La campagne pour les législatives aura donc été dominée par la croissance et les discours nauséabonds sur l’identité nationale – occultant au passage le plus grand risque qu’encourt le grand-duché : celui de vivre avec un déficit démocratique.
Les élections 2018 seront uniques pour le pays, car elles marqueront un tournant historique. Ce seront – très probablement – les dernières élections où la majorité des résident-e-s majeur-e-s pourra aller aux urnes. En 2023, le Luxembourg sera donc le seul pays européen dont la composition démographique et donc la représentation démocratique s’apparentera plus à celle de certains États du Golfe qu’à celle de ses voisins. Le référendum désastreux de 2015 hante toujours le paysage politique luxembourgeois : il a permis de libérer la parole des tendances xénophobes et a pourri le discours politique au point où même le DP et Déi Gréng se voient obligés de teindre leurs campagnes avec du patriotisme par peur de déplaire à leur électorat. Pendant ce temps, le déficit démocratique n’est pas du tout thématisé.
Alors qu’il est à proprement parler l’éléphant dans la pièce et la raison qui a poussé la coalition bleu-rouge-vert à tenter l’expérience référendaire. La question de la culpabilité est vite résolue : c’est la coalition elle-même qui, dans un moment d’outrecuidance et de manque de réflexion, a ignoré les nombreux signaux d’alarme qui provenaient de la société civile quant au manque de préparation de ce référendum. Avec comme résultat non seulement une valorisation du populisme de droite dans le pays (une tendance d’ailleurs commentée dans de nombreux médias étrangers ces derniers jours), mais surtout la disparition du thème du déficit démocratique de la sphère publique. Plus personne n’ose l’évoquer, de peur de se faire flinguer illico par les « activistes » du Wee 2050 et de l’ADR. Le débat sur le déficit démocratique et le droit de vote des étrangers-ères est donc remis aux calendes grecques.
C’est un renoncement qui pourtant risque de coûter cher au pays. Car le vivre-ensemble avec les résident-e-s étrangers-ères et les frontaliers-ères est crucial non seulement pour la démocratie, mais aussi pour notre économie et finalement la croissance dont dépend le modèle sur lequel ce pays a été construit. S’y ajoute qu’actuellement déjà, le Luxembourg ressemble à un système de castes. Celle des nationaux, qui détiennent le pouvoir politique et occupent en grande majorité des postes étatiques, celle des étrangers-ères qui travaillent pour la place financière ou dans les institutions européennes et gagnent peut-être plus que les Luxembourgeois-e-s « de souche », mais après viennent encore les autres étrangers-ères qui survivent grâce aux boulots que les autres ne veulent plus faire… et tout à la queue viennent les frontaliers-ères, qui de plus font quotidiennement les frais d’une infrastructure de transport défaillante.
À force de se jeter dans les bras des investisseurs du Golfe, le grand-duché risque fort de ressembler de plus en plus à leurs pays.
Ne pas vouloir rapprocher ces castes pour former une société plus ouverte et plus solidaire est peut-être un signe des temps, le repli identitaire n’ayant pas tardé à infecter le discours politique luxembourgeois. Pourtant, notre dépendance à l’étranger met le système luxembourgeois dans une situation de vulnérabilité et ne devrait pas être prise à la légère. Depuis le référendum, des plaies se sont ouvertes et des tranchées se sont creusées. Il n’y a plus moyen de faire marche arrière et de recoller les pots cassés entre Luxembourgeois-e-s et étrangers-ères. Le pays ne peut plus se vanter de son rôle de superélève européen en termes d’intégration, et cela ne heurte pas uniquement la « marque » Luxembourg, mais pourrait aussi influer négativement sur le développement économique. Bref : à force de se jeter dans les bras des investisseurs du Golfe, le grand-duché risque fort de ressembler de plus en plus à leurs pays.