De la honte à la solidarité 
: Pourquoi nous devons aider !

Le président de la Commission consultative des droits de l’homme nous a adressé une tribune libre, qui complémente notre analyse de la situation actuelle.

L’armée luxembourgeoise cède un important lot de meubles pour équiper l’ancien Centre de logopédie à Strassen, qui s’apprête à accueillir 300 demandeurs de protection internationale.( Photo : EMA)

L’armée luxembourgeoise cède un important lot de meubles pour équiper l’ancien Centre de logopédie à Strassen, qui s’apprête à accueillir 300 demandeurs de protection internationale. (Photo : EMA)

Comme beaucoup de mes concitoyens, j’ai suivi pendant ces mois d’été les évènements qui ont abouti à la vague massive d’immigration que nous connaissons. Ce phénomène a pris une grande ampleur, ce qui montre qu’on a attendu bien trop longtemps pour mettre en place des voies légales avec des procédures qui auraient, peut-être, permis de canaliser ce flux. Je n’ai par contre pas été surpris par les propos honteux que j’ai pu lire et entendre par-ci, par-là sur les réfugiés.

J’ai passé mes vacances dans un tout petit village du centre de l’Italie qui accueille 16 réfugiés. La bourgmestre et une association de soutien avaient convié les habitants à des soirées d’information pour rassurer, expliquer et solliciter de la compréhension. Ce qui a été dit ressemblait pour beaucoup à ce que je lisais sur les réseaux sociaux ou dans les commentaires des articles parus dans les journaux ici au Luxembourg et un peu partout en Europe : ces réfugiés étaient pour les uns des criminels, pour les autres des voleurs de la pire espèce. Il faut dire que le climat politique est délétère en Italie : ce pays a fait les frais de l’absence de politique européenne cohérente en matière d’accueil et de gestion des flux de réfugiés, et les partis politiques sont pour la plupart en déconfiture.

D’où viennent cette haine, cette hargne ?

Je me questionne tout naturellement : d’où vient cette violence qui existe aussi au Luxembourg, non pas seulement à l’égard des réfugiés, mais aussi des pauvres, des personnes qui ne réussissent pas à s’intégrer dans notre société ? Un exemple nous a été fourni il y a quelques semaines par un courrier rédigé par un avocat bien connu à madame la bourgmestre de la Ville de Luxembourg, dans lequel il s’insurgeait sur un ton péremptoire et dénigrant contre des mendiants. Nous étions fort loin de l’image de l’avocat qui se complaît dans le rôle de défenseur de la veuve et de l’orphelin. La phrase de Chateaubriand que de Gaulle avait prononcée à l’égard de Pétain m’est revenue à l’esprit : « La vieillesse est un naufrage. » Parfois, j’entends dire que ce sont les ignorants qui parlent comme ce ténor du barreau, mais je trouve que penser cela relève de l’arrogance et ne fait que créer encore plus de discrimination.

Tout n’est pas toujours aussi simple. Tout récemment, je lisais un article sur les mesures que le gouvernement luxembourgeois allait prendre pour assumer ses responsabilités à l’égard des réfugiés. Je me suis permis d’aller voir quelle teinte avaient les commentaires qui suivaient cet article. Je me suis arrêté au texte d’une personne qui fustigeait le gouvernement, en invoquant que son partenaire victime d’une grave maladie évolutive et handicapante passait sa vie en institution et que de ce fait elle devait débourser beaucoup d’argent, avec comme conséquence qu’il lui restait très peu pour vivre une vie décente. Je me suis alors posé la question de savoir si on pouvait mesurer la misère. Je pense que ce n’est pas possible : même s’il n’y a pas de guerre, de famine, de catastrophe naturelle ayant un impact sur la vie des résidents luxembourgeois, il existe chez nous des hommes et des femmes qui, pour différentes raisons, sont aux prises avec des situations difficiles à gérer. Je comprends alors qu’il est difficile de partager la misère et de ressentir de la compassion pour les autres.

Ceci étant, il faut se rendre compte que, parmi les personnes qui utilisent la haine pour tisser la toile de fond de leur propos, il y en a beaucoup qui ne sont pas dans cette situation. Ils déballent un flot de vomissures qu’il est difficile d’accepter. On peut évoquer la peur des étrangers et plus généralement une angoisse par rapport à une situation nouvelle et inconnue. Mais il y a certainement plus, car comment expliquer cette hargne, ce ressentiment, cette hostilité ? Nous savons que la construction d’un ennemi extérieur fonctionne comme une sorte de dopant pour le psychisme de personnes qui voient ainsi décupler leurs forces, d’autant plus lorsqu’elles peuvent partager leur vision. Que cette image qu’elles mettent en place fasse l’économie d’une confrontation avec la réalité ne les préoccupe pas, car ce qui importe c’est le vécu de cette vigueur, de cette force qui crée un sentiment d’être du « bon côté ». Cette façon de procéder crée des caricatures : les Syriens ou les Irakiens deviennent des monstres puants, personnages sordides sortis de je ne sais quel film de science-fiction. Cette façon de penser et d’agir fait le lit des extrémismes et se propage très rapidement.

