Dorota Kobiela et Hugh Welchman
 : Van Gogh par lui-même


Dans sa dernière lettre à son frère Théo, Van Gogh disait : « On ne peut s’exprimer que par nos tableaux. » Les réalisateurs de « Loving Vincent » ont décidé de le prendre au mot en animant ses toiles, avec un résultat mitigé.

Une prouesse technique pour un résultat mitigé. (Photos : outnow.ch)

Suivant la forme d’une immense fresque animée, Kobiela et Welchman proposent pour leur premier long métrage un hommage à Van Gogh inspiré de la correspondance qu’il entretenait avec ses proches. Un biopic aux contours d’enquête policière, à travers lequel la réalisatrice a tenu à honorer le peintre. Selon elle, l’œuvre est la « vraie protagoniste » du film.

De nombreux cinéastes ont essayé auparavant de rendre hommage à l’œuvre tournoyante du peintre néerlandais. De Minnelli à Kurosawa, ses toiles ont traversé l’écran de différentes manières. Cependant, elles n’ont jamais été l’unique référence formelle d’une fiction cinématographique. Ce premier film entièrement peint à la main reflète une ambition certaine, avec ses plus de 60.000 plans tournés avec des acteurs puis repeints à l’huile par une centaine d’artistes en l’espace de quatre ans.

Le film a pour objectif narratif d’apporter des éléments de réflexion sur la mort du peintre. L’excuse d’une lettre à remettre à Théo après la mort de son frère sert de guide pour revivre les derniers moments de Van Gogh à Auvers-sur-Oise, dans l’auberge avoisinant le domicile de son médecin Gachet. S’est-il suicidé, est-il le « suicidé de la société » comme le prétend Antonin Artaud, ou s’est-il fait assassiner ? Voilà l’angle d’attaque narratif qui, à travers les énigmes d’une investigation quasi policière, prétend donner vie à l’œuvre de l’artiste.

L’intérêt de ce long métrage est d’être le premier à utiliser de la peinture animée en s’appuyant sur plus de cent œuvres. Cependant, Van Gogh étant un des plus grands artistes de la force tournante et du mouvement incarné, ses toiles se suffisent à elles-mêmes. Pourquoi dans ce cas les animer de façon artificielle en faisant scintiller chaque coup de pinceau ?

Pari colossal, le film est la preuve que parfois une idée originale ne suffit pas pour créer une œuvre consistante. En outre, il n’apporte pas de réelle lumière sur la vie de l’artiste. Même si, à l’instar de « Chronique d’une mort annoncée » de Gabriel García Márquez, nous assistons à rebours au moment inéluctable de sa mort, les témoignages contradictoires porteurs d’une certaine tension dramatique ne font pourtant que survoler, en une suite d’anecdotes, des moments clés de sa vie telle que la jalousie de son psychiatre, peintre raté qui copiait secrètement les toiles de son patient.

Quel est le but réel de ce film ? Nous donner à voir le monde comme le voyait Van Gogh avec ses couleurs, ses structures, ses ondulations ? Transcender le visible pour montrer l’invisible ? Sentir la chaleur des champs, la vigueur des tournesols, la magie d’une chambre aux murs dansants ? Il est vrai que dans un sens, Van Gogh a eu une vie très théâtrale qui se prête bien au cinéma : oreille coupée offerte à une prostituée, mort prématurée à seulement 37 ans, famine, internement psychiatrique, mort de son frère aîné dont il devra porter le nom (le premier Vincent est décédé à la naissance), etc. Ses toiles pourtant sont lumineuses. Artaud les compare à des « bombes atomiques » peintes avec une « conscience surnaturelle ». D’ailleurs, il fera un parallèle entre le peintre et Baudelaire, Edgar Allan Poe, Gérard de Nerval et Nietzsche en le considérant comme un philosophe qui changea le cours de l’histoire. Ainsi, celui qui fait « tournoyer des soleils ivres » et qui fait passer le prosaïque dans le monde du divin n’a pas besoin de porte-parole. Ses toiles nous parlent directement. S’il s’agissait de saisir son « souffle d’artiste », cet exercice technique n’a cependant que très peu de liens avec son âme. Ses tableaux portent une force tourbillonnante qui ne demande pas à être mise artificiellement en mouvement par une animation cinématographique.

Tracés ondulés, spirales dansées, circularité des nuages étirés, tout y est, et pourtant le mouvement du cinéma tue le mouvement des toiles et en anéantit la magie. Ce défi si ambitieux paraît même contredire les propos du peintre : « Pour réussir, il faut de l’ambition, et l’ambition me semble absurde. » Van Gogh qui avec le rouge et le vert de ses tableaux cherchait à exprimer « les terribles passions humaines » serait sans doute bien surpris de voir ce film si vide et creux, car « l’art est un combat, et il faut y mettre sa peau ».

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

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