Cannabis médicinal
 : Strict minimum

Dans le registre des promesses tenues du programme gouvernemental, la ministre de la Santé vient enfin de déposer un projet de loi légalisant partiellement le cannabis médicinal – un projet qui manque clairement d’ambition, selon les experts.

Une plante qui manifestement fait toujours peur à Lydia Mutsch. (Photo : pxhere)

Vu que le cannabis est toujours sujet à de violents préjugés, clarifions les choses d’emblée : le projet de loi déposé par Lydia Mutsch ne légalise en rien la beu, la weed ou le shit. Au Luxembourg, le moment de la légalisation du cannabis à des fins récréatives semble encore loin – tandis que plusieurs États fédéraux américains qui l’ont fait se goinfrent tellement de taxes qu’ils ne savent plus où mettre leur argent.

Le projet de loi 7253 vise exclusivement le cannabis dit médicinal. Celui-ci ne contient pas – ou à très petites doses seulement – de tétrahydrocannabinol (THC), la substance psychotrope qui fait planer, mais du cannabidiol (CBD). Les maladies traitables avec le CBD sont légion : cela peut aller du glaucome aux crises d’épilepsie. D’ailleurs, c’est justement le cas d’une fillette atteinte d’une variante très grave d’épilepsie, Charlotte Figi, qui a fait que les choses ont changé aux États-Unis. Souffrant du syndrome de Dravet, l’enfant était exposée à des crises potentiellement mortelles. Ayant essayé tout ce que pouvait proposer la médecine traditionnelle, les parents se sont tournés vers le cannabis médicinal, qui a finalement sauvé la petite. En son honneur, un médicament contenant du cannabis médicinal porte le nom de « Charlotte’s Web ».

Pourtant, l’expérience tentée au grand-duché ne couvrirait même pas cette pathologie. Dans l’exposé des motifs, la ministre de la Santé déclare viser les douleurs chroniques, les nausées et les vomissements causés par la chimiothérapie ainsi que les spasmes musculaires liés à la sclérose en plaques. Ce qui revient à viser trop bas, selon le docteur Serge Schneider, président de l’association Cannamedica (qui regroupe des professionnels de la santé et des juristes de tout le pays, qui se sont retrouvés autour du thème du cannabis médicinal) : « Le cannabis médicinal affecte le système entier de l’être humain, donc il peut avoir des effets plus larges sur tout le corps. C’est pourquoi il est faux de dire que l’on va prendre du cannabis médicinal seulement pour des patients qui souffrent de douleurs. C’est une restriction qui ne fait pas de sens, si on connaît l’état de la recherche scientifique actuelle. »

Phase de test superflue

Pour Schneider, la métaétude américaine sur laquelle se base le ministère, provenant de l’académie scientifique « The National Academies of Sciences, Engineering and Medicine », ne se base que sur les statistiques de ce qui marche le mieux : « Je n’ai rien contre l’idée de se baser sur une telle grande étude. Mais il ne faut pas perdre de vue des études moins étendues, et avant tout le fait que le CBD ne présente aucun risque pour la santé. Je ne vois donc aucune raison de procéder à une phase de test comme le fait le gouvernement – surtout si on se base sur une étude qui démontre que le traitement est aussi efficace qu’inoffensif. »

Et pourtant, le gouvernement ne touche au cannabis qu’avec des pincettes. Ainsi, le projet de loi (qui ne fait que modifier la loi de 1973 « concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie », ce qui annonce déjà la couleur), n’est vu que comme un test, une première approche. Ainsi, le dernier article précise : « Au plus tard 24 mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, la Direction de la santé est chargée d’évaluer le nombre de patients et les indications de prescription en application du dispositif (…). »

Le Collège médical défavorable

Nonobstant le fait que dans deux ans, les responsabilités politiques en matière de santé publique risquent fortement de se retrouver dans d’autres mains, il n’y a aucune raison d’être si craintif et d’attendre, alors qu’au grand-duché aussi de nombreux malades qui ne sont pas visés par la loi ne pourront pas profiter d’un traitement au cannabis médicinal sans tomber dans l’illégalité.

Qui plus est, le Collège médical n’est pas enchanté non plus par cette avancée à tâtons. Dans son avis, il écrit entre autres que s’il « peut comprendre le chevauchement de la vague populaire de libéralisation du cannabis, notamment en médecine, il ne comprend pas pourquoi ce ‘médicament’ devra être soumis à des règles tellement rigoureuses pour ses prescription et utilisation ». Et de s’en prendre aux dispositions qui limitent la possibilité de prescrire du cannabis médicinal à certains médecins spécialistes qui seront étroitement tenus à l’œil par le ministère. Pour le Collège médical, chaque médecin, même généraliste, devrait pouvoir prescrire des médicaments contenant du CBD. Et de conclure qu’il « ne peut pas aviser favorablement le projet de loi sous rubrique ». Voilà qui commence bien.

De plus, pour Schneider, le Collège médical ne va pas assez loin : « Sur le fond, je partage ses critiques. Mais je conteste son avis quand il dit que des traitements efficaces existeraient pour les maladies visées par le cannabis médicinal. C’est une semi-vérité au mieux. Il y a beaucoup de cas rapportés où la médecine traditionnelle était épuisée et que seul le cannabis médicinal a pu résoudre. Et ce ne sont pas des cas rapportés par des ésotériques qui affabulent sur l’internet, mais de vraies études scientifiques. »

Pour Cannamedica – qui n’a d’ailleurs pas été consultée en amont par le ministère, alors que l’association ne s’engage pas pour la légalisation du cannabis à psychotropes et regroupe des experts de tous bords –, la lutte continue d’ailleurs : ses membres sont en train de faire le tour des partis en période préélectorale pour prendre le pouls, et organisent des conférences. La prochaine aura lieu le 31 mai au CHL, avec la professeure Kirstin Müller-Vahl de l’université de Hanovre.


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