Nous sommes citoyens du monde

J’en ai conclu aussi que tout cela n’était pas nouveau, mais méconnu. Ces attitudes ont toujours existé, mais restaient cachées dans une large mesure en l’absence de réseaux sociaux. Avec eux, il est possible à chacun de débiter son flot de souillures et de trouver une plate-forme où d’autres personnes partagent les mêmes idées. Cela prend alors une dimension jusque-là inconnue. Je pense que les enseignants, éducateurs et psychologues, tous ceux et celles qui travaillent dans l’éducation doivent se questionner sur les raisons qui font qu’il y a parfois si peu de civisme et de bonnes pratiques de communication et d’échange.

J’ai appris dans mon métier combien il est difficile de changer le comportement d’une personne. Au contraire, il est plus facile de favoriser le développement de ressources existantes ou alors de nouvelles attitudes pour créer ainsi un cercle vertueux. Cela revient à dire qu’il ne faut pas se figer face aux difficultés, mais plutôt aller du côté des solutions qui, elles, méritent d’être soutenues.

La réponse la plus adéquate est celle fournie par de nombreux citoyens luxembourgeois qui, face à la misère, se mobilisent en offrant une aide généreuse et concrète. Je trouve tout cela fort impressionnant et je pense que cela doit nous remplir de fierté. Ils sont nombreux à faire de leur mieux pour apporter de l’eau au moulin de la générosité, soutenir ainsi les réfugiés et, de façon indirecte, aussi l’action du gouvernement. Le gouvernement doit s’inspirer de cet élan pour développer les mesures qui s’imposent. Tout cela est très méritoire !

Mais cela ne suffit pas, car le problème posé par l’afflux de ces foules humaines qui fuient des États en décomposition ne peut se limiter à créer ces conditions pour les accueillir. Pour le moment, personne ne sait de quoi sera fait l’avenir et il faudra attendre encore longtemps avant de voir se stabiliser le flux des arrivants. Nous vivons dans une période d’incertitude et cela n’est pas fait pour créer un sentiment d’assurance.

L’union européenne donne des réponses « molles »

Il reste beaucoup d’inconnues qui, aujourd’hui, sont dans une large mesure celles d’il y a quelques mois. Au mois d’avril la Commission consultative des droits de l’homme (CCDH) avait dans un communiqué critiqué le fait que la réponse de l’Union européenne « [était] un compromis minimal qui manqu[ait] d’ambition, une réponse ‘molle’ à une situation humanitaire dramatique ». Et il ne fallait pas être particulièrement clairvoyant pour savoir, comme l’écrivait la CCDH, « que les décisions prises ne suffiront pas pour canaliser ce phénomène qui ne fera qu’amplifier ».

J’ai entendu le discours que le président de la Commission européenne a tenu au Parlement européen et qui a trouvé un écho fort favorable. Mais je reste prudent par rapport à la verve et au contenu émotionnel des discours des grands communicateurs, qui sont légion parmi les politiques. Je voudrais connaître l’action qui va suivre la parole et je voudrais juger sur des faits concrets. Et voir s’il faut donner tort à Umberto Eco, qui disait que la langue commune de l’Union européenne est la traduction, à quoi je voudrais encore ajouter que ce sont aussi les innombrables conférences de presse des chefs d’État, des ministres.

Un appel aux enseignants et aux journalistes

Je voudrais reprendre ici deux idées qui sont chères à la CCDH. La première est l’appel aux enseignants et aux éducateurs « à thématiser ces drames et à apporter un éclairage humain, sans jugement moral, aux jeunes ». Il faut remettre les convictions de la Déclaration universelle des droits de l’homme au programme dans nos écoles. Personne n’est mieux placé pour le faire que ces professionnels et ils savent de quels outils pédagogiques ils doivent se servir.

Et une seconde idée s’adresse aux médias : il faut, mesdames et messieurs les rédacteurs en chef, les journalistes, canaliser le flot des commentaires nauséabonds. Il en va aussi de la responsabilité de votre profession. La presse et les médias sont souvent qualifiés de quatrième pouvoir, parce qu’ils ont un rôle à jouer dans l’équilibre entre les pouvoirs incarnés par l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Il s’agit ici d’être un pouvoir par rapport à l’opinion publique pour construire des garde-fous face aux positions extrémistes et contraires au respect que nous devons à tout être humain. « Il ne s’agit pas de censurer l’opinion des personnes, mais de favoriser la création d’une forme de dialogue citoyen qui soit respectueuse des droits de l’homme et en particulier de la dignité que nous devons à tout être humain, quelle que soit son origine, sa race, son ethnie ou sa religion. »

Un moment historique et un appel solennel aux partis politiques

Nous vivons un moment historique en Europe et au Luxembourg qui servira à redonner du sens à la responsabilité et à l’autorité de l’engagement, dont on ne peut pas se passer. Je lance un appel solennel aux partis politiques de mon pays pour qu’ils ne prennent pas de position qui puisse entraver la solidarité que nous devons à des êtres humains qui, pris entre le marteau et l’enclume, se battent pour leur survie. Ce sont des individus de tout âge, qui méritent notre respect et notre solidarité. Cela a été maintes fois répété : le Luxembourg est non seulement un pays d’accueil, mais il a aussi été dans son histoire un pays que de nombreuses personnes ont dû fuir pour survivre. L’histoire sert aussi à créer un juste équilibre entre ce que nous avons reçu et ce que nous devons.

Et en ce qui concerne l’avenir, je voudrais citer Antoine de Saint-Exupéry, qui écrivait qu’« il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ».

Gilbert Pregno est psychologue, travaille à la fondation Kannerschlass et préside la Commission consultative des droits de l’homme.

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