Conflit israélo-palestinien : Statu quo

Ce 2 juillet, dans le cadre d’une pétition publique ayant atteint le seuil requis de signatures, un débat a eu lieu à la Chambre des député·es sur la possibilité d’imposer des sanctions à Israël pour ses agissements en Palestine. Les discussions n’ont pas abouti.

La déception était grande à l’issue du débat public. (Photo : Tatiana Salvan / woxx)

« Nous sommes d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord. » C’est sur cette formule éculée que la présidente de la commission des Pétitions, Francine Closener (LSAP), a clôturé le vif débat public du mercredi 2 juillet. Ce débat a été organisé dans le cadre de la pétition 3231, qui avait dépassé les 4.500 signatures alors nécessaires et demandait au Luxembourg de « sanctionner Israël pour sa politique en Palestine et ainsi faire pression sur Israël afin qu’il se conforme au droit international ».

« Tout pays qui n’agit pas pour empêcher les crimes atroces commis aujourd’hui en Palestine sera complice. Nous ne voulons pas que le Luxembourg soit complice », a lancé tout de go Dalia Khader, la pétitionnaire. Cette Luxembourgo-Palestinienne est déjà à l’origine d’une pétition pour réclamer la reconnaissance de l’État de Palestine, qui avait également abouti à un débat, il y a tout juste un an. « On ne peut pas transformer des villes en cimetières et se dire victime. C’est du terrorisme. On ne peut pas construire des murs et des checkpoints et appeler cela de la démocratie. C’est un apartheid. On ne peut pas affamer les gens et parler de légitime défense. C’est un nettoyage ethnique. Ce n’est pas un conflit, c’est un génocide ! », a-t-elle assené.

La pétition est, entre autres, soutenue par Jewish Call for Peace, une association progressiste et laïque, dont la présidente, Martine Kleinberg, a également participé au débat. « Aujourd’hui, Israël commet de graves crimes en toute impunité, tout en prétendant agir comme État juif, au nom des Juifs. Ce faisant, il met les Juifs en danger partout dans le monde. Son mépris total du droit met également en danger nos démocraties (…). Si nous tolérons qu’un peuple soit bombardé, affamé, déplacé par un pays allié, cela revient à dire que nos valeurs sont à géométrie variable », a-t-elle déclaré face aux député·es, venu·es en petit nombre ce matin-là.

Obligations juridiques

S’appuyant sur les positions d’instances judiciaires internationales – notamment la Cour internationale de justice –, ainsi que sur les comptes rendus d’ONG documentant les exactions de l’État hébreu, Dalia Khader a remis à l’ouverture du débat un rapport détaillé aux membres de la Chambre. Celui-ci propose plusieurs mesures concrètes que le Luxembourg pourrait mettre en œuvre afin de contribuer à mettre fin à l’impunité d’Israël en matière de colonisation des territoires occupés et d’autres violations du droit international (voir par ailleurs). « Notre pétition appelle à des sanctions. Ce n’est pas un geste symbolique mais une obligation juridique et morale », a pointé la militante.

Partie à différents traités internationaux, le Luxembourg a en effet des obligations en tant qu’État, a rappelé François Dubuisson, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles, autre intervenant du débat. « La Cour a établi une série d’obligations à charge des États, entérinées par l’ONU (…). Certaines de ces mesures pourraient être prises au sein de l’Union européenne ─ notamment la suspension de l’accord d’association ─, et le Luxembourg doit pleinement s’activer pour les faire adopter. Mais si ce n’est pas réalisable, faute de majorité, le pays a l’obligation de prendre individuellement des mesures. » Sans quoi il prend le risque d’être visé par des procédures judiciaires, à l’instar de l’Allemagne, qui a été accusée par le Nicaragua de « faciliter la commission d’un génocide » contre les Palestinien·nes.

(Photo : Tatiana Salvan)

Et la petite taille du pays ne doit pas être un frein à un quelconque engagement, ont insisté les intervenant·es, ne serait-ce que par l’importance de la place financière. « Israël est très dépendant de ses liens avec les États-Unis, et tout particulièrement de ses liens avec l’Europe, son premier partenaire. Contrairement à la Russie, qui est une société dictatoriale et peut vivre en autarcie, des mesures financières peuvent avoir un impact et susciter des réactions de la part de la population ou des milieux d’affaires, comme ce fut le cas en Afrique du Sud, lors de l’apartheid », a affirmé François Dubuisson.

