même si maintenant je travaille plus l’aspect visuel que l’écriture, j’ai commencé par la poésie, par les mots. Mon corps reste toujours poète, même si je produis désormais d’autres types d’œuvres.

D’où ta prédilection pour la poésie visuelle ?


Oui, celle-ci me permet de toucher un public qui se dit que la poésie n’est pas son truc ou dont l’attention est plus dispersée. Sur les réseaux sociaux, on voit bien que les publications sans images ou avec des textes longs ont moins de succès. Mon dernier livre, « 90 secondes », est ainsi nommé car c’est le temps que dure une émotion ; après, ça devient un sentiment. Il y a peu de mots, beaucoup d’illustrations, mais c’est tout de même de la poésie, parce qu’en le parcourant on ressent quelque chose de comparable à la lecture d’un recueil. Et tout ça en peu de pages et peu de temps.

Les vidéos ont également rejoint ta palette d’expression artistique.


Au départ, il y a plus de quatre ans, j’ai commencé à en faire pour mieux travailler mes performances et tester mon personnage de « créature émotionnelle ». Ça me permettait notamment de me revoir et de m’étudier. J’ai aussi fait des vidéos plus décalées pour décompresser, et c’est vrai que, grâce à celles-ci, de nouvelles personnes ont connu mon travail. Il y a même un photographe parisien qui l’a découvert par sa fille, qui me suivait sur les réseaux sociaux ! Je vois ça maintenant comme une carte de visite additionnelle… mais c’est aussi, pour être honnête, ma façon de jouer en tant qu’adulte.


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