Sans surprise, la question de la condamnation du 7-Octobre a été posée au cours du débat, tout comme elle avait été soulevée lors d’une conférence de presse tenue par les pétitionnaires quelques jours auparavant. « Cette question est une façon de déshumaniser la Palestine et d’oublier ce qu’a fait Israël avant et après cette date. La position du Luxembourg est claire : c’était une attaque terroriste, et le Hamas a été sanctionné », a répondu, exaspérée, Dalia Khader. « Israël s’occupe du 7-Octobre depuis le 8 octobre. Qui s’occupe d’empêcher Israël de commettre un génocide ? », a pour sa part rétorqué Martine Kleinberg.

Directement visé et accusé d’inaction, le ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel, présent lors du débat, a une fois de plus minimisé la portée de toute mesure symbolique et s’est à nouveau retranché derrière le cadre européen pour expliquer la position du gouvernement luxembourgeois. « Nous n’avons pas de base légale pour imposer des sanctions », s’est-il défendu à maintes reprises, pointant par ailleurs les déclarations non suivies d’effets d’autres pays. Il a toutefois précisé que le cadre légal en matière de possibilités de sanctions était en cours d’analyse auprès de son ministère, lequel devrait rendre ses conclusions d’ici la fin de l’année. « Le bureau de commerce de Tel Aviv peut déjà être fermé ! », a tancé, à la volée, le député David Wagner (Déi Lénk). La Cellule scientifique de la Chambre des député·es pourrait en parallèle être chargée de mener une analyse du cadre juridique entourant des sanctions potentielles, afin de savoir ce qui s’avère possible en l’état actuel.

La déception était grande à l’issue du débat. « Il y a clairement un manque de volonté politique », a réitéré David Wagner, également ulcéré par la récente position au Conseil européen du premier ministre Luc Frieden, lequel s’oppose à faire pression sur Israël par le biais de sanctions. Dalia Khader n’a pu retenir ses larmes face à aux manifestant·es propalestinien·nes qui l’attendaient à la sortie de la Chambre. Ils et elles ont été jusqu’à une centaine à se rassembler pacifiquement ce mercredi. « Forcément, je suis déçue. Ils (les membres de la commission des Pétitions et Xavier Bettel, ndlr) se disent horrifiés par la situation, mais les mots ne comptent plus, il faut des actions. Ils l’ont fait pour la Russie, pourquoi pas pour Israël ? C’est difficile d’entendre que la décision est reportée à la fin de l’année, alors que de nouvelles atrocités ont lieu chaque jour », commente-t-elle au woxx. « Mais je continuerai le combat. S’ils (les dirigeant·es) peuvent dormir la nuit, moi je ne peux pas. Je n’ai rien à perdre, j’y perds plus à ne rien faire. C’est mon peuple qui est en train d’être effacé de la surface de la Terre, sans aucune conséquence. »

Des sanctions diplomatiques et économiques

À l’ouverture du débat public, un rapport détaillé exposant les sanctions que le Luxembourg peut imposer à Israël a été distribué aux membres de la Chambre des député·es. Intitulé « From Silence to Sanctions », il est disponible en ligne sur letzactforpalestine.com. Outre une condamnation ferme et une pression diplomatique de la part du grand-duché, ce rapport, réalisé par Dalia Khader avec l’aide de juristes, exhorte le gouvernement luxembourgeois à établir, entre autres, des mesures restrictives à l’encontre d’individus et à imposer des sanctions économiques à l’État hébreu. Il propose notamment de fermer le Luxembourg Trade and Investment Office (LTIO) à Tel Aviv ─ un bureau de commerce et d’investissement qui a vocation à faciliter les partenariats économiques entre les deux pays ─, ainsi que des entreprises israéliennes dont le siège européen est établi au Luxembourg, comme NSO et Fanuc, dont les produits se trouvent liés à des crimes de guerre. En tant que place financière, le Luxembourg doit aussi vérifier où vont les investissements, notamment ceux du Fonds de compensation, afin d’éviter de soutenir indirectement les crimes en territoires occupés. « Un État a des moyens de prendre des mesures : l’arsenal juridique est suffisamment vaste et des exceptions sont prévues dans le cadre juridique européen », a précisé François Dubuisson, soulignant que « l’absence de sanctions n’a jusque-là pas changé la situation ». Tout comme Dalia Khader et Martine Kleinberg, il dénonce le deux poids, deux mesures, dont font preuve les pays européens, si prompts à avoir condamné la Russie.


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